La participation de l’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis à la «Coupe du Golfe» à Doha conduira-t-elle à de meilleures relations diplomatiques avec le Qatar?

L’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ont participé ce mois-ci à la Coupe du Golfe de football au Qatar, une première depuis que ces pays ont boycotté leur voisin. Cette décision est inattendue car, depuis le 5 juin 2017, Riyad et Abou Dhabi ont rompu leurs relations diplomatiques avec Doha et lui ont imposé des sanctions économiques ainsi qu’un blocus terrestre, maritime et aérien. Ces nations accusent le Qatar d’être le foyer du terrorisme régional et de participer à diverses entreprises de déstabilisation aux côtés de l’Iran.

Cette approche visait principalement à restaurer la suprématie de l’Arabie Saoudite sur le Moyen-Orient. En imposant des sanctions économiques et un embargo diplomatique contre le Qatar, la monarchie saoudienne souhaite surtout réduire la capacité des autorités qataries à projeter leur influence dans la région. Or, il faut reconnaître que cette crise du Golfe n’a fait que permettre au Qatar de renforcer ses relations avec la Turquie et l’Iran. Il convient de noter que la part des échanges commerciaux entre de l’Iran et le Qatar a été estimée à 250 millions de dollars en 2017[i]. De même, la part des échanges commerciaux entre le Qatar et la Turquie a été estimée à 2,4 milliards de dollars en 2018[ii]. Face au rapprochement du Qatar avec des puissances hostiles à l’axe Riyad-Abou Dhabi, il est nécessaire d’analyser si la participation des sélections saoudienne et émiratie de football conduira à de meilleures relations diplomatiques avec le Qatar.

Objectif à long terme des États-Unis : se désengager du Moyen-Orient

L’élection du président Trump à la Maison-Blanche avait suscité l’espoir parmi les alliés traditionnels des États-Unis au Moyen-Orient de voir le retour de la première puissance militaire mondiale dans cette région.  Pourtant, les alliés arabes de Washington, notamment l’Arabie saoudite ont été particulièrement déçus par la réticence du président Trump à riposter militairement contre la République islamique d’Iran, surtout après l’attaque d’un drone américain dans le Golfe arabo-persique et après les attaques sur les sites pétroliers d’Aramco en Arabie Saoudite. La monarchie saoudienne avait compris que les États-Unis sous Trump ne pouvaient pas assurer une protection militaire garantie en cas de crise majeure avec l’Iran[iii].

La politique américaine du président Trump au Moyen-Orient s’inscrit dans la continuité de la politique américaine de son prédécesseur. Sous la présidence d’Obama, la politique américaine au Moyen-Orient était de réduire l’influence américaine des grandes questions stratégiques de la région. En ce sens, le retrait des troupes américaines en Irak en 2011 et le refus du président Obama d’intervenir contre le régime de Bachar Al-Assad alors qu’il avait été complice de l’utilisation d’armes chimiques contre des civils syriens n’ont fait que réduire l’influence américaine au grand profit de Moscou et Téhéran.

Redorer l’image de la monarchie saoudienne

Le prince héritier Mohammed bin Salman (MBS) veut désormais améliorer l’image de la monarchie saoudienne sur la scène internationale. C’est important puisque l’actuel président des États-Unis est menacé de destitution qui pourrait affecter sa possibilité de réélection en novembre 2020. Le président Trump a toujours défendu les relations américano-saoudiennes, même au plus fort de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Il est probable que si les démocrates remportent la prochaine élection présidentielle, le prochain président des États-Unis pourrait revoir les relations de la Maison-Blanche avec la monarchie saoudienne. Bernie Sanders et Elizabeth Warren ont réitéré à plusieurs reprises leur intention de revoir les relations des États-Unis avec l’Arabie saoudite[iv]. Dans cette optique, il est donc important que la monarchie saoudienne poursuive les pourparlers avec les rebelles Houthis au Yémen et renforce les relations avec le Qatar afin d’améliorer la stabilité géopolitique de la région.

