La ruée vers les ressources énergétiques de l’Arctique

Le sommet du Groenland et la coopération circumpolaire

Le Groenland accueillait, entre les 27 et 29 mai 2008, un sommet des pays dont le territoire s’étend au-delà du cercle polaire et dont la frontière septentrionale coïncide avec les littoraux de l’océan Arctique. Ces pays sont la Russie, le Canada, le Danemark, la Norvège et les États-Unis (carte 1)  

Carte 1. L’Arctique

 

 

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Source: Institut polaire
 

Avec l’accélération de la fonte de la banquise qui couvre une très grande partie de l’océan Arctique voire sa disparition progressive considérée comme l’événement météorologique canadien le plus marquant de l’année 2007 selon Environnement Canada  (voir figure 1), il semble de plus en plus faisable de mettre en valeur les ressources en hydrocarbures qui se trouvent en abondance dans le sous-sol de cette région du monde et de pouvoir en assurer le transport en eaux libres vers les marchés de consommation.  De plus, avec l’épuisement appréhendé des réserves depuis longtemps exploitées de façon soutenue sous les autres latitudes et avec la montée fulgurante des prix du pétrole les ressources de l’Arctique deviennent de plus en plus aménageables de façon rentable.

Figure 1. Le retrait du glacier Bering, Alaska

 

Source:  Earth Observatory.Nasa 

Les régions arctiques sont convoitées depuis des décennies par les grandes puissances économiques de la planète et les projets d’extraction de matières premières et de ressources énergétiques ont été nombreux et, notamment, dans le Grand Nord canadien, en Alaska et en Ex-URSS. Il s’agit maintenant d’aller au-delà et de procéder à l’extraction et au transport des ressources en hydrocarbures qui se trouvent sous le plateau continental de cet océan. Cette ruée vers le pôle n’est pas nouvelle. Elle s’effectue depuis des décennies dans un contexte dans lequel les revendications s’expriment les unes après les autres, en se chevauchant et dans un cadre de confrontations ou de recours à la dissuasion avec le déploiement de forces armées de surveillance et de contrôle des espaces maritimes et aériens.

Carte 2. Les revendications territoriales de la Russie dans l’Arctique

 

 Source: http://newsimg.bbc.co.uk/media/images/44032000/gif/_44032849_arctic_russia416.gif

Carte 3. Arctic Oil & Gas – A Manager of the Resources

 

Source: Expandpro 

Le sommet de l’Arctique convoqué aujourd’hui, par le Danemark ouvre la voie à l’approche diplomatique, la négociation et la coopération sous l’égide éventuelle de l’ONU. C’est une excellente nouvelle, car cette voie serait de nature à mettre un terme au processus de militarisation de cette région du monde, processus qui semblait se matérialiser davantage avec l’annonce récente des projets du Canada de construire des navires de patrouille armés et d’un port en eaux profondes pour assurer sa souveraineté, entre sa frontière terrestre et le pôle,portion de cet océan aussi revendiquée par les Etats-Unis. D’autres  espaces maritimes et insulaires sont convoités par la Russie, la Norvège et le Danemark (cartes 2 et 3).

L’absence des peuples du Nord

Ce sommet, certes, peut sembler prometteur pour répondre aux besoins énergétiques de l’économie mondiale, car le sous-sol de cet océan contiendrait un quart des réserves de pétrole et de gaz encore inexploitées dans le monde selon le US Geological Survey . Cependant, à l’instar de la première ruée vers ces richesses il y a cinquante ans le scénario des modes d’extraction et d’exploitation sur un ‘mare incognito’ ou une ‘terra incognita’ semble encore celui qui présidera à l’ensemble de ce processus, car les représentants des peuples du Nord n’ont pas été convoqués officiellement à cette occasion. Or, les préceptes du rapport Brundtland et l’existence de facto de gouvernements nordiques autonomes comme celui du Groenland, des Saamis et du Nunavut s’avèrent des éléments désormais incontournables. Les peuples de l’espace circumpolaire ont un droit de regard sur ces ressources, leur mode de mise en valeur et sur les bénéfices que l’on en tirera. Le temps des consultations après coup est terminé. Les peuples nordiques doivent être partie prenante de tous les projets devant être conçus et entrepris, dans ce contexte, au cours de la prochaine décennie.

           

Des négociations qui risquent d’être longues

La reconnaissance de la juridiction respective de chacun des états limitrophes à l’océan arctique qui fut l’approche retenue jusqu’à maintenant constitue un processus qui risque de faire l’objet de négociations qui prendront beaucoup de temps, car déjà chaque état a le droit d’étendre sa juridiction sur une partie de la haute mer au-delà de sa zone économique exclusive (ZEE). À l’intérieur du plateau continental ainsi formé, l’État pourra exercer les droits souverains suivants : un pouvoir sur les ressources biologiques et non biologiques du lit marin et du sous-sol sous-marin; un contrôle sur l’emplacement et l’utilisation des câbles et pipelines sous-marins, des îles artificielles et des structures; la réglementation des forages et la réglementation de la recherche scientifique en milieu marin (Macnab, R, 2006). Il s’agit de l’approche individuelle ou celle au cas par cas.

