La Restitution des biens culturels africains

Photo : CC – Flickr – PhCouve)

Louis-Georges TIN mène une campagne pour la Restitution des biens culturels pillés pendant la Colonisation. Son travail, notamment dans le cadre du CRAN (Conseil Représentatif des associations Noires de France) dont il a été le président, a abouti à la déclaration du président français, Emmanuel Macron, en faveur de la Restitution. Aujourd’hui, en tant que Premier Ministre de l’État de la Diaspora Africaine, il se bat au niveau international, en Belgique, au Royaume-Uni, au Bénin, au Congo, etc. Il prononce ici la conférence d’ouverture d’un colloque coorganisé par le Parlement Francophone Bruxellois, Bamko-Cran (Belgique) et l’État de la Diaspora Africaine. Intervenaient également la présidente du Parlement, Julie de Groote, Mireille-Tsheusi Robert, représentante de Bamko-Cran, le directeur du Musée Royal de Tervuren (Belgique), Anne Wetsi Mpoma, historienne de l’art et Didier Claes, vice-président de la BRAFTA (Brussels Art Fair).

Permettez-moi de présenter rapidement l’État de la Diaspora Africaine qui a été lancée lors du sommet de l’Union Africaine, en juillet 2018. La diaspora africaine c’est l’ensemble des personnes qui ont quitté l’Afrique, que ce soit il y a trois jours ou trois siècles, dans un cadre de migration ou de déportation. J’étais jusqu’à récemment le président du CRAN en France, et une de nos campagnes, pour ne pas dire la campagne essentielle, portait et porte encore sur la question des réparations liées à l’esclavage et à la colonisation. Or dans cet ensemble, il y a entre autres la question de la restitution. Dans le cadre de la diaspora africaine, ces questions ont une importance capitale, car si notre but est de renforcer l’Afrique par la diaspora, et la diaspora par l’Afrique, on ne peut pas se développer quand on n’a pas d’abord pris possession de ce qui nous appartient. Donc il faut déjà que nous puissions récupérer ce qui nous a été enlevé, pour que nous puissions ensuite développer ce qui doit l’être. Nous avons lancé cette campagne en France, où nous avons obtenu une victoire importante, et nous souhaitons aujourd’hui l’élargir au niveau international, d’où ma présence ici.

Mais je rappellerai un peu comment les choses se sont passées en France : j’ai lancé la campagne le 10 décembre 2013 avec une visite surprise du musée du Quai Branly. J’ai proposé à plusieurs journalistes de venir voir, notamment autour du Bénin, les objets qui sont effectivement exposés : les trônes royaux, les récades, les portes sacrées du Palais d’Abomey, les statues royales. Lorsque nous sommes arrivés devant le musée, on nous a expliqué que nous (les membres du CRAN) ne pouvions pas entrer. Les journalistes, oui, mais nous, non. J’ai demandé pourquoi, mais on ne m’a pas donné de raison. J’ai demandé si c’était en raison de notre couleur. J’ai ajouté que ce n’était pas un problème, seulement, je priais les journalistes de prendre bonne note de la situation et d’en témoigner dans leurs articles et dans leurs vidéos. Aussitôt, comme par miracle, le problème a été réglé. C’est ainsi que nous avons commencé la campagne.

Après cela, il y a eu beaucoup de rebondissements, je ne vais pas tout vous raconter ce serait un peu long. En résumé, nous avons interpellé d’abord les rois du Bénin : ce sont les héritiers des souverains qui ont été spoliés, déportés ou tués. Nous avons mobilisé le Forum des Rois et Leaders traditionnels d’Afrique, qui rassemble pas moins de 800 monarques du continent. Nous avons interpellé un certain nombre de pays : le Bénin, par exemple, a répondu à notre demande et a adressé à la France une demande officielle, en lien avec le combat qui est le nôtre. Nous avons aussi interpellé l’UNESCO, l’ONU, le Conseil des droits de l’homme, nous avons lancé des actions judiciaires, et tout cela a porté ses fruits.

Emmanuel Macron a finalement accédé à notre requête. Nous lui avons expliqué qu’il était compliqué de restituer, mais plus compliqué encore de ne pas restituer, que la France ne peut pas être « le pays des droits de l’homme », et en même temps, le pays des droits des voleurs. Et on ne peut pas fonder un dialogue interculturel sur un pillage interculturel. C’est donc l’image de la France qui est en jeu et, franchement, ai-je expliqué, les Français ne vont pas pleurer dans les chaumières parce qu’on a rendu au Bénin le trône du roi Ghézo, dont ils n’ont jamais entendu parler pour la plupart. A défaut de se fonder sur des questions morales, on peut à tout le moins se fonder sur des questions d’image. Nous avons donc obtenu, en novembre 2017, que monsieur Macron s’engage à restituer, engagement qu’il a pris lors de son discours de Ouagadougou. C’est pour nous un motif de satisfaction. Aujourd’hui, nous abordons aussi les anciennes colonies belges, mais aussi britanniques, allemandes, portugaises… Et, grâce à la diaspora africaine, nous sommes en contact avec des associations de tous ces pays, en lien avec les États et souverains africains, pour que la question puisse avancer.

