La Réserve fédérale monte les décors pour une hyperinflation style Weimar

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La Réserve fédérale (Fed) a carrément refusé la requête de l’un des principaux service de presse financiers, de révéler le nom des bénéficiaires d’un prêt d’urgence de plus de 2 billions de dollars du contribuable, et de faire connaître les actifs qu’elle accepte en garantie. Ses avocats ont eu recours à l’excuse bizarre d’agir ainsi pour protéger les « secrets commerciaux. » Est-ce un secret que le système financier étasunien soit de facto en faillite ? La dernière démarche de la Fed est en outre révélatrice du degré de panique et du défaut de stratégie claire dans les rangs les plus élevés de l’institution financière étasunienne. Le gonflement sans précédent par la Fed de la Base Monétaire ces dernières semaines, crée les conditions futures, peut-être avant 2010, d’une d’hyperinflation style Weimar.

Le 7 novembre, Bloomberg a déposé un recours en justice, en vertu de la US Freedom of Information Act (FOIA, loi garantissant le droit à s’informer librement), demandant des détails sur les clauses de onze nouveaux plans de prêts de la Fed, créés pendant l’aggravation de la crise financière.

La Fed a répondu le 8 décembre, affirmant son droit à cacher les notes de service internes ainsi que les informations sur les « secrets commerciaux » et les « données commerciale. » La banque centrale a confirmé qu’une recherche dans les dossiers trouvait 231 pages de documents relatifs à la requête.

Ces dernières semaines, la Fed de Bernanke est intervenue pour assumer la mission qui était l’objectif initial des 700 milliards de dollars du Troubled Asset Relief Program (TARP, plan de retape pour avoirs toxiques) de la Trésorerie. À la différence du TARP, dans le renflouage par la Fed d’une institution financière en difficulté, les prêts ne disposent pas des garanties du contrôle imposé par le Congrès. Peut-être que ce sont les « secrets commerciaux, » si jalousement gardés du public, de l’infortuné président de la Fed, Ben Bernanke.

L’hyperinflation approche ?

Le total des prêts d’urgence de la Fed a dépassé les 2 billions de dollar le 6 novembre. De manière surprenante, il a grimpé de 138 pour cent, ou 1,23 billions de dollars, en 12 semaines depuis le 14 septembre, lorsque les gouverneurs des banques centrales ont assoupli les normes de garantie pour accepter des valeurs mobilières non notées AAA. Ils ont fait cela en sachant qu’un choc dramatique pour le système financier surviendrait dans les jours suivants, puisque, de concert avec l’administration Bush, ils ont décidé de le laisser se produire.

Le 15 septembre, l’administration Bush avec Bernanke et Tim Geithner, président de la Fed de New York et nouveau Secrétaire au Trésor désigné par Obama, ont convenu de laisser couler Lehman Brothers, la quatrième plus grande banque d’affaires, qui ne peut plus payer les intérêts des produits dérivés et des autres obligations, pour une valeur incalculable en milliards, détenus par des investisseurs dans le monde entier. Cet événement, tel que c’est maintenant largement admis, a déclenché une panique financière systémique, car personne ne savait plus bien quelles normes appliquait le gouvernement pour décider qu’un établissement était « trop gros pour sombrer » ou qu’il ne l’était pas. Depuis lors, le Ministre des Finances a inversé sa politique de renflouage bancaire à plusieurs reprises, ce qui a fait penser à beaucoup qu’Henry Paulson et l’administration de Washington avec la Fed, avaient perdu tout contrôle.

En réponse à l’accentuation de la crise, la Fed de Bernanke a décidé de dilater ce qui est techniquement appelé la Base Monétaire, définie par le total des réserves des banques et l’argent en circulation, la base pour de possibles prêts bancaires très important dans l’économie. Depuis la défaillance de Lehman Brothers, cette base monétaire a grossi de façon spectaculaire en fin octobre, au taux de 38% d’une année à l’autre, ce qui était sans précédent en 95 ans d’histoire de la Fed, depuis sa création en 1913. Selon les données de la Fed, le taux de croissance antérieur le plus haut était de 28% en septembre 1939, au moment où les États-Unis développaient l’industrie pour la guerre en Europe.

