La presse écrite française sous perfusion

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Voici la diffusion (payée) en France des principaux quotidiens nationaux 2007/2009 avec mon estimatif 2010.
Source : OJD, http://www.ojd.com/

Titre  

2007 

2008  

2009 

 2010?  

Le Parisien/Aujourd’hui en France

523 513

512 535

488 542

465 600

Le Figaro

327 500

320 003

314 947

309 900

Le Monde

316 851

300 522

288 049

276 000

L’Équipe

323 184

311 457

303 305

295 300

Libération

132 356

123 352

111 584

100 900

Les Échos

119 092

121 026

121 357

121 300

La Croix

96 661

94 926

95 130

95 300

La Tribune

77 582

77 122

67 295

58 700

L’Humanité

50 901

49 384

47 801

46 200

France Soir

21 175

23 934

22 722

     ?

Il faut cependant noter que la presse quotidienne régionale dépasse largement la presse nationale au niveau des ventes. Selon l’OJD (1er mars 2009), le quotidien le plus vendu était le quotidien Ouest-France avec 768 226 exemplaires vendus(moyenne par jour).

L’association OJD est une association professionnelle française dont le rôle est de certifier la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, périodiques et de tout autre support de publicité.

Nous avons donc 1 934 261 journaux (payés) diffusés en 2008 et

1 860 732 en 2009 donc 73 529 de moins en un an soit –3,8% et cela n’est pas près de s’arrêter.

Il faudrait de plus ajouter une partie des 200 000 abonnements gratuits de l’opération « Mon journal offert » (explications plus bas) sans compter les opérations mises en place par les journaux eux-mêmes. Par exemple, 8000 jeunes recevront le journal Le Monde une fois par semaine, et ceci, subventionné par l’Etat.

La presse française est en pleine crise, d’ailleurs le quotidien Le Monde a perdu plus de 28 000 lecteurs en 2 ans. Les seuls à tirer leur épingle du jeu sont La Croix et Les Échos qui restent stables.

 

France Soir a lancé un grand plan de relance le 17 mars 2010 avec un budget communication de 20 millions d’euros, 500 000 exemplaires mis en place, ainsi que l’embauche d’une dizaine de journalistes. Vous avez donc l’explication de mon point d’interrogation sur les ventes 2010.

Le champion toute catégorie reste le journal Libération qui a perdu près d’un quart de ses lecteurs, une hémorragie !

En France, il faut le rappeler,  la désignation du responsable éditorial d‘un journal doit être approuvée par les journalistes. C’est le minimum pour souligner l’indépendance de la rédaction. Or, en 2005, Libération, renfloué par Edouard de Rothschild, a renoncé à ce statut (Serge July a été congédié) et depuis, la descente aux enfers de ce journal est patente car il passe de 142 557 ventes en 2005 à 111 584 en 2009, un record !

Pour l’estimatif 2010, j’ai appliqué (indépendamment pour chacun des journaux) le coefficient 2008/2009, une estimation « à minima » donc car l’agonie de la presse écrite devrait s’accélérer avec les nouvelles technologies et l’aggravation de la crise. Les chiffres des ventes des 10 plus grands journaux en 2010 (voir tableau ci-dessus) devront donc être l’objectif à atteindre pour les patrons de presse.

Selon la Direction générale des médias et des industries culturelles (DDM), la presse écrite française serait composée de 17 000 titres et aurait un chiffre d’affaire de 10.5 milliards d’euros réalisé essentiellement par 25% d’entre eux et d’après l’OJD ce sont près de 5 milliards d’euros en publicité qui sont investis dans la presse chaque année.

Toujours d’après la DDM, le nombre de titre, les budgets publicitaires et les ventes de la presse (payante) chutent lourdement. Les recettes se sont effondrées de 16% entre 2000 et 2008.

Voir le tableau au site suivant : Direction du développement des médias (Infomédias) 

 

Vous comprenez mieux le problème et pourquoi notre gouvernement s’est porté au secours des quotidiens nationaux au bord du gouffre. Dans le reste du monde, on assiste aux faillites répétées et à la concentration, en France, on concentre et on subventionne (par la dette), une tradition.

Nous assistons ainsi depuis quelques années a une concentration des médias dans les mains de quelques groupes puissants, ce que confirmait M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles du Sénat :

« De même, la majorité des médias est devenue en France la propriété de puissants groupes industriels qui se diversifient dans le secteur stratégique de la communication…Le problème du maintien de la diversité culturelle face à ces mouvements de concentration liés à des exigences économiques est donc clairement posé. » (http://www.senat.fr/rap/r04-468/r04-4681.pdf page 6)

M. Jean-François Kahn, directeur de Marianne page 12 (sur Sénat.fr ci-dessus) explique :

« Il ne faudrait pas croire que le phénomène de la concentration ne concerne que la France. Il s’agit d’un problème général qui n’existe pas seulement dans le secteur de la presse, mais qui le touche de plus en plus. A titre d’exemple, l’outil Internet est monopolisé par Windows de Microsoft et le marché des sodas par Coca-Cola.

