La vie des Noirs compte même au Rwanda

(« Black Lives Matter »)

Fin décembre 2015, au moment de fermer ses portes après 20 ans de mandat, le Tribunal international pour le Rwanda [1]avait englouti plus de 2 milliards d’euros pour accuser 95 personnes et en condamner 61, toutes des Hutus, excepté un Belge. Malgré un mandat très clair, le Tribunal a limité son travail aux crimes commis par des Hutus contre des centaines de milliers de Tutsis. Il ne s’est pas occupé des autres, des massacres de Hutus par des Tutsis. Toutes les dénonciations et toutes les accusations de dizaines, voire de centaines de milliers de crimes et de massacres de Hutus, portées depuis 1994 contre des Tutsis, en particulier les soldats de l’Armée patriotique rwandaise (APR) puis du Front patriotique rwandais (FPR), ont été entièrement ignorées. Pas une seule n’a jamais été retenue. Judi Rever s’est intéressée à ces crimes et ces massacres et elle présente dans ce livre le résultat accablant d’un ensemble d’enquêtes judiciaires absolument remarquables.

Il s’agit d’un ouvrage d’une très grande importance qu’on ne saurait trop recommander. Il porte sur des questions fondamentales de justice et de droits de l’homme et sur certains des pires massacres du xxe siècle. Que s’est-il passé exactement au Rwanda ? Faut-il croire la version du gouvernement Kagame ou bien la version partiale et partielle du Tribunal international pour le Rwanda qui n’a accusé et condamné que des Hutus ? Malgré un nombre de plus en plus grand de publications à ce sujet, bien peu d’auteurs peuvent ou veulent essayer de donner une réponse fondée, honnête et complète à cette question. Judi Rever est de ces très rares personnes.

Judi Rever s’est intéressée à la face cachée de ce conflit, à la fois invasion (par des Tutsis ougandais), guerre civile et massacres ethniques. Certains y voient même un génocide. Ce conflit a mis en cause la population du Rwanda (soit un peu moins de 85 % de Hutus, un peu moins de 15 % de Tutsis et un petit pourcentage de Twas). Le Tribunal, dont les experts étaient très divisés à ce sujet, a conclu qu’il y avait eu génocide, sans toutefois pouvoir en établir la planification. À une exception près, tous les accusés et tous les condamnés du Tribunal étaient Hutus. Où sont les responsables des massacres perpétrés par l’autre camp, les Tutsis (ougandais, rwandais ou burundais) qui ont massacré un très grand nombre de Hutus ? Comment se fait-il que, contre toute évidence, contre tout bon sens et malgré son mandat clair,[2] le Tribunal n’ait vu qu’un groupe de « personnes responsables » et n’ait retenu qu’une version, celle de Kagame et du FPR ? Judi Rever examine le sort des vaincus et des disparus, des Hutus, voire de certains Tutsis sacrifiés, innocentes victimes de l’armée d’invasion des Tutsis de l’Ouganda et du gouvernement Kagame, maintenant au pouvoir au Rwanda depuis plus de 25 ans.

