La plus haute instance judiciaire de l’Inde donne son feu vert à la répression des manifestations contre la loi discriminatoire sur la citoyenneté

La Cour suprême de l’Inde a refusé d’ordonner une enquête sur les agressions policières brutales contre des étudiants qui protestent contre une loi discriminatoire de 2019, ou CAA, modifiant la loi sur la citoyenneté.

Hier, le plus haut tribunal de l’Inde a ouvertement rejeté une requête d’avocats agissant au nom d’étudiants de l’Université islamique Jamia Millia de Delhi et de l’Université musulmane Aligarh à Aligarh, Utter Pradesh, et soutenu les tentatives du gouvernement du Parti Bharatiya Janata (BJP), le parti du suprémacisme hindou de l’Inde, de présenter l’opposition à la CAA comme violente.

La décision de la cour représente un véritable feu vert pour la police et le gouvernement du BJP, dirigé par Narendra Modi, pour poursuivre et intensifier la répression des manifestations contre la CAA. Ces manifestations secouent l’Inde depuis vendredi dernier.

Une femme crie des slogans depuis l’intérieur d’un bus après avoir été arrêtée lors d’une manifestation contre la CAA à Gauhati, en Inde [Source: AP Photo/Anupam Nath]

Ces manifestations se sont poursuivies mardi à Delhi, capitale de l’Inde et siège de la Cour suprême, ainsi que dans d’autres villes de l’Inde.

Adoptée la semaine dernière, quatre jours seulement après ayant été débattue au parlement, la CAA fait, pour la première fois dans l’histoire de l’Inde indépendante, de la religion un critère pour déterminer et attribuer la citoyenneté. Elle accorde effectivement la citoyenneté à tous les migrants non-musulmans entrés en Inde ou dont les ancêtres sont arrivés d’Afghanistan, du Pakistan et du Bangladesh, avant 2015.

L’adoption de la CAA met en évidence les sinistres desseins communalistes qui sous-tendent le projet du BJP d’établir un registre national des citoyens (NRC). En vertu de ce registre tous les 1,3 milliard de résidents de l’Inde seront obligés de fournir des documents «prouvant» leur citoyenneté, dans le but apparent de découvrir les «immigrants illégaux». Seuls les musulmans risquent désormais d’être déclarés apatrides et sont susceptibles d’être internés et explusés. De plus, comme l’a démontré l’expérience de l’Assam, le seul État jusqu’à présent soumis au NRC, des responsables communalistes hindous bigots vont utiliser la loi pour intimider et persécuter les pauvres.

La CAA est reconnue à juste titre par des masses d’Indiens dans tout le pays et à travers toutes les ethnies, les sectes et les castes comme un pas important du BJP et de ses mentors idéologiques du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) fasciste vers la réalisation de leur objectif de transformer l’Inde en «rashtra» ou État hindouiste.

Il s’agit de la dernière d’une longue série d’actions du gouvernement Modi visant à démontrer que l’Inde est avant tout une nation hindoue, où les musulmans vivent en souffrance. En août, le gouvernement Modi a illégalement modifié la Constitution, privant le Jammu-et-Cachemire, seul État à majorité musulmane du pays, de son statut semi-autonome. Puis le gouvernement l’a réduite à deux territoires de l’Union, mettant ainsi la région sous contrôle permanent du gouvernement central.

Se pliant aux exigences du gouvernement Modi et du RSS, la Cour suprême a décidé le mois dernier qu’un temple hindou devait être construit là où se trouvait le Babri Masjid à Ayodhya, jusqu’à ce que des fanatiques hindous le démolissent en 1992. Ceux-ci le firent à l’instigation de la direction du BJP et au mépris direct des ordres de la plus haute cour de l’Inde.

Les attaques violentes de la police contre les étudiants de l’Université islamique Jamia Millia (JMI) et de l’Université musulmane Aligarh (AMU) ont suscité l’indignation et la protestation solidaire des étudiants indiens.

Dimanche, la police a pris d’assaut illégalement le campus du JMI, dans une tentative de terroriser sa population étudiante, qui a été à l’avant-garde des manifestations anti-CAA dans la capitale de l’Inde. La police a agressé des étudiants avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des «lathis» (matraques). Dans un épisode particulièrement horrifiant, la police a envahi la bibliothèque de l’université, battant sauvagement les étudiants, hommes et femmes, qui étudiaient en silence. Plus d’une cinquantaine d’étudiants ont dû être hospitalisés, dont beaucoup avaient des fractures et d’autres blessures graves.

Lors d’une conférence de presse mardi, les étudiants de JMI se sont élevés contre les actions brutales de la police. Mohammad Mustafa, étudiant au MBA, a déclaré avoir été «battu sans merci» et s’être «évanoui». Ensuite la police l’a saisi et l’a emmené dans un poste de police. «Ils nous ont fait asseoir sur le sol froid,» ajoute Mustafa. «Je n’ai reçu aucun traitement bien que j’aie eu l’impression que j’allais mourir.»

Des étudiants de l’UMA, que la police a envahie plus tard dimanche, toujours sans la permission requise, ont également pris la parole lors d’une conférence de presse. À Aligarh, la police fut encore plus violente, attaquant les étudiants avec des canons à eau. Plus de 80 étudiants ont dû être hospitalisés en raison de blessures. L’un d’eux, en année de doctorat, a dû avoir la main amputée; elle s’était infectée après avoir été blessée par un fragment d’une grenade lacrymogène ayant explosé.