La restitution, c’est d’abord un enjeu de culture. En effet plus de 90% des biens classiques africains sont en dehors de l’Afrique. Ils ont été pillés pendant la Colonisation, et se trouvent à Tervuren en Belgique, au Quai Branly à Paris, au British Museum à Londres, etc. De fait, quand monsieur Sarkozy disait que l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire, il aurait dû dire que l’homme européen a volé l’histoire de l’homme africain, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Les jeunes Africain.es n’ont pas dans leur pays la possibilité d’accéder à ces objets, cette mémoire, ces identités, qui pourtant font partie d’eux-mêmes. Je dois dire qu’il y a là une forme de cruauté puisque ces objets qui n’ont pas tant d’importance que cela pour les Européens, sont refusés aux peuples pour qui ils ont une importance cruciale. Je suis allé dans plusieurs pays et notamment au Bénin, où j’ai vu aussi bien des ministres ou des gens de la rue qui pleuraient en apprenant qu’il y avait un combat qui se menait et que, peut-être, ces objets rentreraient au pays. C’est donc la culture véritable des pays africains qui est ainsi en jeu.

La restitution, c’est aussi un enjeu de justice, car il y a eu vol. Et avant les vols, il y a eu des crimes de masse, parfois des crimes contre l’humanité. Comment pouvons-nous en Europe être les témoins inertes de cela ? Y participer, parfois même le financer, en allant dans ces musées-là. Nous devons y aller, mais non pas payer. Il faut que l’on puisse rendre justice à ces victimes d’hier et d’aujourd’hui. C’est une question de droit. Quand j’apprends que des restes humains sont entreposés à l’Université Libre de Bruxelles, je me dis que cette Université n’est pas libre pour tout le monde. Pour ces restes humains, elle est une prison. Et de fait, recelant des cadavres, l’ULB est techniquement ce qu’il convient d’appeler un charnier. Quelle image de nous le monde peut-il avoir quand nous nous rendons, de fait, complices de ces crimes ? Quand nous sommes coupables de recel de crime contre l’humanité ? Nous ne pouvons pas accepter cela.

La restitution est aussi une question spirituelle. Pour beaucoup de gens, ces objets ont une valeur sacrée, car ils participent aux rites. Prendre un objet sacré et l’exposer de la sorte chose est aussi quelque chose d’insupportable. Et Il existe enfin un enjeu économique ; en France par exemple, le tourisme et tous ses débouchés représentent 15% du PIB. Le musée du Louvre, par exemple, est un joyau de la république, et du monde entier, chaque année, des millions de touristes viennent voir la Joconde, prennent des billets sur Air France, paient des chambres d’hôtel dans le groupe Accor, mangent dans nos restaurants, prennent le taxi, autant de ressources financières et d’emplois non délocalisables. Les pays africains sont évidemment privés de ces ressources, qui devraient leur appartenir.

Il faut absolument que nous sortions de cette histoire indigne de nous-même pour rentrer dans une histoire véritablement équitable. Je crois qu’il y a aujourd’hui une conscience internationale, car par exemple, les Afro-descendants, qui sont 350 millions dans le monde, ont acquis une certaine force. Si le combat de nos parents était la décolonisation (achevée en partie seulement), nous devons le poursuivre. Il faut décoloniser les arts, les esprits, les musées, les manuels, … Et c’est tout ce travail auquel nous sommes aujourd’hui attachés. La diaspora actuelle a des moyens et des alliés.

Nous avons par conséquent le devoir de poser ces questions essentielles : celle du rapport Nord-Sud, celle du monde que nous voulons construire pour demain. Voulons-nous fonder ce monde sur la prédation et le crime ? Ou sur le dialogue et la justice ? Voilà la question qui est posée. Elle se pose à partir des œuvres d’art, des restes humains, c’est la question des savoirs, de l’économie, de la politique, et plus généralement des rapports Nord-Sud. La colonisation n’était pas seulement une question artistique, et il y a bien d’autres aspects de la réparation à mettre en œuvre – nous y travaillons activement. Mais l’avantage avec ces objets culturels, c’est qu’ils sont là, concrets, sous nos yeux. Ils permettent de montrer que l’on peut réparer. C’est pourquoi je suis sûr qu’un dialogue est possible, car je pense que tous les partenaires ici sont à leur place, légitimes, car nous sommes toutes et tous dans le même camp, le camp de l’art, de la culture, de la justice, du respect, de l’humanité.

Louis-Georges Tin

 

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Articles Par : Louis-Georges Tin

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