La recommandation formulée par Macnab concernant la manière d’en arriver à un accord international méritait jusqu’à maintenant d’être examinée soigneusement même si elle s’inscrivait encore dans le contexte de l’expression des revendications nationales. En effet, il recommandait que «le Canada et ses voisins de l’Arctique créent une tribune régionale pour maintenir une connaissance générale de nouveaux développements concernant l’article 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer par des consultations et échanges d’informations périodiques. Par ce mécanisme, les États pourraient : (a) suivre le déroulement du scénario du plateau continental dans l’ensemble de la région centrale de l’océan Arctique; (b) harmoniser leurs démarches d’établissement des frontières; (c) prévoir les problèmes sous-jacents avant qu’ils ne deviennent vraiment indissociables du processus de revendication et (d) s’entendre mutuellement sur les conduites à tenir et susceptibles de désamorcer dès le début les questions potentiellement litigieuses» (Macnab, R., 2006). Il s’agissait encore de l’approche individuelle pour faire valoir sa souveraineté.

Le sommet du Groenland devrait permettre d’innover et d’envisager de développer une approche commune pouvant garantir l’émergence des bases d’un Traité international pour l’Arctique couvrant l’ensemble des activités liées à la sauvegarde de cet écosystème et au développement des économies des peuples nordiques et même de le consacrer éventuellement Patrimoine de l’Humanité.

Source

AFP. 2008. Ouverture du Sommet des riverains de l’Arctique, le 28 mai 2008:

AFP. 2008. La bataille de l’Arctique au sommet du Groenland. Le 28 mai 2008.

ARCTIC COUNCIL. 2002. An Arctic Message to Johannesburg 2002 Summit. Arctic Council Secretariat. Ministry for Foreign Affairs of Finlan. Unit for Northern dimension

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CANADA. 2000. Les peuples autochtones et le développement durable dans l’Arctique canadien. Monographie no 11. Ottawa, Affaires étrangères et du Commerce international et Affaires Indiennes et du Nord Canada 25 pages.

CANADA. 2008. Les dix événements météorologiques canadiens les plus marquants de 2007. Ottawa, Environnement Canada. 

CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY. 1978. Polar Regions. Atlas. Washington, D.C., CIA, May 1978. 66 pages.

CHANGEMENT DE SOCIÉTÉ. Guerre “froide” dans l’Arctique, le 20 août 2007

DUFOUR, Jules. 2007. L’Arctique, un espace convoité : la militarisation du Nord canadien,Géopolitique et militarisation du grand Nord canadien (Première partie). Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation.

DUFOUR, Jules. 2007. L’Arctique, militarisation ou coopération pour le développement ?Géopolitique et militarisation du grand Nord canadien (Deuxième partie). Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation

MACNAB, R. 2006. Les plateaux continentaux extérieurs de l’océan arctique : Droits de souveraineté et coopération internationale. Commission canadienne des affaires polaires. Méridien. Printemps Été 2006, pp. 1- 3.

NUNAVUT TUNNGAVIK INCORPORATED. 1995. Nunavut. Our Land, Our People. Iqaluit, NWT. 12 pages.

PEARSE, P.H., F. Bertrand et J.W. MacLaren. 1985. Le Grand Canal. Présentation d’un concept canadien de gestion de l’eau. Septembre 1985. St.John’s, Terre-Neuve. GrandCo. La Compagnie GRAND Canal Limitée. 22 pages.

PULSIFER, P.L. et D.R.F. Taylor. 2007. Infrastructure de données géospatiales : Implications pour la souveraineté dans l’Arctique canadien. Commission canadienne des affaires polaires. Méridien. Printemps Été 2007, pp. 1- 5.

REYNOLDS, P. 2007. Russia ahead in Arctic ‘gold rush’ The Russians are leading a new « gold rush » in the high north, with a bold attempt to assert a claim to oil, gas and mineral rights over large parts of the Arctic Ocean up to the North Pole. World Affairs correspondent, BBC News website. 1 août 2007.

Sites Internet

Arctic Oil & Gas – A Manager of the Resources. Exploration & Production. New Frontiers. Le 22 mars 2008. La fonte de l’Arctique aiguise les appétits 

REUTERS. 2008. Le statut de l’Arctique en débat lors d’un sommet au Groenland. Le 28 mai 2008.

Radio-Canada. 2008. Souveraineté de l’Arctique. Rencontre au sommet. Le 21 mai 2008. 

RIA Novosti International. 2008. Sommet des pays riverains de l’Arctique: Sergueï Lavrov à Ilulissat au Groenland., le 28 mai 2008.

Sympatico MSN Nouvelle. Souveraineté de l’Arctique: Rencontre au sommet. Le 28 mai 2008.

 

 
Jules Dufour, Ph.D., est Professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, Président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean,  Membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, Membre chevalier de l’Ordre national du Québec. Président du comité de coordination du Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent et membre de la Commission des Aires protégées de l’Union mondiale de la nature (UICN).



Articles Par : Prof. Jules Dufour

A propos :

Jules Dufour, Ph.D., C.Q., géographe et professeur émérite. Chercheur-associé au Centre de recherche sur la Mondialisation, Montréal, Québec, Canada.

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