Lundi, le président de la Cour suprême a déclaré que le tribunal ne daignerait pas entendre les accusations de brutalités policières tant que les «violences» n’auraient pas cessé. Le juge en chef Shared A. Bobde a repris haut et fort les assertions de la police et du gouvernement comme quoi les manifestations anti-CAA de Delhi étaient violentes, tout en ignorant l’importance du déchaînement des forces gouvernementales dans l’attaque des manifestants.

Les manifestants anti-CAA, il faut le noter, ont fourni des preuves qui suggèrent que des provocateurs de la police sont à l’origine des actes de vandalisme ayant eu lieu dimanche.

Hier, une chambre de la Cour suprême dirigée par Bobde a agi dans le même esprit. Le juge en chef a refusé d’ordonner la mise sur pied d’une commission d’enquête, affirmant que le tribunal n’avait pas les moyens d’enquêter sur les accusations de violences policières dans «divers» États. Il a également rejeté un appel pour que le tribunal ordonne à la police de cesser les poursuites pénales contre des centaines d’étudiants en attendant une enquête indépendante sur ce qui s’était passé. «Vous pouvez être innocent ou coupable», a déclaré le juge en chef Bobde. «Mais si la police pense que vous êtes coupable, un FIR (First Information Report) est déposé.»

La décision de mardi est tout à fait conforme au rôle de la Cour suprême. Sous le gouvernement actuel du BJP, comme sous le gouvernement dirigé par le Congrès qui l’a précédé, ce tribunal a sanctionné à plusieurs reprises des attaques contre les droits démocratiques et le droit du Travail. Cela inclut une décision soutenant la condamnation fabriquée pour meurtre, infligée aux treize travailleurs de Maruti Suzuki emprisonnés à vie pour le «crime» d’avoir lutté contre le régime de main-d’œuvre à bon marché et les conditions de misère régnant chez le plus grand constructeur automobile de l’Inde.

Depuis août, la plus haute cour de l’Inde a rendu une série de décisions entérinant l’état de siège imposé par le gouvernement du BJP au Cachemire pour accomplir son coup d’État constitutionnel. Cela comprend l’arrestation «préventive» de milliers de personnes et la suspension pendant des mois de l’accès à l’internet et à la téléphonie mobile.

Mardi, des milliers de manifestants anti-CAA se sont heurtés à la police à Seelampur, un quartier majoritairement musulman du nord-est de Delhi. Des témoins oculaires ont déclaré que les manifestants scandaient des slogans dénonçant la CAA, le NRC et la police de Delhi. La police a fermé cinq stations de métro lors d’un assaut où elle utilisa ses dangereux «lathi» et tira des volées de gaz lacrymogènes. Les manifestants ont répondu en jetant des pierres.

Les manifestations se sont également poursuivies mardi au Bengale occidental, en Uttar Pradesh, au Tamil Nadu, au Maharashtra, au Kerala et dans d’autres États. La police est entrée sur le campus de l’Université de Madras à Chennai et a saisi plusieurs manifestants. À Pune, la police du Maharashtra a interdit à des milliers d’étudiants du Collège Fergusson de manifester au-delà du campus.

Des partis d’opposition ont appelé à certaines des manifestations, comme le Trinamool Congress au Bengale occidental, le DMK au Tamil Nadu, et le Congress Party et ses alliés au plan national du Parti communiste de l’Inde (Marxiste) stalinien et du Parti communiste de l’Inde

Les partis d’opposition cherchent à la fois à exploiter l’indignation populaire, à la contenir et à la maintenir dans le cadre réactionnaire de la politique de l’establishment indien.

Les staliniens jouent ici un rôle particulièrement répréhensible, renforçant l’illusion que la Cour suprême et le Parti du Congrès, notoires pour leur capitulation devant la droite hindoue et leur connivence avec elle, peuvent être des remparts laïques face au gouvernement du BJP.

Afin de contrecarrer les manifestations antigouvernementales, les autorités indiennes ont coupé l’accès à l’Internet dans une partie du Bengale occidental, de l’Uttar Pradesh et du nord-est du pays. Selon une information du New York Times, les autorités indiennes refusent actuellement l’accès à l’Internet à quelque 60 millions de personnes si l’on compte ceux à qui l’Internet est interdit en permanence au Cachemire.

Face à la détérioration rapide de la situation économique et à l’opposition sociale croissante, surtout de la part de la classe ouvrière, le BJP met son programme suprémaciste hindouiste en œuvre de manière agressive. Son but est de mobiliser sa base fasciste et d’intimider et de diviser les travailleurs et la population laborieuse de l’Inde.

Mardi, le ministre de l’Intérieur Amit Shah, principal homme de main de Modi, a juré que le gouvernement ne reculerait jamais sur la CAA. «Vous pouvez protester autant que vous voulez, mais le gouvernement Narendra Modi du BJP est ferme».

Modi a accusé les «Naxals des villes» et le Parti du Congrès de fomenter des troubles. Faisant référence aux insurgés maoïstes dans les jungles reculées des hautes terres de l’Inde, le BJP utilise désormais régulièrement le terme «Naxals des villes» pour traiter les opposants de violents et de traîtres. Développement inquiétant, le mois dernier Shah avait appelé la principale force anti-insurrectionnelle du gouvernement, la Force paramilitaire centrale de la Police de réserve, à prendre «des mesures… contre les Naxals des villes et ceux qui les encouragent».

Keith Jones

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS,le 18 décembre 2019

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Articles Par : Keith Jones

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