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La Russie dans la ligne de mire de Washington
Par Dr. Paul Craig Roberts
Mondialisation.ca, 29 janvier 2015

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Les attaques de Washington contre la Russie ont franchi les limites de l’absurde et sont devenues de la pure folie.

Andrew Lack, le nouveau dirigeant du US Broadcasting Board of Governors, le conseil étasunien de la radio diffusion et des télécommunications, a déclaré que la chaîne d’information russe Russia Today (RT), qui diffuse en de nombreuses langues, est une organisation terroriste équivalente à Boko Haram et à l’État islamique (EI). L’agence de notation Standard and Poor’s a réduit la cote de crédit  russe à l’état de pacotille.

Aujourd’hui, RT International m’a interviewé à propos de ces développements insensés.

Autrefois, alors que les États-Unis étaient toujours un pays en bonne santé mentale, l’accusation de Lack lui aurait fait perdre son poste dans la dérision. Il aurait été poussé à démissionner et à disparaître de l’espace public. Aujourd’hui, dans ce monde fantasmagorique qu’a créé la propagande occidentale, la déclaration de Lack est prise très au sérieux. Une autre menace terroriste vient donc d’être identifiée : RT. Bien que Boko Haram et l’État islamique font usage de la terreur, ce sont , à proprement parler, des organisations politiques qui veulent régner. Ce ne sont pas des organisations terroristes, mais Lack ne comprend pas cette distinction. Oui, je sais. On pourrait faire bonne blague à propos de ce qui manque à Lack (NdT, Lack en anlgais se traduit par manque).

Quoi qu’il manque à Lack, je doute qu’il croit sa déclaration absurde voulant que RT soit une organisation terroriste. A quel jeu joue-t-il donc?

La réponse est qu’en devenant les ministères de la Propagande de Washington, les médias pressetitués occidentaux ont créé de grands marchés pour des chaînes comme RT, Press TV (Iran) et Al Jazeera (Qatar). Alors que de plus en plus de personnes dans le monde se tournent vers des sources d’information bien plus honnêtes, la capacité de Washington à fabriquer des explications servant ses intérêts a considérablement diminué.

RT rejoint particulièrement un très grand public occidental. Le contraste entre les reportages de RT montrant la réalité sur le terrain et les mensonges crachés par les médias étasuniens diminue le contrôle du discours que possède Washington. Cela n’est plus acceptable.

Lark a envoyé un message à RT et ce message est le suivant : Faites attention, cessez de rapporter la nouvelle différemment, arrêtez de contester les faits tels qu’énoncés par Washington et retransmis par les pressetitués, emboîtez la pas sinon gare!

Autrement dit,  la « liberté d’expression » telle qu’elle est comprise par Washington et ses larbins de l’Union Européenne, du Canada et de l’Australie signifie : liberté d’expression pour la propagande et les mensonges de Washington, mais pas pour la vérité. La vérité est terroriste, parce que la vérité constitue la principale menace  pour Washington, qui préférerait éviter l’embarras de fermer physiquement les bureaux de RT aux États-Unis comme le vassal britannique l’a  fait pour la chaîne iranienne Press TV. Washington désire simplement que RT la ferme. Le message de Lark à RT est : censurez-vous vous-même.

A mon avis, RT minimise déjà les faits dans sa couverture et ses reportages, comme le fait Al Jazeera. Les deux organisations médiatiques comprennent qu’elles ne peuvent pas être trop franches, en tout cas pas trop souvent et pas  sur tous les sujets.

Je me suis souvent demandé pourquoi le gouvernement russe autorise 20 % des médias russes à fonctionner comme le 5ème pilier des États-Unis en Russie. Je suspecte que le gouvernement russe tolère la propagande éhontée de Washington en Russie en espérant  que des nouvelles factuelles puissent être rapportées aux États-Unis par le biais de RT et d’autres organes d’information russes.

Ces espoirs, comme tous les autres espoirs russes au sujet de l’Occident, seront sûrement déçus à la fin. Si RT est fermée ou assimilée aux médias pressetitués occidentaux, on n’en parlera pas. Cependant si le gouvernement russe ferme les médias de Washington en Russie et empêche ses agents menteurs de faire leur travail, nous entendrons jusqu’à la fin des temps que les méchants russes suppriment la « liberté d’expression ». N’oubliez jamais que la seule « liberté d’expression » permise est la propagande de Washington.

Seul le temps dira si RT décide de permettre sa propre fermeture pour avoir dit la vérité ou si elle ajoutera sa voix à la propagande de Washington.

L’autre sujet de l’entrevue était la dégradation de la cote de  crédit russe au statut à haut risque.

