La stratégie kurde: diviser pour profiter

En favorisant une coalition ingérable, rongée par la suspicion, le Kurdistan a réussi à réaliser ses propres ambitions.

Affaiblir sans cesse Bagdad, maintenir les divisions politiques– telle est la stratégie des Kurdes en Irak, étayée par un jeu subtil fait de manipulation et de patience.

Les Arabes irakiens sont divisés et le gouvernement de coalition à Bagdad ne fonctionne pas. Les querelles sur des questions de territoire, de ressources naturelles et de partage du pouvoir, y compris l’application de réformes législatives cruciales, et les problèmes de sécurité actuels restent des obstacles sur la voie de la stabilité et du progrès futurs.

Le Kurdistan, région stable, avance alors qu’il est au centre des contestations. Il a engrangé suffisamment de votes lors des élections législatives de mars 2010 pour se propulser comme « faiseur de rois » dans la mesure où ni Iyad Allaoui, ni le premier ministre Nouri al-Maliki – en tête des votes – n’arrivaient à former une coalition indépendante des Kurdes.

L’Irak arabe : un gouvernement fragile, ingérable

Après six mois sans direction politique et au milieu d’attaques terroristes incessantes, l’Irak arabe a finalement obtenu son gouvernement,  seulement parce que le président du Kurdistan, Massoud Barzani, ayant laissé tout le monde dans l’expectative sur le choix du candidat auquel iraient les voix des Kurdes, a conclu un accord qui a permis une coalition des principaux blocs politiques irakiens, même si cet accord n’a rien apporté.

Allaoui et Maliki n’ont  pu s’accorder sur le partage du pouvoir. Les allocations de postes ministériels ont à peine pu satisfaire les différents segments de l’éventail politique irakien, dont les politiciens arabes sunnites qui avaient, tout comme Allaoui, contesté les élections, mais avaient, en raison de leur nouveau statut et de leur prestige retrouvé,  refusé de répondre aux appels pour rejoindre l’opposition et s’en retirer.

L’Irak arabe s’est ainsi vu octroyer un gouvernement fragile et ingérable, les Kurdes ayant facilité cet avènement afin qu’un gouvernement d’unité nationale se révélât en fait un gouvernement d’individus mus par la suspicion. Les divergences religieuses parcourent toujours la politique. L’hostilité existe entre le parti chiite Dawa de Maliki et les politiciens puissants qui composent le bloc Iraqiyah, dominé par les Arabes sunnites, qui demeure sur ses gardes face à l’emprise du Dawa sur le pouvoir et les liens des autres partis chiites avec l’Iran.  

Cela marche pour les Kurdes car Bagdad demeure faible et incapable de progresser. Ils on pu exploiter les tensions pour mener à bien leurs ambitions. Par exemple, quand Bagdad a récemment décidé de revoir une version antérieure de la loi sur le pétrole et le gaz au détriment des Kurdes, le gouvernement régional kurde a rappelé les officiels kurdes à Bagdad et a invité, à Erbil, l’éternel ennemi de Maliki, Allaoui pour des pourparlers urgents.

Cette réaction tendait à exercer des  pressions sur Maliki et son gouvernement et les Kurdes sont sur le point de gagner. Le nouveau texte de la loi a peu de chances d’être approuvé et l’octroi de licences qui était prévu pour janvier 2012 a été repoussé. Pareillement, alors que Bagdad est déterminé à ce que les Kurdes n’obtiennent jamais la ville de Kirkouk, riche en pétrole, la question, toujours en suspens, offre entre-temps aux Kurdes des occasions incroyables de marchandages sur d’autres objectifs, notamment sur leur propre secteur énergétique. Le Kurdistan s’est fait une image de champion de l’industrie, invitant les acteurs mondiaux du pétrole et du gaz à la prochaine conférence à Erbil. Pour les organisateurs  de l’événement –  CWC (Creating opportunities, developping knowledge) – c’est la première du genre. Leurs conférences précédentes étaient toutes centrées sur l’Irak en tant que tel, plus maintenant.

Déclaration d’indépendance si Kirkouk tombe dans leur escarcelle

Et cela parce que la région attire les principaux acteurs, comme le prouve l’accord pétrolier conclu pour une valeur de 2.1 milliards de dollars par l’ancien chef de British Petroleum, Tony Hayward. Près de 40 compagnies étrangères de 17 pays se sont engagées à investir dans le secteur pétrolier la somme de 10 milliards de dollars.

Cependant la question se pose : le Kurdistan a-t-il besoin de l’Irak ? L’Irak contrôle les oléoducs permettant l’exportation du pétrole plus efficacement. Le transport du pétrole par tankers est certes faisable, même s’il reste peu efficient, mais à partir d’un certain point, un oléoduc sera nécessaire si le Kurdistan doit devenir un exportateur fiable, capable de gérer ses immenses réserves.  Jusqu’à présent, il est vrai, les ambitions énergétiques du Kurdistan ont été contrecarrées par le contrôle par Bagdad des oléoducs et par sa politique chaotique.

Mais Bagdad fournit aux Kurdes des revenus additionnels pour améliorer les services de base, tels que l’éducation, l’infrastructure et l’équipement militaire. S’ajoutent aux recettes et revenus propres des Kurdes, qu’il est impossible à Bagdad d’auditer et d’en bénéficier, 17% du budget irakien d’une valeur annuelle, au moins, égale à 10 milliards de dollars.

En définitive, il s’agit de garder un œil sur tout ennemi en devenir,  et pour cela, garder un pied à Bagdad, être à l’affût des développements en coulisse et avoir un accès constant à l’élite politique, fournissant des occasions d’accentuer la régression.

Certes les Kurdes n’ont pas besoin de faire partie de l’Irak et pourraient déclarer leur indépendance demain. Il y a peu de chances que la Turquie et les autres voisins, comme l’Iran puissent  faire quoi que ce soit, étant donné les milliards de dollars d’échanges commerciaux avec le Kurdistan, leurs problèmes intérieurs et la volatilité générale de la région ainsi que l’impossible d’envahir et d’occuper les villes kurdes.

Mais les Kurdes ne déclareront pas leur indépendance parce que ce serait un nonsense que de sacrifier ce pactole pour une déclaration unilatérale d’indépendance qui les mettrait « dans leur tort », les enfermerait dans leurs frontières et justifierait des réactions de Bagdad et des voisins régionaux.

En revanche, ils veulent bien déclarer leur indépendance dans un cadre régional et durable, pourvu que ce  processus fasse tomber Kirkouk dans leur escarcelle. En attendant, les Kurdes continueront à opérer dans l’intérêt des Kurdes et du Kurdistan, ce qui revient à exploiter Bagdad car tout a un prix, un prix que les Irakiens et l’Irak doivent payer pour garder leur pays intact.

 
Article original en anglais : http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2011/oct/14/kurdish-strategy-iraq-kurdistan

Traduction : Xavière Jarde,  http://www.france-irak-actualite.com/

Ranj Alaaldin est analyste politique et des risques du Moyen-Orient. Il est analyste à la Next Century Foundation et prépare un doctorat sur les chiites en Irak à London School of Economics et Political Science. Il se rend régulièrement au Moyen-Orient et a conduit des missions de recherche sur le terrain à travers la région.



Articles Par : Ranj Alaaldin

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