Par ailleurs, ce phénomène ne relève pas d’un clivage entre la gauche et la droite ; il est totalement attentatoire à l’idéologie libérale. L’exemple italien le plus spectaculaire est la mainmise progressive d’un industriel sur les trois chaînes nationales et 95 % du marché de la presse, réussissant ainsi à prendre le pouvoir. Il s’agit d’un système quasiment soviétique ! »

Il ajoute plus loin :

« M. Murdoch qui est à la tête de 60 % des médias australiens… En outre, sans l’influence des médias détenus par M. Murdoch en Angleterre, aux Etats-Unis et en Australie, la guerre d’Irak n’aurait pas été possible parce que les opinions publiques nationales de ces pays auraient rejoint celles du reste du monde. »

Difficile d’être plus clair sur le rôle des médias, un aveu ! Une hyper concentration donc qui devrait s’amplifier avec la crise.

John Morton, consultant de nombreuses entreprises médias, responsable de l’entreprise Morton Researc Inc nous explique pourquoi les grands quotidiens sont les plus vulnérables:

« Les grands journaux métropolitains dépendent largement des annonces classées, le domaine le plus vulnérable vis-à-vis d’Internet. Les petits journaux obtiennent normalement 30 % de leurs revenus à partir des annonces classées. Pour les grands journaux métropolitains, cela peut aller jusqu’à 50 % et plus. Certains signes semblent indiquer que les annonces classées reviennent, mais elles ont été la cause majeure des problèmes rencontrés par les journaux métropolitains. Les journaux locaux sont plus proches de leurs lecteurs et moins vulnérables quand la conjoncture est mauvaise.»  (http://www.ifra.net/fr)

 

La Presse Quotidienne Régionale ( PQR ) a 17 millions de lecteurs (avec +30% d’audience sur leurs sites web) avec une baisse de 11% de ses recettes publicitaires alors que les grands quotidiens ont perdu 15% selon l’ODJ.

Cependant, les difficultés de la presse écrite ne peuvent être analysées sans étudier le développement du Net.

Internet qui est en effet devenu depuis 2008 la 2ème source d’informations nationales et internationales aux USA (et bientôt partout dans le monde), derrière la télévision, est en train de rendre obsolète la presse papier. Les nouvelles technologies comme les netbooks (mini ordinateur portable) en liaison avec le développement de l’Internet mobile qui permettent de s’informer partout avec un support vidéo devraient accélérer l’agonie des grands journaux. Selon L’OJD, grâce aux nouvelles technologies, la consommation des médias lors des déplacements a ainsi augmenté de 75,4% en 2008, elle devrait exploser (au détriment de la presse écrite) dans les années à venir.

D’après la dernière étude décennale du Ministère sur les pratiques culturelles des Français (2008) 73 % déclaraient lire un quotidien payant en 1997, ils sont 69% en 2008.

Ce mouvement s’amplifie auprès des plus jeunes, 20% des 15-24 ans déclaraient lire un quotidien en 1997. Ils ne sont plus que 10% en 2007.

Ainsi, 1,7 milliards de foyers sont connectés dans le monde. Cela représente 26% de la population mondiale.

 

L’Arcep Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dénombrait fin décembre 2009 plus de 19,7 millions d’abonnés au haut et très haut débit en France, soit 10 % de plus qu’en 2008.

Face à ce « rouleau compresseur », la presse écrite ne peut pas grand chose et Charlotte Hall, présidente de l’Association des rédacteurs en chef (ASNE), donnait le ton avec son « slogan mobilisateur » annoncé à la Convention annuelle qui s’est tenue à Washington en avril 2009 : « le journalisme au temps du choléra ».

Pour enfoncer le clou, la chaîne télévisée CNN  avait par ailleurs déclaré que le sénateur démocrate américain John Kerry responsable du sous-comité de communications au Sénat présentait les journaux écrits comme « une espèce en voie d’extinction ».

Bernard Spitz, Directeur de la stratégie de Vivendi UniversaI jusqu’en 2004, ancien conseiller du Premier ministre Michel Rocard, journaliste au journal Le Monde et surtout délégué à la coordination des Etats généraux (présidentiels) de la presse, soulignait: « outre les avancées économiques et juridiques, les états généraux de la presse ont été, pour les acteurs, une étape décisive dans la prise de conscience de la révolution en train de s’accomplir. La presse n’est pas morte mais son modèle change. Elle entre dans une époque où le support électronique sera la règle pour tous, et le support papier, l’exception. » Des propos qui font écho à ceux d’Alain Giraudo: »Bref l’écrit n’est pas mort, c’est la matière sur laquelle on l’imprimait qui l’est ».

Mais il existe un autre problème et non des moindres.