La baisse de la cote de Standard and Poor’s est sans aucun doute une manœuvre politique. Cela prouve ce que nous savons déjà, à savoir que les agences de notation étasuniennes sont des opérations politiques corrompues jusqu’à la mœlle. Vous vous rappelez la cote d’Investment Grade que les agences de notation ont donné aux prêts hypothécaires à haut risque? Ces agences de notations sont payées par Wall Street et, comme Wall Street, elles sont au service du gouvernement étasunien.

Il suffit de regarder les faits pour observer la nature politique de la décision. Ne vous attendez pas à ce que la presse financière étasunienne corrompue les regarde. Faisons-le maintenant.

Nous allons même les remettre dans leur contexte, celui de la situation de la dette étasunienne.

D’après les horloges de la dette que tout le monde peut consulter en ligne, la dette nationale russe par rapport à son PIB est de 11% et celle des États-Unis est de 105%, c’est à dire près de 10 fois supérieure. Mes co-auteurs Dave Kranzler, John Williams et moi-même avons montré que lorsqu’elle est  mesurée correctement, la dette nationale étasunienne a équivaut à un pourcentage du PIB bien supérieur au chiffre officiel.

La dette nationale russe est de 1645 dollars US par habitant, alors que la dette américaine est de 56 952 dollars US par habitant.

La dette nationale russe se chiffre à 235 milliards de dollars et celle des États-Unis atteint 18 000 milliards de dollars, soit 76,6 fois plus que la dette russe.

Mettons cela en perspective : selon les horloges de dettes, le PIB étasunien est de 17 300 milliards de dollars et le PIB russe de 2 100 milliards de dollar. Le PIB étasunien est environ 8 fois supérieur à celui de la Russie, mais la dette nationale étasunienne est 76,6 fois plus importante que la dette russe.

Clairement, c’est la note du crédit étasunien qui aurait dû être déclassée à l’état de pacotille,  mais cela ne peut pas se produire. Une agence de notation étasunienne qui dirait la vérité serait fermée et trainée en justice. L’absurdité des chefs d’accusation n’auraient aucune importance. On l’accuserait d’être anti-étasunienne, d’être une organisation terroriste comme RT etc., et ces agences le savent très bien. Ne vous attendez jamais à entendre la vérité des sbires de Wall Street. Ils mentent pour vivre et gagner leur pain.

D’après ce site internet, http://people.howstuffworks.com/5-united-states-debt-holders.htm#page=4, depuis janvier 2013 les États-Unis doivent à la Russie 162,9 milliards de dollars. Comme la dette nationale russe est de 235 milliards de dollars, 69 % de la dette russe est couverte par les obligations de la dette des États-Unis envers la Russie.

Si cela constitue une crise russe, alors je suis Alexandre Le Grand.

Comme la Russie a suffisamment de dollars US en banque pour repayer sa dette nationale en entier et possède toujours quelques centaines de milliards d’excédent en dollars, quel est le problème de la Russie ?

Un des problèmes de la Russie est sa banque centrale. La plupart des économistes russes sont d’incompétents néolibéraux comme leurs homologues occidentaux. Les économistes russes sont amoureux de leurs contacts avec l’Occident « supérieur » et du prestige qu’ils imaginent que ces contacts leur confèrent. Tant et aussi longtemps que les économistes russes seront d’accord avec les économistes occidentaux, ils seront invités dans des conférences internationales à l’étranger. Ces économistes russes sont les agents ipso facto des États-Unis, qu’ils en soient conscients ou non.

En ce moment, la banque centrale russe est en train de gaspiller les importants avoirs russes en réserves étrangères pour soutenir le  rouble contre l’attaque occidentale. Il s’agit d’ un jeu idiot qu’aucune banque centrale ne devrait jouer. La banque centrale russe devrait se rappeler, ou s’informer si elle ne le sait pas, des attaques de Soros sur la Banque d’Angleterre.

Les réserves étrangères de la Russie devraient être utilisées pour effacer la dette nationale, faisant ainsi de la Russie le seul pays au monde sans aucune dette. Les dollars restant devraient être largués dans une action coordonnée avec la Chine afin de détruire le dollar à la base du pouvoir impérialiste étasunien.

Alternativement, le gouvernement russe devrait annoncer que sa réaction à la guerre économique menée contre la Russie par Washington et les agences de notation de Wall Street est le défaut de paiement sur ses emprunts aux créditeurs occidentaux. La Russie n’a rien à perdre car elle est déjà coupée des crédits occidentaux par voie de sanctions étasuniennes. Le défaut de paiement russe causerait la consternation et provoquerait une crise dans le système banquier européen et c’est exactement ce que souhaite la Russie pour briser le soutien européen aux sanctions étasuniennes.