Dans la première semaine de décembre l’expansion de la base monétaire est passée au taux incroyable de 76% en seulement 3 mois. Elle est passée de 836 milliards de dollars en décembre 2007, au moment où la crise semblait contenue, à 1.479 milliards de dollars en décembre 2008, une explosion de 76% en un an. En outre, jusqu’à septembre 2008, le mois de l’effondrement de Lehman Brothers, la Fed maintenait l’essor de la base monétaire pratiquement à plat. L’expansion de 76% s’est déroulée presque entièrement dans les trois derniers mois, ce qui implique un taux d’accroissement annualisé de plus de 300%.

En dépit de cela, les banques ne prêtent plus, ce qui signifie que l’économie étasunienne est en chute libre dans une dépression à une échelle sans précédant depuis les années 30. Les banques ne prêtent plus en grande partie du fait des règles de prêt des accords bancaires internationaux de Bâle, qui les force à mettre de côté 8% de leur capital en garantie de tout nouveau prêt commercial. Les banques n’ont encore aucune idée de la somme de leurs possessions en hypothèques et autres titres véreux, susceptibles de perdre leur valeur dans les mois à venir, ce qui les force à lever des sommes de capitaux énormes pour rester solvable. Il est bien « plus sûr » de raisonner comme elles le font : passer leurs avoirs toxiques à la Fed pour gagner des intérêts sur les billets de banque du Trésor obtenus en retour, qu’elles détiennent maintenant. Le prêt bancaire est risqué en période de dépression.

Par conséquent, les banques échangent 2 billions de dollars de présumés déchets toxiques, composés de titres adossés à des hypothèques à risque, d’actions et d’autres crédits à haut risque, contre de la monnaie de la Fed et des bons du Trésor ou d’autres titres du gouvernement notés (toujours) AAA, c’est-à-dire sans risque. Le résultat est que la Fed détient quelque 2 billions de dollars, composé en majorité de titres de pacotille du système financier. Les emprunteurs incluent Lehman Brothers, Citigroup et JPMorgan Chase, la plus grande banque d’affaires des États-Unis. Les banques s’opposent à toute divulgation d’information parce que ça pourrait signaler leur « faiblesse » et stimuler la vente à découvert ou un retrait précipité de leurs déposants.

Ce qui rend la situation encore plus critique, c’est le modèle bancaire utilisé en premier par les banques étasuniennes à partir de la fin des années 70 pour augmenter les dépôts, c’est-à-dire, acquérir des « dépôts en gros » en empruntant du jour au lendemain auprès d’autres banques sur le marché interbancaire. Depuis la défaillance de Lehman Brothers, la perte de confiance est si grande qu’aucune banque nulle part n’ose s’en remettre assez à ses consœurs pour emprunter. Cela laisse seulement l’activité de dépôt au détail du secteur privé et des sociétés d’épargne ou de vérification des comptes.

Remplacer le dépôt de gros par le dépôt de détail est un processus qui dans le meilleur des cas prendra des années, pas des semaines. Naturellement, la Fed ne veut pas en discuter. C’est manifestement aussi à l’origine de son refus brutal de révéler la nature de ses 2 billions de dollars d’avoirs acquis auprès des banques membres et des autres institutions financières. Autrement dit, c’était à la Fed de révéler au public précisément quelle « garantie » elle a reçu des banques, le public connaîtrait ainsi les pertes possibles que peut subir le gouvernement.

Le Congrès exige plus de transparence de la Fed et du Trésor sur son prêt de renflouage. Le 10 décembre, lors d’auditions du Comité des Services Financiers de la Chambre, le député David Scott, un Démocrate de Géorgie, a déclaré que les Étasuniens ont été « embobinés, «  un terme argotique pour escroqués.

Hoquet et ouragan

Le président de la Fed, Ben S. Bernanke, et le Secrétaire au Trésor, Henry Paulson, ont dit en septembre qu’ils satisferaient devant le Congrès aux demandes de transparence pour les 700 milliards de dollars du renflouage bancaire. La Freedom of Information Act oblige les agences fédérales à mettre les documents gouvernementaux à la disposition de la presse et du public.

