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La protection des minorités russophones en Europe: des textes à la réalité
Par Catherine Roman
Mondialisation.ca, 02 août 2022
FranceSoir Tribune 1 août 2022
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Afin d’illustrer l’hypocrisie derrière les textes, les décisions souvent illégales de certains pays européens, dont l’Ukraine et les Pays Baltes, nous interpellent. Dans le cadre de la protection des minorités et de la défense des langues régionales ou minoritaires, le Conseil de l’Europe (organisation intergouvernementale instituée en 1949) s’est notamment mis en avant. Son silence face à la montée de la russophobie et aux traitements discriminatoires des citoyens russophones dans ces pays est à l’image actuelle des institutions européennes totalement soumises au diktat américain, sans aucun discernement.

I – Convention et charte signées sous l’égide du Conseil de l’Europe

Outre les textes internationaux adoptés dans le cadre de l’ONU ou de l’Union européenne, la protection des minorités est assurée par deux textes majeurs du Conseil de l’Europe. L’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales a été adoptée, entre autres, par l’Ukraine et les Pays Baltes, tandis que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, que les Etats baltes n’ont pas encore signée, a été ratifiée par l’Ukraine.

A – L’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales (FCNM)

La Convention cadre, entrée en vigueur le 1er février 1998, est le premier instrument multilatéral juridiquement contraignant consacré à la protection des minorités nationales en général. Elle englobe un large éventail de sujets essentiels à la protection des minorités nationales et spécifie clairement que celle-ci fait partie intégrante de la protection des droits de l’homme.
La Convention énonce les principes concernant les personnes appartenant à des minorités nationales dans le domaine de la vie publique, comme :

•    La non-discrimination
•    La promotion de l’égalité effective
•    La promotion et la sauvegarde de la culture, de la religion, de la langue et des traditions
•    La liberté de réunion pacifique
•    La liberté d’association
•    La liberté d’expression
•    La liberté de pensée, de conscience et de religion
•    Le droit à l’accès et à l’utilisation des médias
•    Libertés concernant la langue et l’éducation
•    Relations et coopération transfrontalières
•    Participation à la vie économique, culturelle et sociale
•    Interdiction de l’assimilation forcée.

Le mécanisme de suivi de la Convention repose sur les rapports que les États ont l’obligation de présenter. La responsabilité ultime de l’examen des rapports incombe au comité des ministres, mais celui-ci est aidé dans cette mission par un comité consultatif formé d’experts.

1. Extraits des déclarations de l’Ukraine (5ᵉ rapport soumis au titre de l’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales)

L’Ukraine a ratifié cette Convention cadre sans réserve et la législation ukrainienne n’y prévoit pas de dérogation ou restriction relative à cet accord international. L’Ukraine décline, entre autres, dans sa législation les principes suivants :

–    La sauvegarde des droits des minorités nationales est garantie, entre autres, par la Constitution de l’Ukraine et les traités internationaux approuvés par la Verkhovna Rada ainsi que par la loi « sur les minorités en Ukraine » ;
–    La protection des minorités fait partie de la politique ukrainienne mise en place dans le cadre de son intégration aux valeurs européennes et euro-atlantistes ;
–    Au niveau législatif, il existe des garanties pour la préservation et le développement de toute forme de diversité linguistique. L’article 11 de la législation ukrainienne « sur les minorités nationales en Ukraine » affirme notamment qu’aucun citoyen ne puisse être forcé sous quelque forme que ce soit à renoncer à son appartenance ethnique ;
–    Le Code pénal ukrainien (Première partie, Article 161) prévoit également de condamner les actes incitant à la haine, au racisme, à l’intolérance et au culte de la violence.

2. Extraits des déclarations de la Lettonie (4ème rapport soumis au titre de l’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales)

La Lettonie s’engage à respecter ses obligations découlant de cette Convention cadre et stipule dans son rapport notamment les points ci-joints :

–    Les droits des minorités sont garantis par la Constitution lettone et par le droit international
–    La Lettonie a participé au programme de la Commission Européenne « Droits, Egalité et Citoyenneté » (2014-2020) qui avait pour but de promouvoir la non-discrimination, combattre le racisme et promouvoir les droits découlant de la citoyenneté de l’Union européenne.

3. Extraits des déclarations de la Lituanie (5ème rapport soumis au titre de l’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales)

La Lituanie a été un des premiers pays européens à signer la Convention cadre. Il en découle les affirmations suivantes :

–    La langue est un des principaux facteurs de l’identité des minorités nationales et, à ce titre, a été transcris dans le droit lituanien et dans sa Constitution (article 37) au même titre que la culture et les coutumes des minorités ;
–    La discrimination de toute forme y compris celle basée sur la nationalité, la race, l’ethnie est passible de poursuites en vertu du code pénale (Chapitre XXV – articles 169 et 170).

4. Extraits des déclarations de l’Estonie (5ᵉ rapport soumis au titre de l’article 25, paragraphe 2 de la Convention cadre pour la Protection des Minorités Nationales)

L’Estonie considère important d’informer ses concitoyens et habitants de leurs droits et obligations au regard de cette Convention cadre. L’Estonie se présente comme un pays multiculturel garanti par la déclinaison notamment des points tels que :

–    Le principe de non-discrimination est inscrit dans la Constitution estonienne (paragraphe 12), dans la loi à travers « the Equal Treatment Act » et a été renforcé par le « Welfare Development Plan 2016-2023 » qui vise à limiter les stéréotypes, développer le sentiment de tolérance et protéger les droits ;
–    Le Code pénal estonien (paragraphes 151-153) prévoit des condamnations face à des actes mettant en exergue l’inégalité.