Avec une longue expérience d’avocat et de traducteur juridique, j’ai été recruté par le Tribunal international pour le Rwanda, dont j’ai été l’un des tout premiers fonctionnaires et où j’ai été responsable des services linguistiques. Dès mon embauche, au début de 1995 par le juge Richard J. Goldstone, on pouvait se demander comment le Tribunal pourrait remplir son mandat, vu que son bureau d’enquête (relevant du Bureau du Procureur) était basé à Kigali et devait absolument avoir la collaboration, ou à tout le moins la tolérance, du gouvernement Kagame s’il voulait pouvoir procéder selon son mandat, c.-à-d. enquêter sur les crimes commis par les Hutus, mais aussi sur les crimes commis par les Tutsis, notamment son armée, le FPR. Il n’était même pas nécessaire d’être rendu à Kigali pour savoir que cela était impossible. La crainte était telle que personne ne voulait aller travailler au Bureau du Procureur à Kigali. J’ai posé une question à ce sujet lors de mon entrevue d’embauche à New York et l’on m’a répondu de ne pas m’inquiéter puisque l’ONU allait me fournir « un garde du corps et une voiture blindée ». Cette assurance étonnante était donnée sérieusement, ce qui montrait au moins qu’on était conscient de la gravité du problème. J’ai eu des réponses semblables à la même question un peu plus tard au bureau du Tribunal à La Haye. « Ne vous inquiétez pas. Vous allez avoir toute la protection nécessaire pour votre travail. » En fait, en dépit des règles de l’ONU et contre tout bon sens, il n’y avait aucune sécurité ni au Bureau du Procureur ni pour les enquêteurs lorsqu’ils allaient à l’extérieur.

Quand je suis arrivé au bureau du Tribunal à Kigali, au Bureau du Procureur, c’était la désorganisation totale, ce qui était un peu normal pour une organisation qui commence, surtout dans ces circonstances dangereuses, pénibles et exceptionnelles; mais ce qui l’était moins, c’était que personne ne semblait se soucier d’établir un plan de travail et de s’organiser en conséquence. Chacun semblait avoir l’autorité de procéder selon sa vision personnelle. On aurait dit que chacun avait reçu une poignée de pièces de casse-tête qu’il devait essayer d’assembler sans savoir si elles allaient ensemble ou si le résultat pourrait s’inscrire dans un tout.

Il était aussi impossible de savoir comment les enquêtes à faire seraient décidées ou qui parmi les administrateurs, les enquêteurs et les avocats tout juste arrivés au Rwanda, dont ils ne connaissaient absolument rien, pouvait prendre les décisions. On pouvait résumer la situation en quatre mots : Ignorance. Incompétence. Incohérence. Improvisation. Mis à part le texte – bien théorique – de son Statut, il était impossible d’obtenir une structure administrative du Tribunal, son organisation, ses objectifs et son plan de travail. Dans la pratique, il y en avait plusieurs et il n’y en avait aucune. La situation était favorable à une prise en main du Tribunal qui a vite été contrôlé d’une part par le gouvernement de Kagame et le FPR et d’autre part par les Américains par le biais d’Amnesty International et de Human Rights Watch, et d’autres entités assez sombres, qui dictaient au Tribunal quelles enquêtes il devait faire, lui remettaient les dossiers qu’il devait examiner et lui disaient parfois même quelles conclusions il devait tirer.

J’aurais cru que l’une des priorités aurait été d’établir un bureau pour recueillir les dénonciations et l’information des victimes et des témoins. Cela n’a pas été le cas. Incroyablement, son personnel, hormis les traducteurs et les interprètes, ne parlait même pas l’une des deux langues du pays, le kinyarwanda et le français. Même les téléphonistes ne pouvaient pas répondre dans l’une des langues du pays. La responsable des plaintes de viols et d’agressions sexuelles était une avocate américaine, ne parlant qu’anglais, qui était basée au bureau du Tribunal à La Haye, aux Pays-Bas. Cela peut sembler anecdotique. Mais dans les faits, c’est très sérieux parce que tout le travail du Tribunal et ses résultats s’en sont trouvés profondément minés et biaisés. Cela établissait déjà une sélection de victimes et de témoins ; seuls ceux qui parlaient anglais, comme les Tutsis venus de l’Ouganda, pouvaient arriver à communiquer avec le Tribunal et à en obtenir quelque chose. Il était clair que cet état de fait était au détriment de toutes les victimes hutues, qui n’avaient aucune chance de se faire entendre. Le Tribunal ne pourrait avoir qu’une version des événements : celle de Kagame et du FPR.

