La timidité européenne en Birmanie s’appelle Total
Bruxelles.
L ’Europe, tout comme le reste du monde, a redécouvert la répression en Birmanie, vieille de 45 ans. Le problème est que l’Union Européenne, tout comme les Usa, continue à oublier que ses entreprises aussi contournent l’embargo imposé à ce pays.
Hier, à l’unanimité quasiment, le parlement européen a approuvé une résolution qui condamne l’action du gouvernement militaire de Rangoon et soutient avec force celle des manifestants. Strasbourg, lit-on dans le texte, « applaudit la courageuse action des moines birmans et des dizaines de milliers d’autres manifestants pacifiques contre le régime antidémocratique et répressif au pouvoir en Birmanie ».
Le texte, revu peu de temps avant le vote pour y inclure aussi les derniers événements, reprend « l’horreur de tuer des manifestants pacifiques, insiste pour que les forces de sécurité rentrent dans leurs casernes et demande que soit reconnue la légitimité des requêtes qui sont avancées, et qu’on relâche les manifestants emprisonnés et les autres prisonniers politiques ».
La Commission européenne et les 27 (pays membres de l’Ue, NdT) se rangent aussi aux côtés des moines et du peuple birman. Les ambassadeurs des gouvernements européens ont donné mandat hier matin à la présidence portugaise et aux groupes compétents pour étudier comment renforcer le système des sanctions déjà en vigueur depuis des années contre le régime militaire de Rangoon.
Les sanctions sont un point souligné aussi par le Parlement, mais c’est le point faible de l’Europe. Depuis Bruxelles et Strasbourg on souligne les trafics de la Chine et de l’Inde avec le régime, qui ont rendu inefficace l’embargo décennal, mais on oublie les hésitations et les hypocrisies made in Ue, et surtout made in France.
Selon la Fédération internationale des droits de l’homme, le groupe français Total, en coopération avec les étasuniens de Chevron Texaco, est le principal partenaire commercial de la junte militaire. L’entreprise française contribue pour 7% au budget du régime en échange de l’accord pour l’exploitation exclusive du gisement de gaz de Yadana, et du gazoduc qui transporte le gaz jusqu’en Thaïlande. C’est justement pour ce gazoduc que Total et Unocal, ensuite racheté par Chevron, ont fini en procès pour travail forcé : les adjudications étaient gérées par des entreprises de parents des généraux qui obligeaient la population à travailler en recourant à la force. Pour échapper aux accusations Total demanda en 2003 un rapport sur sa filiale birmane à un bureau de conseil au curieux nom de Bk Conseil.
Le travail, payé 25.000 euros, réussit à affirmer de façon claire et forte que les accusations d’esclavage étaient des « fantaisies » *. Fantaisies qui cependant ont un prix, puisqu’en novembre 2005, Total se hâte d’indemniser huit Birmans et de financer une pseudo ONG, le tout en échange du retrait de la plainte. La chose la plus curieuse est que derrière Bk Conseil se cache (pourquoi se cache ? c’est de notoriété publique, NdT) Bernard Kouchner, l’actuel ministre des Affaires Etrangères en France, pays qui préside actuellement le Conseil de sécurité de l’ONU. Et ce n’est ainsi pas un hasard si Paris garde ces jours ci une position pour le moins ambiguë. Mercredi (le Président, NdT) Sarkozy avait lancé un appel aux entreprises françaises, et à Total en particulier, pour qu’elles évitent de nouveaux investissements en Birmanie.
Total refusait tout net : inutile d’en parler. Face à ce refus, c’est le gouvernement qui baissait le ton. Hier le Secrétaire d’état aux droits de l’homme Rama Yade a de fait adouci ce qu’avait dit son Président : « Le fait que Total soit présent en Birmanie n’a jamais empêché l’Ue de proposer et de rendre effectives ses sanctions ». De fait, ces sanctions n’ont jamais fonctionné, si bien qu’à présent les 27 (pays membres de l’Ue, NdT) pensent « les renforcer et les rendre plus efficaces ». Avant lui cependant était déjà intervenu Bernard Kouchner, en assurant que les activités de Total ne sont pas « contraires » aux mesures décrétées par l’Union européenne contre la Birmanie. Et dire que le gaz ne représente pas que la principale ressource pour le régime, mais aussi la base de son pouvoir. Un système d’oppression rodé avec la complicité économique de Total, Chevron Texaco, des Thaïlandais de Pttep, des Malaisiens de Petronas, des Japonais Nippon Oil tandis que la Chine et l’Inde s’intéressent aux réserves inexplorées sur lesquelles lorgnent aussi les Coréens de Daewoo.
Le parcours du pipeline Yadana complété en 1998.
Edition de vendredi 28 septembre 2007 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Qotidiano-archivio/28-Settembre-2007/ar19.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.