B – La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

Entrée en vigueur le 1er mars 1998, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est une initiative du Conseil de l’Europe dont un de ses principaux objectifs est la sauvegarde et la promotion de la richesse et de la diversité du patrimoine culturel de l’Europe, dont les langues régionales ou minoritaires font partie.

Le but de la Charte est d’assurer, dans la mesure du possible, l’emploi de ces langues dans l’enseignement, les médias, la vie juridique, économique et culturelle.

II – Une réalité qui vient contredire les textes

A – L’Ukraine

Dans son 5ᵉ rapport soumis dans le cadre de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales en date du 10 janvier 2022, l’Ukraine met en avant sa diversité culturelle comme faisant partie de l’identité du peuple ukrainien et garantit les droits des personnes issus des minorités nationales.

Les événements qui ont suivi le soulèvement de Maïdan en 2014, le conflit dans le Donbass et la non-application des accords de Minsk, ont mis en lumière l’absence de volonté du régime de Kiev de considérer les Russophones comme des citoyens à part entière. Ceci s’illustre également par la signature, le 21 juillet 2021, par le président Volodymyr Zelensky, de la loi sur les « peuples autochtones d’Ukraine » qui prévoit que seuls les Ukrainiens d’origine scandinave, ainsi que les Tatars et les Karaïtes ont « le droit de jouir pleinement de tous les Droits de l’homme et de toutes les Libertés fondamentales », privant ainsi les Ukrainiens d’origine slave des mêmes droits.

L’interdiction des partis russophones vient également contredire les déclarations du gouvernement ukrainien, qui garantissait la participation des personnes appartenant aux minorités à la vie publique. L’usage même de la langue russe commence à être interdit.
À ceci s’ajoute l’exclusion de la culture russe, y compris des auteurs tels que Pouchkine, Tolstoï et Dostoïevski, mettant en avant l’intolérance qui règne au sein du gouvernement à Kiev et son absence de culture, sachant que nombre de ces auteurs russes ont, à leur époque, vu leurs desseins contrariés par les autorités russes.

La religion orthodoxe n’est pas non épargnée de toute pression avec la tentative d’incendies d’églises.

B – La Lettonie

Bien que la Constitution lettone prévoie que les personnes issues des minorités ethniques aient le droit de préserver et développer leur langue, identité ethnique et culturelle et que toute personne ait le droit de s’associer et fonder des parties politiques, des actes visant à discriminer les Russophones sont de longues dates identifiés, et se sont amplifiés au regard de l’opération spéciale russe en Ukraine. On peut citer, à titre d’exemples, les événements récents suivants :

–    Interdiction du « leader » de « Russian Union of Latvia » de participer au principal rassemblement politique national (Lampa festival) où traditionnellement tous les partis politiques significatifs prennent la parole.  ;
–    Le blogueur russophone, Kirill Fedorov, a été arrêté à Riga pour soutien aux actions russes dans le Donbass. Selon ses déclarations, il a été torturé lors de son séjour dans les geôles lettones. Ces accusations de maltraitance sont renforcées par la description faite par le journaliste défenseur des droits de l’homme, Vladimir Linderman, de son arrestation.

C  – La Lituanie

En contradiction avec les valeurs affichées contre les discours de haine, l’Agence Nationale Lituanienne pour l’Éducation a présenté récemment ses excuses face aux courriers amicaux adressés par les étudiants lituaniens aux écoliers russes.

III – Loin de garantir la paix et la prospérité, la non-application des accords internationaux signés est un facteur d’instabilité mondiale

Les bouleversements de l’histoire européenne ont montré que la protection des minorités nationales est essentielle à la stabilité, à la sécurité démocratique et à la paix du continent. Les événements récents en Ukraine ont montré que la négation des droits d’une minorité ethnique était source de déstabilisation du continent et un frein à la croissance économique.

On peut citer, à ce titre, les statistiques annuelles d’Eurostat qui placent les Pays Baltes parmi les pays les plus inflationnistes de l’Union européenne (Estonie : + 22 %, Lituanie : + 20,5 %, Lettonie : + 19,2 %) tandis que l’inflation annuelle dans l’Eurozone atteint un niveau historique de 8,6 % en juin sous l’effet, entre autres, des sanctions anti-russes.

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De même, les valeurs de l’Occident, au regard de la démocratie comme instrument de développement, doivent être analysées, selon la Convention cadre dans sa 9ᵉ édition de décembre 2020, qui statut « qu’une société pluraliste et véritablement démocratique doit non seulement respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale, mais également créer des conditions propres à permettre d’exprimer, de préserver et de développer cette identité ».

En conclusion, comme nous l’avons identifié précédemment, certains États appliquent désormais les accords internationaux signés, selon leur propre interprétation, ce qui engendre des situations dangereuses et totalement injustes. L’absence de réponse des organes européens, notamment dans le cas actuel, montre bien une complaisance de ceux-ci et leur absence totale d’impartialité. Le droit international ne souffre pas la maxime tristement célèbre de « deux poids, deux mesures ».

Catherine Roman

 

Principales sources : Conseil de l’Europe, Viepublique.fr, touteleurope.eu

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