Les rapports entre les employés locaux du Tribunal et les employés internationaux étaient surveillés et contrôlés à un point inquiétant. Un seul exemple : comme nous manquions de voitures et de chauffeurs, le retour à la maison à la fin de la journée pouvait être compliqué et difficile. J’ai donc décidé tout simplement de prendre l’autobus qui ramenait les employés locaux chez eux, vu qu’il passait près de chez moi. J’étais le premier employé international à faire cela – et il n’y en a pas eu d’autre. À ma grande surprise, cela a provoqué de nombreuses réactions étonnées et étonnantes. Première réaction : certains employés locaux eux-mêmes m’ont dit que cela nuisait à mon image que je voyage avec eux et que je ne devrais pas le faire. Puis, plus tard, et beaucoup plus discrètement, certains m’ont dit que le simple fait que je parle avec eux pendant le trajet pouvait les mettre en danger. J’ai dû recommencer à attendre une voiture et un chauffeur.

Il faut aussi ajouter à ces problèmes les pressions, l’intimidation, la crainte, voire la terreur, et les tentatives de contrôle que le gouvernement de Kagame exerçait de toutes sortes de façons sur le Tribunal et son personnel, jusqu’aux agressions physiques de militaires contre certains enquêteurs dans certains cas et aux violations de domicile par effraction dans d’autres cas. Le Tribunal avait même été contraint d’attribuer l’un de ses bureaux à un représentant du Front patriotique rwandais, et chaque fois qu’il a été envisagé de le déloger, des employés du Tribunal ont reçu des menaces de mort. D’autre part, plusieurs fonctionnaires du Tribunal prenaient des ordres du gouvernement de Kagame, par complaisance, par crainte ou par sympathie personnelle. D’autres le faisaient aussi en échange de pots-de-vin. Il a même fallu congédier l’un des principaux procureurs du Tribunal pour cette raison, l’affaire étant devenue trop connue.

L’administration du Tribunal dont les employés locaux avaient nécessairement vécu les massacres avait décidé, dans un moment de curieux antiracisme et contre toute prudence et tout bon sens, que les responsables de l’embauche ne devaient pas demander aux candidats locaux de quelle ethnie ils étaient. Il était même interdit de vérifier l’identité ou les curriculum vitae des candidats ou de faire une enquête de sécurité à leur sujet. Inévitablement, un certain nombre d’employés locaux s’y agitaient sous de fausses identités. Ironiquement, l’administration et les employés internationaux étaient les seuls à ne pas savoir avec qui ils traitaient, pendant que certains employés locaux faisaient du Tribunal leur champ de bataille. Il en est finalement résulté des disparitions d’employés locaux, qui ont été plus que probablement assassinés.[3]

Dans le même ordre d’idée, certains employés noirs africains, suivant le projet raciste du Greffier Andronico Adede, faisaient une guerre incessante à tous les fonctionnaires qui n’étaient pas des Africains noirs pour les convaincre de partir afin de pouvoir constituer un tribunal exclusivement africain noir au lieu du tribunal international que le Conseil de sécurité avait spécifiquement créé. Bien entendu, les employés européens et nord-américains réagissaient vivement, d’autant plus que c’était leurs pays qui payaient les énormes budgets du Tribunal. Cette guerre raciste s’ajoutait à celle existant déjà entre les employés locaux, hutus et tutsis. Dire que l’ambiance de travail était toxique et dangereux serait un euphémisme.

Il faudrait ajouter à cela les crises impressionnantes et les graves problèmes psychiatriques de certains, provoqués ou accentués par le stress des conditions imprévisibles et dangereuses dans lesquelles nous devions travailler. Sans oublier les problèmes et les conflits causés à l’administration et aux collègues par les liens affectifs, d’une part, entre certains fonctionnaires et, d’autre part, entre des employés et des personnes rencontrées dans des bars ou dans des discothèques qui ont fini ensuite par se faire embaucher au Tribunal sans avoir la moindre idée du travail qu’elles devaient y faire.[4]