A mon avis, les économistes néolibéraux qui contrôlent la politique économique russe constituent une bien plus grande menace à la souveraineté de la Russie que les sanctions économiques et les bases de missiles américaines. Afin de survivre à Washington, la Russie a désespérément besoin de gens qui n’idéalisent pas l’Occident.

Pour dramatiser la situation, si le président Poutine me donnait la citoyenneté russe et me permettait de nommer Michael Hudson et Nomi Prins comme mes adjoints, je reprendrais les opérations de la banque centrale russe et je mettrai l’Occident hors circuit.

Cela demanderait toutefois que la Russie prenne des risques associés à la victoire. Les intégrationnistes atlantistes au sein du gouvernement russe veulent la victoire de l’Occident, pas de la Russie. Un pays embué par la trahison interne de son propre gouvernement a réduit ses chances contre Washington, un joueur très déterminé.

Un autre 5ème pilier opérant de l’intérieur contre la Russie sont les ONG financées par les États-Unis et les Allemands. Ces agents impérialistes se déguisent en « organisations humanitaires », « des droits de la femme », pour la « démocratie », ou quelque autre nom hypocrite utilisé en cette ère du politiquement correct, et elles sont incontestables.

Une autre menace provient encore du pourcentage de jeunes russe enviant la culture dépravée de l’Occident. La liberté sexuelle, la pornographie, les drogues, l’individualisme forcené, c’est ce qu’offre culturellement l’Occident, en plus, bien sûr, de massacrer les musulmans.

Si les Russes veulent tuer des gens pour le plaisir et pour solidifier la supériorité étasunienne sur eux-mêmes et sur le monde, alors ils doivent soutenir « l’intégration atlantiste » et tourner le dos au nationalisme russe. Pourquoi être Russes si vous pouvez être des serfs étasuniens?

Quel meilleur résultat en fait pour les néoconservateurs étasuniens que d’avoir la Russie qui soutient l’hégémonie de Washington sur le monde? C’est ce que les économistes néolibéraux russes et les « intégrationnistes européens » soutiennent. Ces Russes sont prêts à devenir des serfs pour les États-Unis afin de faire partie de l’Occident et d’être très bien payés pour leur trahison.

Alors que j’étais interviewé au sujet de ces développements sur RT, le journaliste essayait toujours de confronter les accusations de Washington avec des faits. Il est vraiment surprenant que les journalistes russes ne comprennent pas que les faits n’ont rien à voir là-dedans. Les journalistes russes, ceux qui sont encore indépendants de la corruption étasunienne, pensent toujours que les faits sont importants dans une dispute au sujet des actions russes. Ils pensent que les assauts sur des civils perpétrés par les nazis ukrainiens soutenus par les États-Unis sont des faits. Toutefois de tels faits n’existent pas du tout dans les médias occidentaux. Dans les médias occidentaux, seuls les Russes sont responsables de la violence en Ukraine.

Le discours de Washington est que le méchant Poutine a l’intention de restaurer l’empire soviétique et que cela est la cause du conflit. La ligne éditoriale des médias occidentaux n’a absolument aucun lien de près ou de loin avec les faits.

A mon avis, La Russie est en grand danger. Les Russes comptent sur les faits et Washington compte sur la propagande. Pour Washington, les faits n’ont aucune importance. Les voix russes sont faibles en comparaison des voix occidentales.

Le manque de voix russe est cependant dû à la Russie elle-même. Elle a accepté de vivre dans un monde contrôlé par les services financiers, légaux et de télécommunication étasuniens. Vivre dans ce monde là signifie que la seule voix existante est celle de Washington.

La raison pour laquelle la Russie a-t-elle accepté ce désavantage stratégique est un mystère. En raison de cette erreur stratégique, la Russie est désavantagée.

Considérant les canaux intérieurs que possèdent Washington au sein du gouvernement russe lui-même, des oligarques économiquement puissants et des employés de l’État ayant des connexions européennes, ainsi que dans les médias et au sein de la jeunesse russes grâce aux centaines d’ONG financées par les États-Unis et l’Allemagne, lesquels peuvent mener les Russes à manifester en masse, le futur de la Russie en tant que pays souverain est plus que douteux.

Les néoconservateurs étasuniens sont implacables. Leur opposition russe est affaiblie par le succès en Russie de la propagande de la guerre froide qui dépeint les États-Unis comme le sauveur et l’avenir de l’humanité.

Les ténèbres émanant de Sauron l’Américain continuent à se propager à travers le monde.

Paul Craig Roberts

 

Article original :

Russia In The Cross Hairs. Washington’s Threats have moved Into the Realm of Insanity27 janvier 2014

Traduit de l’anglais par Mondialisation.ca

 

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