Début décembre, l’organisme de surveillance du Congrès, le GAO, a émis son premier mandat d’examen sur le prêt de 700 milliards du TARP fait par le Trésor. Cette analyse a noté qu’en 30 jours, après le début du programme, le bureau de Henry Paulson a remis 150 milliards de dollars du contribuable aux institutions financières, sans nécessité de rendre compte sur comment est utilisé l’argent. Il semble que le Trésor de Henry Paulson ait vraiment jeté un « tarp » sur l’ensemble du renflouage du contribuable [le sigle TARP évoque le mot tarp qui signifie bâche (=>camouflage), ndt]. 

Renforçant ainsi les ennuis dans l’ancienne Mecque du monde financier, le Congrès des États-Unis, en grande partie pour des raisons idéologiques, a choqué le système financier en refusant de donner même une misérable somme de 14 milliards de dollars de prêts d’urgence aux trois grands de l’automobile, General Motors, Chrysler et Ford .

S’il y a des chances que le Trésor étende le crédit d’urgence aux entreprises jusqu’au 20 janvier ou jusqu’à ce que le Congrès nouvellement élu puisse réfléchir à un nouveau plan, la perspective d’une réaction en chaîne de faillites dues à l’effondrement des trois sociétés géant est très proche. Ce qui est laissé en dehors du débat, c’est que ces trois sociétés réunies constituent 25% de toutes les obligations d’entreprises en circulation aux États-Unis. Elles sont détenues par des fonds de pension privés, des fonds communs de placement, des banques et autres. Si les fournisseurs de pièces d’automobile des trois grands sont inclus, on estime qu’un billion d’obligations de sociétés risquent maintenant d’être en non-paiement par réaction en chaîne. Ce genre de faillite pourrait déclencher un cataclysme financier qui ferait ressembler ce qui s’est passé depuis Lehman Brothers à un simple hoquet dans un ouragan.

En plus, les actions de panique de la Fed depuis septembre, par son grossissement explosif de la base monétaire, ont ouvert les vannes d’une hyperinflation zimbabwéenne. Le nouvel argent n’est plus « gelé » grâce aux actions de compensation de la Fed, une démarche très exceptionnelle indiquant son désespoir. Avant septembre, les perfusions d’argent de la Fed étaient gelées, pour rendre « neutre » l’effet d’inflation possible.

Définition d’une très grande dépression

Ça veut dire que, dès que les banques recommenceront enfin à prêter, dans un an peut-être, ça inondera de liquidités l’économie étasunienne au milieu d’une dépression déflationniste. À ce moment-là ou peut-être bien avant, le dollar s’effondrera en tant que titulaire étranger des bons du Trésor étasunien et des autres actifs en circulation. Ce ne sera pas agréable car le résultat pourrait être une forte appréciation de l’euro et un effet paralysant sur les exportations en Allemagne et ailleurs, si les pays de l’UE et les autres pays en dehors du dollar comme la Russie, les membres de l’OPEP et, surtout, la Chine n’organisent pas une nouvelle zone de stabilisation séparée du dollar.

Le monde sera confronté aux plus grands défis financiers et économiques de l’histoire dans les mois à venir. La future administration Obama est face au choix de nationaliser littéralement le système de crédit, afin de garantir le flux de crédit pour l’économie réelle au cours des 5 à 10 ans prochains, ou face à une apocalypse économique à côté de laquelle les années 30 ressembleront à une légère récession.   

En laissant de côté ce qui paraissait être de flagrantes manipulations politiques des principales données économiques de la part de l’administration étasunienne actuelle avant l’élection de novembre, dans une vaine tentative de minimiser l’ampleur de la crise économique en cours, les chiffres sont sans précédent. Pour la semaine se terminant le 6 décembre, les déclarations initiales sur le chômage ont grimpé au niveau le plus haut depuis novembre 1982. Plus de quatre millions de travailleurs subsistent au chômage, ce qui est également un maximum depuis 1982, et en novembre les entreprises étasuniennes ont réduit l’emploi au rythme le plus rapide en 34 ans. À ce jour, quelques 1.900.000 emplois ont disparu aux États-Unis en 2008.

En aparté, juste un sujet en rapport pour ceux qui ont la mémoire longue. 1982 fut le fond de ce qui fut alors appelé la Récession Volcker. Paul Volcker, une tentacule de la famille Rockefeller chez Chase Manhattan, a été attiré de New York pour appliquer sa « thérapie de choc » des taux d’intérêt à l’économie, afin, comme il l’a dit, « d’extirper l’inflation de l’économie. » Il a beaucoup trop extirpé puisque l’économie est entrée en récession, et sa politique de taux d’intérêt élevé a fait exploser ce que l’on a appelé la Crise de la Dette du Tiers Monde. Ce même Paul Volcker a été nommé par Barack Obama au poste de président du nouvellement constitué Economic Recovery Advisory Board (conseil consultatif pour le redressement économique) du Président, ce qui n’est guère un motif de louange.