Le travail ne se faisant pas ou peu, les retards sont devenus énormes. Le Conseil de sécurité et les pays donateurs, encouragés par le gouvernement Kagame, se sont mis à faire de plus en plus de pressions pour que le Tribunal produise des résultats pour justifier les 350 millions de dollars déjà investis dans ses travaux, c’est-à-dire qu’il entende des procès et qu’il prononce des condamnations. La première victime de ces pressions a été la présomption d’innocence : le Tribunal devait accuser et condamner quelqu’un, qui que ce soit, quelles que soient les preuves. Le premier accusé était condamné d’avance. N’importe qui ferait l’affaire pourvu qu’il soit condamné. Malheureusement pour lui, le sort a voulu que ce soit le bourgmestre de Taba, Jean-Paul Akayesu. Il a été condamné. Rapidement. Or trois ans plus tôt, j’avais accompagné des enquêteurs hollandais à Taba pour interroger des personnes présentées comme de solides témoins pour la poursuite contre Akayesu. À notre grand étonnement, aucune d’entre elles n’avait quoi que ce soit à dire contre lui. Bien au contraire. Certaines étaient même prêtes à témoigner pour sa défense. Or, trois ans plus tard, tous ces témoins avaient été assassinés ou avaient disparu et, miracle ! la poursuite avait maintenant de nouveaux témoins à charge. Je me suis alors rappelé que, lorsque j’étais au Tribunal, il était notoire que, pour 25 $ US, n’importe qui pouvait recruter six faux témoins prêts à déclarer n’importe quoi au Tribunal ou à n’importe quelle autorité.

On ne s’étonnera pas d’apprendre que pour l’ensemble des 20 ans de travaux qui ont suivi, le Tribunal s’est fait accuser d’incompétence crasse, d’avoir fait un travail partiel et partial et de n’avoir été qu’un tribunal de vainqueurs constamment manipulé, et qu’il s’est valu de nombreuses critiques encore plus vives.[5]

Le bilan montre qu’avec plus de 2 milliards d’euros et des milliers d’employés, le Tribunal n’a visé que des Hutus, à une seule exception près : 95 accusés et 61 condamnés. Toutes les dénonciations et toutes les accusations portées depuis 1994 contre les Tutsis, en particulier le FPR, concernant des dizaines, voire des centaines de milliers de victimes ont été entièrement ignorées, même délibérément occultées. Pas une seule n’a jamais été retenue.

Malgré le contrôle et les pressions sur le Tribunal, un des responsables des enquêtes, à la fin de 1996, l’Australien Michael Hourigan [6], entreprit de faire enquête pour identifier l’auteur ou les auteurs de l’attentat contre l’avion des deux présidents, l’élément déclencheur du génocide. Hourigan et ses collègues de l’Équipe des enquêtes nationales ont alors recueilli des renseignements cruciaux de trois informateurs – ex-membres ou membres encore actifs du FPR – selon lesquels Kagame et certains de ses militaires les plus hauts gradés étaient responsables de l’attaque contre l’avion. Cette enquête se déroulait dans le plus grand secret ; le dossier était constitué directement dans des banques de données confidentielles du Tribunal à La Haye et les communications téléphoniques se faisaient en utilisant des lignes ultraconfidentielles de l’ambassade des États-Unis à Kigali.

Cependant, début 1997, le Procureur Louise Arbour décida subitement d’y mettre fin, de ne pas y donner suite et d’étouffer toute l’affaire, à la très grande consternation de Hourigan qui quitta le Tribunal peu de temps après. Le Procureur Arbour prétendit alors que le Tribunal n’avait pas le mandat de faire enquête sur l’assassinat des deux présidents africains. Hourigan était en désaccord avec elle et insistait sur le fait que l’attentat contre l’avion était un acte de terrorisme et qu’à ce titre il relevait du mandat du Tribunal, notamment de l’article 4 de son Statut. Quoi qu’il en soit, la décision d’Arbour constituait un précédent inquiétant en ce qu’elle semblait élargir l’impunité de Kagame en le mettant à l’abri de toute enquête judiciaire.

