La riposte russe

Les capitales occidentales vocifèrent, elles fulminent, elles se déchaînent contre Moscou. Dans un accès de délire, Hillary Clinton accuse le Kremlin de saboter les élections américaines. Les matamores galonnés du Pentagone menacent la Russie de l’apocalypse nucléaire. Justicier planétaire, François Hollande veut traîner Vladimir Poutine devant les tribunaux. On s’imagine sans doute que cette hystérie collective va intimider la Russie, la discréditer, la faire plier. C’est exactement le contraire. Décidé à suivre son propre agenda, Moscou est à l’offensive. Comme d’habitude dans les situations de crise, Vladimir Poutine se montre actif, non réactif. Loin de se laisser mener par l’événement, il le préempte.

La riposte russe se manifeste d’abord, évidemment, sur le terrain syrien. L’Occident fait feu de tout bois pour sauver la mise à ses protégés d’Alep-Est. Sa presse mobilise une opinion manipulée par des officines vêtues de blanc qui sont humanitaires le jour et terroristes la nuit. Washington menace l’Etat syrien de nouvelles bavures contre ses soldats qui luttent courageusement contre Daech. Le Département d’Etat se délecte à l’avance des pertes humaines que subira la Russie si elle s’entête à combattre les coupeurs de tête. Il brandit, sans vergogne, le spectre d’une sanglante offensive terroriste qui viendrait frapper au cœur des villes russes.

Avalanche d’ignominies, mais pour quel résultat ? Zéro. Au moment où les dirigeants occidentaux se consument en invectives, les opérations aériennes russes redoublent d’intensité à Alep. Elles permettent à l’armée syrienne d’engager la reconquête des quartiers orientaux de la ville tombés aux mains des bandes armées en 2012. Washington et ses affidés voulaient empêcher la Syrie de recouvrer sa souveraineté dans sa capitale du Nord. Ils rêvaient de faire d’Alep le centre névralgique de cette rébellion modérée qui n’existe que sur le papier. Le résultat de tous ces efforts, c’est que Damas a repris l’offensive et engagé la bataille décisive. Si Alep-Est est libérée, c’est la pseudo-révolution syrienne qui bascule dans les poubelles de l’histoire.

La Russie accompagne l’offensive terrestre à Alep-Est, mais elle organise aussi le déploiement des batteries S-300 et S-400 sur l’ensemble du théâtre d’opération syrien. L’installation de ce dispositif anti-aérien sophistiqué est un message explicite destiné aux faucons de Washington : ils seraient imprudents d’aller s’y brûler les ailes ! Moscou ne laisse aucun doute sur sa détermination à pulvériser tout appareil hostile venant parader dans le périmètre. Cruelle ironie de l’histoire ! Voulant rééditer le précédent libyen, Washington rêvait d’imposer une « no fly zone » à l’aviation syrienne. Hillary Clinton agite encore cette marotte à chaque meeting comme si c’était la panacée universelle. C’est raté. Aujourd’hui c’est Moscou qui impose la « no fly zone » à Washington. Et la Russie le fait au bénéfice d’un Etat souverain dans le respect du droit international.

Cet échec du camp impérialiste sur le terrain militaire n’est pas le seul. La riposte russe est aussi d’ordre politique. Avec habileté, le Kremlin a su trouver un modus vivendi avec Ankara. La Turquie ne renonce ni à combattre les Kurdes ni à soutenir les rebelles. Mais les Néo-Ottomans ont revu leurs ambitions à la baisse. La Turquie s’est rapprochée de la Russie par intérêt, signant avec elle un important accord gazier au moment où les USA fulminent contre le Kremlin. Prix à payer pour l’abandon d’Alep-Est par Ankara, Moscou lui a concédé avec l’assentiment implicite de Damas une zone-tampon au Nord de la Syrie.

Principal allié militaire des USA dans la région, la Turquie se résout donc à laisser les mains libres à la Russie du moment qu’on lui offre des garanties contre le séparatisme kurde. Dans la partie de poker qui l’oppose à la Maison Blanche, ce compromis avec les Turcs est un précieux atout entre les mains du Kremlin. Il illustre la supériorité de la diplomatie de conciliation d’un Lavrov sur la diplomatie d’intimidation des braillards de Washington. D’autant que Moscou, en même temps, scelle son alliance avec Pékin, Damas et Téhéran, se rapproche du Caire et soigne ses relations avec la plupart des pays de la région moyen-orientale.

Initiative militaire, succès diplomatique. Les faits parlent d’eux-mêmes. La Russie est de retour. Mais il y a un troisième front. Face aux menaces des Docteur Folamour du Pentagone, devant cette avalanche d’injures et de provocations, que fait Vladimir Poutine ? Exactement l’inverse. Aucune menace, aucune surenchère. Mais il tire les conséquences de la politique agressive des USA. Les deux pays coopéraient dans le domaine énergétique et nucléaire. C’est fini. Un décret de Vladimir Poutine vient de suspendre l’accord de coopération sur le plutonium. Cette décision est liée à « l’apparition d’une menace sur la stabilité stratégique suite aux actes inamicaux des Etats-Unis à l’encontre de la Russie ».

Les USA ont installé un bouclier anti-missiles en Europe de l’Est. Ils multiplient les manœuvres militaires avec leurs satellites aux frontières de la Russie. Le Pentagone envisage ouvertement la perspective d’un conflit meurtrier avec la Russie. Soit. La Russie ne menace personne, mais elle organise des manœuvres à Kaliningrad où elle déploie ses missiles dernier cri « Iskander M ». Simultanément, on envisage à Moscou la réouverture de bases militaires russes en Egypte, au Vietnam et à Cuba. Pour un pays qui a subi deux invasions dévastatrices au cours des deux derniers siècles (Napoléon et Hitler), la dissuasion n’est pas un vain mot. L’ours russe est un animal paisible, mais prière de ne pas l’importuner, il va grogner.

Bruno Guigue

Bruno Guigue

Bruno Guigue, ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

 

 



Articles Par : Bruno Guigue

A propos :

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, Bruno Guigue est un ex-haut fonctionnaire français. Chercheur en philosophie politique et analyste politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident », « Faut-il brûler Lénine ? » et « Les Raisons de l’esclavage », publiés chez L’Harmattan. Chroniqueur de politique internationale, il a publié des centaines d’articles diffusés en huit langues par plusieurs dizaines de sites d’information indépendants.

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