La débâcle économique en cours aux États-Unis a été entraînée par l’effondrement des 3 billions du marché à haut risque du subprime et des prêts hypothécaires de classe Alt-A. Bernanke, le président de la Fed a été enregistré déclarant que le pire devrait être terminé fin décembre. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité, comme il le sait bien. Ce même Bernanke déclarait en octobre 2005 qu’« aucune bulle immobilière n’allait faire faillite. » Voilà pour la qualité des prédictions de cet économiste de Princeton. Le S&P Case-Schiller US National Home Price Index, couramment utilisé, montrait une chute de 17% par an au troisième trimestre, une tendance en augmentation. Selon certaines estimations, il faudra encore cinq à sept ans avant que les prix de l’immobilier étasunien atteignent le fond. En 2009, comme la révision des taux d’intérêt sur quelque 1 billion de valeurs Alt-A des prêts hypothécaires étasuniens commencera à verser sa quote-part, le taux d’abandon de domicile et de saisie immobilière va exploser. Peu des soi-disant programmes d’amélioration du prêt hypothécaire proposés à ce jour n’atteindront la grande majorité touchée. Ce processus, à son tour, permettra l’accélération puisque des millions d’Étasuniens perdront leur job dans les prochains mois.

John Williams, du très respecté rapport du Shadow Government Statistics, a récemment publié une définition de la Dépression, un terme qui a été délibérément retiré en tant qu’événement non reproductible du lexique économique après la Seconde Guerre Mondiale. Depuis lors, tout ralentissement est appelé « récession. » Williams m’a expliqué il y a quelques années qu’il avait beaucoup de mal à interroger les autorités économiques du Bureau des Analyses Économiques du Ministère du Commerce étasunien et du Bureau National de Recherche Économique (NBER), ainsi que de nombreux économistes du secteur privé, pour trouver une définition plus précise de « récession, dépression » et « grande dépression. » C’est à peu près la seule tentative de donner une définition plus précise de ces termes.

Ce qu’il a trouvé était la première définition officielle du NBER du terme récession : Deux ou plusieurs trimestres consécutifs de décroissance du PIB réel, ou la limitation de la masse salariale des employés et de la production industrielle. Une dépression est une récession dont le pic bas de décroissance dépasse 10% du PIB. Selon Williams, dans une Grande Dépression, le pic bas de décroissance dépasse 25% du PIB.

Dans la période allant d’août 1929 jusqu’à ce qu’il quitte son mandat, le Président Herbert Hoover supervisa 43 mois d’une longue décroissance économique étasunienne, de 33%. Barack Obama semble en passe de battre ce record, en présidant ce que les historiens pourraient vraisemblablement appeler la Très Grande Dépression de 2008-2014, à moins qu’il ne trouve une nouvelle équipe de conseillers financiers avant le jour d’inauguration de son mandat, le 20 janvier. En évitant absolument des choses du style recyclage du président de la Fed de New York, comme Paul Volckers ou Larry Summers. Le besoin est dans une stratégie radicalement nouvelle, plaçant la quasi-totalité de l’économie des États-Unis dans quelque forme de réorganisation d’urgence des faillites, du style « Chapitre 11 » où les banques passent en pertes sèches jusqu’à 90% de leurs avoirs toxiques afin de sauver l’économie réelle pour la population étasunienne et le reste du monde. Le papier monnaie peut facilement être détruit. Pas la vie humaine. Dans le processus, il serait peut-être temps pour le Congrès d’envisager de réintégrer la Fed sous le giron du gouvernement fédéral, comme le spécifie la Constitution originale, et rende plus facile pour chacun l’opération entière. Si cela paraît extrême, relisez peut-être cet article dans six mois.

Article original en anglais, Federal Reserve sets stage for Weimar-style Hyperinflation, le 15 décembre 2008.

Traduction: Pétrus Lombard.



Articles Par : F. William Engdahl

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