Mais, avant son départ du Tribunal, en 1999, Arbour décida de mettre sur pied une nouvelle équipe d’enquêtes clandestine nommée Unité des enquêtes spéciales. Puis, Carla Del Ponte ayant remplacé Louise Arbour comme Procureur, le Tribunal entreprit de recueillir des éléments de preuve portant sur des atrocités commises par le FPR ou certains de ses membres contre des civils hutus. Les enquêteurs travaillaient à l’extérieur du Rwanda où ils rencontraient discrètement d’anciens officiers ou soldats de l’armée de Kagame qui s’étaient enfuis dans les pays voisins ou en Europe. Un certain nombre de ces témoins confirmèrent que Kagame et ses commandos étaient derrière l’assassinat de Habyarimana et Del Ponte informa Kagame qu’elle comptait émettre des actes d’accusation contre le FPR ou certains de ses membres. Mais en 2003, après que ses enquêteurs eurent amassé d’importantes preuves suffisantes pour intenter des procès au FPR ou à certains de ses membres, Del Ponte fut écartée du Tribunal international pour le Rwanda. La décision du Tribunal de ne pas poursuivre le FPR et de ne pas s’assurer qu’il réponde vraiment de ses crimes a eu de nombreuses conséquences absolument néfastes en matière de justice internationale.

Puis, des années plus tard, en octobre 2016, dans un retournement étonnant, l’ex-Procureur du Tribunal Louise Arbour a finalement déclaré au quotidien canadien The Globe and Mail [7] que Kagame avait empêché le Tribunal de faire toute enquête au sujet « d’allégations très crédibles » concernant des crimes de masse commis par le FPR contre les Hutus et concernant l’avion des deux présidents. Dans cette entrevue, l’ex-Procureur Arbour décrit comment Kagame et ses partisans ont empêché le Tribunal international pour le Rwanda de faire enquête au sujet de crimes très graves, notamment l’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi, qui a déclenché les massacres de 1994. Elle ajoute : « Je considère que cela constitue un échec très grave pour la justice criminelle internationale. » L’ex-Procureur Arbour déclare finalement qu’il était impossible que le Tribunal, dont le Bureau du Procureur se trouvait en plein cœur de Kigali, puisse faire enquête au sujet de Kagame et des auteurs des massacres commis par l’armée tutsie contre de grands nombres de civils hutus.

Ainsi, subitement, après la fermeture du Tribunal, l’ex-Procureur Arbour confirme que les dénonciations et les accusations de massacres de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers de Hutus par le FPR sont des « allégations très crédibles ». On peut regretter que l’ex-Procureur Arbour ait défendu la position contraire pendant autant d’années, s’acharnant à détruire le rapport de Michael Hourigan et de ses propres enquêteurs. On peut le regretter pour toutes les innocentes victimes hutues qui, malgré le mandat clair donné au Tribunal, n’ont eu droit à aucune forme de justice et ont été ainsi non seulement exterminées, mais effacées de l’Histoire. C’est ici que se mesure l’importance des enquêtes de Judi Rever et que se révèle toute la valeur de son livre exceptionnel.

Selon les dénonciations, les massacres de Hutus auraient commencé aussi tôt qu’en 1990. Les massacres de Hutus peuvent être regroupés en quatre groupes : a) les massacres de 1990 à 1994 ; b) ceux qui ont suivi l’attentat contre l’avion des présidents en avril 1994 ; c) les massacres des réfugiés au Zaïre redevenu ensuite le Congo ; et d) les massacres de survivants hutus revenus au Rwanda. 