Pour comprendre, il faut relire l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui précise : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » J’avais écrit l’année dernière « faillite des médias et démocratie » qui exposait les enjeux de la presse écrite. (http://gillesbonafi.skyrock.com/)

Ainsi, alors que la dictature enferme ou assassine les journalistes et intellectuels qui osent s’exprimer, nos « démocraties » ont inventé un concept novateur: la non existence.  En fait, on peut tout dire, sauf dans les journaux ou à la télévision.

D’ailleurs, Reporters sans frontières (RSF) qui avait classé la France 35ème dans son classement mondial de la liberté de la presse dans le monde en 2008, la place désormais en 2009 à la 43ème place derrière le Surinam mais aussi le Mali et la Namibie. Encore un petit effort et nous serons au niveau de la Chine (168ème). Il faut noter qu’Israël est 93ème. (http://www.rsf.org/fr-classement1001-2009.html)

Alain Giraudo un journaliste qui anime un blog sur les médias nous livre une analyse impertinente comme on les aime sur le Net:

« Je crains donc qu’en glissant sémantiquement de la notion de « liberté de l’information » à celle de «liberté de la presse » on ne fasse qu’embrouiller les choses. Or c’est derrière cet étendard que se massent les rédactions qui ne sont pas capables d’appliquer à leur activité la grille d’analyse critique qui doit être le fondement de leur métier. Il est tellement plus facile de désigner l’impéritie des dirigeants, ou le totalitarisme rampant du pouvoir politique en clamant que ce qu’on fait est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Tellement plus facile que de faire son autocritique.

Ceux qui brandissent aujourd’hui la « liberté de la presse » ont autre chose en tête que la « liberté de l’information ». En fait ils voudraient que par une sorte de miracle une activité irrémédiablement en déclin soit maintenue sous perfusion afin essentiellement de préserver des emplois. Or pourquoi faudrait-il préserver des emplois dans la presse écrite telle qu’elle est aujourd’hui? »

http://www.chienecrase.com/?p=68 

En effet, pourquoi subventionner une presse qui est devenue « la voix de son maître »?

Pour parler des subventions, 70 millions d’euros ont été débloqués pour l’aide au portage sur une période de trois ans et 20 millions d’euros d’aide ont été octroyés au service de la presse en ligne (Spel).

La commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2010 (n° 1946) nous donne des chiffres précis qui montrent l’ampleur de l’aide à la presse, un malade sous perfusion :

« En 2010, les crédits du programme « Presse » enregistrent une hausse exceptionnelle de près de 51 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2009. Ils atteignent ainsi 419,3 millions d’euros en 2010 contre 277,7 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2009.

Le programme « Presse » se décompose en deux actions :

– les crédits correspondant aux abonnements que l’État souscrit à l’Agence France-Presse dont le montant est fixé à 113,38 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances contre 111,38 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2009.

– et les aides à la presse, qui augmentent de 84 %, passant de 166,3 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2009 à 305,9 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. »

Source : http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2010/a1968-tVI.asp page 7.

De plus, le moratoire sur la hausse des tarifs postaux devrait coûter cher à la poste. Les 200 000 offres d’abonnement gratuit de l’opération « Mon journal offert » lancée le 27 octobre 2009 en direction des jeunes de 18-24 ans auront un coût de 15 millions d’euros supportés par le ministère de la culture et de la communication sur 3 ans dont 5 millions en 2009. Frédéric Mitterrand avait par ailleurs indiqué que ce seuil pourrait être relevé au cours des deux prochaines années. La moitié des coûts de cette opération étant à la charge des groupes de presse, une opération qui concerne 59 titres dont l’Equipe. (http://www.monjournaloffert.fr/)

Il faut d’ailleurs se poser la question de savoir comment Presstalis, le premier distributeur de presse en France, ex-NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne) qui a un fonctionnement coopératif va être réformé (rapport de l’inspecteur des finances Bruno Mettling)?

La mutualisation des coûts, la façon de calculer les tarifs facturés aux éditeurs, devant disparaître au profit de qui? Certains craignent que les petites structures qui sont les plus indépendantes ne paient les pots cassés.

En conclusion, ce tour d’horizon de la presse écrite est à l’image de notre monde, un monde en pleine déliquescence dans lequel on fait payer l’esclave pour ses propres chaînes. John Swinton, rédacteur en chef du New York Times, en 1880, avait d’ailleurs affirmé que les journalistes étaient « des prostituées de l’intellect »

En 1881 le député Charles Floquet, lors du débat sur la liberté de la presse avait clairement affirmé que la presse était la clé du système de domination car elle était (et est toujours) « le gardien du temple » qui empêche toute remise en cause de notre système économique, une réalité plus que jamais d’actualité:

« Si vous examinez la presse actuelle que voyez-vous ? Vous voyez des grandes organisations financières installées pour accaparer la pensée humaine, la pensée politique !»

Gilles Bonafi est professeur et analyste économique.



Articles Par : Gilles Bonafi

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