Les relations du Qatar avec la Turquie risquent d’entraver un rapprochement avec l’axe Riyad-Abou Dhabi

De bonnes relations entre le Qatar et la Turquie pourraient empêcher un rapprochement diplomatique entre le Qatar et l’axe Riyad-Abou Dhabi. Outre les relations économiques, la Turquie dispose d’une base militaire au Qatar où 5000 soldats sont stationnés[v]. L’axe Ankara-Doha et Riyad-Abou Dhabi ont également des intérêts géostratégiques divergents. En effet, une lutte d’influence se déroule entre les deux alliances au Moyen-Orient, notamment en mer Rouge et en Libye. En mer Rouge, le Qatar agit en complémentarité ou en soutien à la politique d’Ankara, y compris au Soudan, où les autorités qataries ont signé un accord avec l’ancien gouvernement soudanais d’Omar Al-Bachir pour investir 4 millions de dollars dans le développement et la gestion du port de Suakin[vi]. Ce projet est complémentaire au projet turc de construction d’une base navale sur l’île[vii]. Pour l’axe Riyad-Abou Dhabi, le sud de la mer Rouge est une région cruciale pour empêcher le trafic d’armes de l’Iran à des fins d’utilisation des rebelles Houthis et pour sécuriser les exportations de pétrole saoudien et émirati vers l’Europe et les États-Unis[viii]. Dans cette optique, les autorités saoudiennes et émiraties ont acquis des bases militaires dans les pays de la mer Rouge, notamment au Djibouti[ix]. En outre, en Libye, le Qatar et la Turquie s’appuient sur des milices qui jouent un rôle administratif et sécuritaire central dans l’Ouest libyen et luttent contre l’avancée des forces du maréchal Khalifa Haftar, soutenues par Riyad et Abou Dhabi[x].

La théorie néoréaliste des relations internationales est utile pour fournir une explication précise du comportement stratégique des deux principaux axes du Moyen-Orient. Les néoréalistes estiment que les États du système international feront tout ce qui est en leur capacité pour empêcher la montée dominante d’un État ou d’une alliance au sein du système international. Ainsi, le renforçant des relations de la Turquie et du Qatar au Soudan avec l’ancien président Al-Bachir et en Somalie avec le gouvernement de Mogadishu peut être interprété comme une tentation de contrer l’influence saoudo-émiratie en mer Rouge. Cela vaut également pour la Libye, où l’axe Riyad-Abou Dhabi tente de contrer l’influence turco-qatarie en soutenant le maréchal Haftar dans sa lutte contre les groupes islamistes locaux. Il est donc clair que ces différences stratégiques entre le Qatar et l’axe Riyad-Abou Dhabi peuvent entraver toute forme de rapprochement diplomatique.

Kareem Salem

 

Notes

[i] Bouoiyour, J. et Selmi, R. (2019) ‘The Changing Geopolitics in the Arab World: Implications of the 2017 Gulf Crisis for Business’, Ideas : 1-39.

[ii] The Peninsula. (2019) Qatar-Turkey trade strong, grows by 85%, The Peninsula 2 novembre 2019.

[iii] Sly, L. (2019) The hasty U.S. pullback from Syria is a searing moment in America’s withdrawal from the Middle East, Washington Post 17 octobre 2019.

[iv] Watson, M. (2019) Why the Middle East Policies Favored by Sanders and Warren Would Be Counterproductive, National Review 30 juillet 2019.

[v] Le Figaro et AFP. (2019). Erdogan se rend au Qatar, rare allié arabe d’Ankara, Le Figaro 25 novembre 2019.

[vi] Mourad, H. (2019) ‘La ruée sur la mer Rouge’, Confluences Mediterranee (3): 205-223.

[vii] Mourad, H. (2019) ‘La ruée sur la mer Rouge’, Confluences Mediterranee (3): 205-223.

[viii] Mourad, H. (2019) ‘La ruée sur la mer Rouge’, Confluences Mediterranee (3): 205-223.

[ix] Mourad, H. (2019) ‘La ruée sur la mer Rouge’, Confluences Mediterranee (3): 205-223.

[x] Vespierre, G. (2019) Libye : les milices de l’ouest ont aussi leurs parrains, Le Point 26 avril 2019.



Articles Par : Kareem Salem

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