À la lecture de cet ouvrage, on est frappé par deux choses : d’une part, la découverte de l’étendue inimaginable des massacres de Hutus innocents par Kagame et le FPR, et, d’autre part, l’écart entre les résultats médiocres et discutables du Tribunal international pour le Rwanda et les résultats considérables de Judi Rever. On est renversé de voir que le TPIR a fait aussi peu et aussi mal avec plus de 2 milliards d’euros et des milliers d’employés alors que Judi Rever, seule, avec un modeste budget de journaliste, a pu faire un travail aussi impressionnant. Avec une intelligence exceptionnelle du drame rwandais et de ses protagonistes, elle a réalisé des recherches méticuleuses et méthodiques, en courant de très grands risques, et le résultat constitue une excellente base pour intenter des procès devant un tribunal sérieux et indépendant. Grâce à elle, la plus grande partie du travail d’enquête est déjà faite pour de tels procès. Elle montre la vérité et l’étendue de ces crimes et permet de savoir ce qui est réellement arrivé. Plus personne ne prétend maintenant que ces crimes n’ont pas eu lieu, sauf les accusés éventuels, Kagame et le FPR. Malgré la décision ferme du Conseil de sécurité, toutes les victimes du drame rwandais n’ont pas été traitées également. Les victimes hutues n’ont reçu aucune justice de qui que ce soit, ni du Tribunal international, ni du gouvernement rwandais, ni de la communauté internationale. Il reste maintenant à prendre les moyens nécessaires pour rendre justice à ces innocentes victimes et condamner les auteurs de ces massacres.

Comment y arriver ? Comment passer à l’action ?

En ces temps où l’on nous martèle avec insistance que la vie des Noirs compte (« Black Lives Matter »), il est évident que s’il est un cas auquel cette affirmation s’applique plus que tout autre c’est bien celui de ces dizaines, voire de ces centaines, de milliers d’innocentes victimes hutues. Les leaders de la diaspora hutue devraient faire appel à des chefs d’État africains pour entreprendre une action commune basée sur ce slogan et sur le puissant mouvement international qu’il a suscité et exiger pour ces très nombreuses victimes de massacres occultés pendant trop longtemps la création d’un tribunal international par le Conseil de sécurité de l’ONU. Ce serait la suite juste et logique à cet ouvrage exemplaire. La seule qui puisse donner une certaine mesure de satisfaction et restaurer un peu l’honneur de la communauté internationale face à cette terrible tragédie.

André Sirois

Avocat auprès de l’ONU

Notes :

1 C’est là le nom officiel du Tribunal qui est maintenant appelé couramment et erronément Tribunal pénal international pour le Rwanda. ONU (S/Res/955)

2 Le mandat du Tribunal était de « … juger les personnes responsables d’actes de génocide des Tutsi au Rwanda, et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 janvier 1994. », ONU (S/Res/955)

3 Voir, entre autres sources : The Shallow Graves of Rwanda, Khan, Shaharyan M., Pub. I. B. Tauris.

4 Pour une description lapidaire et juste de la situation au Tribunal international pour le Rwanda voir ce que disent les juges dans les jugements du Tribunal administratif de l’ONU dans les affaires Sirois c. le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, TANU, jugement no 1135; Godard c. le Secrétaire général l’Organisation des Nations Unies , TANU, jugement no 1132; et Lacoste c. le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, TANU, jugement no 1159. Voir aussi les divers rapports d’enquêtes faites à ce sujet par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU (BSCI), notamment le rapport A/51/789 du 6 février 1997, qui examine certaines des “graves lacunes opérationnelles” du Tribunal.

5 Voir Philpot, Robin, Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, Montréal, Les Intouchables, 2003

6 Déclarations sous serment de Michael Hourigan et ses documents d’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 publiés en anglais sur le site du journal australien The Age : http://www.theage.com.au/articles/2007/02/09/1170524298439.html

7 « Kagame government blocked criminal probe, former chief prosecutor says » The Globe and Mail, Oct. 26, 2016



Articles Par : André Sirois

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