La vraie histoire derrière la guerre n’est pas ce que raconte Israël

Le monde n’est pas seulement en train de regarder le gouvernement israélien commettre un crime dans la bande de Gaza, mais nous le voyons aussi faire du tort à lui même. Ce matin, demain matin, et tous les matins jusqu’à ce que ce tabassage punitif se termine, les jeunes de la bande de Gaza vont avoir de plus en plus de haine, et vont être plus déterminés à combattre, avec des pierres, des vestes de suicide ou de roquettes. Les dirigeants israéliens se sont eux-mêmes convaincus que plus on bat les Palestiniens, plus doux ils deviendront. Mais quand ce sera fini, la rage contre les Israéliens en sortira plus endurcie, et les mêmes vieux compromis seront toujours en attente au bord de la route de l’histoire, négligés et irréalisés.

Pour comprendre combien terrifiant il doit être à Gaza ce matin, vous avez besoin d’avoir été dans ce petit bloc de béton au bord de la Méditerranée et d’avoir senti la claustrophobie. La bande de Gaza est plus petite que l’ile de Wight, mais elle est entassée par un million et demi de gens qui ne peuvent jamais la quitter. Ils vivent leurs vies les uns sur les autres, sans travail, affamés, dans des grands tours délabrés. Du dernier étage, vous pouvez voir les limites de leur monde : La Méditerranée et les fils barbelés israéliens. Quand les bombes commencent à tomber – comme maintenant, avec encore plus de violence mortelle que ça n’a jamais été le cas depuis 1967 – il n’y a nulle part pour se cacher.

Il y aura maintenant une guerre sur l’histoire de cette guerre. Le gouvernement israélien dit : « Nous nous sommes retirés de Gaza en 2005, et en échange nous avons eu le Hamas et les roquettes al-Qassam arrosant nos villes. Seize civils ont été tués. Combien de plus sommes-nous censés sacrifier ? » C’est un récit plausible, et il y a une part de vérité dedans, mais il est aussi rempli par des trous. Si nous voulons comprendre la réalité et vraiment arrêter les roquettes, nous devons revenir quelques années en arrière pour visionner objectivement l’élan pris vers cette guerre.

Le gouvernement israélien s’est effectivement retiré de la bande de Gaza en 2005 – afin de pouvoir renforcer le contrôle de la Cisjordanie. Don Weisglass, un conseiller senior d’Ariel Sharon, était explicite sur ce point en déclarant : « Le désengagement [de Gaza] est en fait du formaldéhyde (Méthanal ou Formol : gaz soluble dans l’eau et utilisé comme désinfectant, ndt). Il fournit le formaldéhyde nécessaire pour qu’il n’y ait pas de processus politique avec les Palestiniens… Le paquet total qu’on appelle l’état palestinien a été enlevé de notre agenda, indéfiniment. »

Les Palestiniens ordinaires furent horrifiés par cela et par la corruption puante de leurs propres dirigeants du Fatah, ils ont alors voté pour le Hamas. Ceci n’aurait certainement pas été mon choix – un parti islamiste, est contraire à toutes mes convictions – mais nous devons être honnêtes. C’était un scrutin libre et démocratique, et ce n’était pas un rejet de la solution de deux États. Le sondage le plus détaillé sur les Palestiniens, par l’Université du Maryland, a révélé que 72% souhaitaient une solution à deux États sur les frontières de 1967, alors que moins de 20% voulaient récupérer l’ensemble de la Palestine historique. Alors, en partie en réponse à cette pression, le Hamas a offert à Israël un long, long cessez-le-feu et une acceptation de facto de deux états, si seulement Israël acceptait de retourner à ses frontières légales.

Plutôt que de saisir cette occasion et de tester la sincérité du Hamas, le gouvernement israélien a réagi en punissant l’ensemble de la population civile. Il a annoncé qu’il assiégeait la bande de Gaza afin d’« appliquer une pression » sur ses habitants pour renverser le processus démocratique. Les Israéliens ont entouré la bande de Gaza et ont refusé de laisser sortir quiconque ou quoi que ce soit. Ils ont laissé une petite quantité de nourriture, de carburant et de médicaments – mais pas assez pour survivre. Weisglass plaisantait en déclarant que les habitants de Gaza ont été « mis au régime ». Selon Oxfam (Oxfam International, une ONG de 13 organismes qui luttent pour le changement durable contre la pauvreté et pour les droits de l’homme, ndt) seuls 137 camions de vivres ont été autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza le mois dernier pour nourrir 1,5 millions de personnes. L’Organisation des Nations Unies affirme que la pauvreté a atteint un niveau « sans précédent ». Lorsque j’étais à Gaza assiégée, j’ai vu des hôpitaux renvoyer des malades parce qu’ils manquaient d’équipements et de médicaments. J’ai rencontré des enfants affamés trainant dans les rues pour chercher de la nourriture.

C’était dans ce contexte – sous une punition collective organisée pour renverser une démocratie – que quelques forces à Gaza ont commis quelque chose immorale : ils ont tiré des roquettes al-Qassam au hasard sur des villes israéliennes. Ces roquettes ont tué 16 citoyens israéliens. C’est odieux : viser des civils est toujours un meurtre. Mais c’est hypocrite de la part du gouvernement israélien de prétendre parler pour la sécurité des civils alors qu’il ne cesse de terroriser les civils en tant que question de politique d’état.

Les gouvernements américain EU et européens réagissent avec une partialité qui ne prend pas en compte ces réalités. Ils disent qu’on ne peut s’attendre à ce qu’Israël accepte de négocier sous le feu des roquettes, mais ils exigent que les Palestiniens le fassent sous l’état de siège dans la bande de Gaza et l’occupation militaire violente en Cisjordanie.

Avant que cela ne disparaisse dans un trou de mémoire, il convient de rappeler que, la semaine dernière, le Hamas a offert un cessez-le-feu en échange de compromis élémentaires et réalisables. Ne me croyez pas sur parole. Selon la presse israélienne, Yuval Diskin, l’actuel chef du service de sécurité israélien Shin Bet, « a informé le gouvernement israélien [le 23 décembre] que le Hamas est intéressé dans la poursuite de la trêve, mais veut améliorer ses conditions. » Diskin a expliqué que le Hamas demandait deux choses : la fin du blocus, et un cessez-le-feu israélien sur la Cisjordanie. Le gouvernement – excité avec la fièvre des élections et désireux d’apparaître dur – a rejeté ces conditions.

Le fond de la situation a été clairement expliqué par Ephraïm Halevy, ancien chef du Mossad. Il dit que bien que les militants du Hamas – comme une grande partie de la droite israélienne – rêvent de bouter dehors leurs adversaires, « ils ont reconnu que cet objectif idéologique n’est pas réalisable et ne le sera pas dans un avenir prévisible. » Au lieu de cela, « ils sont prêts et disposés à voir la création d’un état palestinien dans les frontières provisoires de 1967. » Ils sont conscients que cela veut dire qu’ils « doivent adopter une voie qui pourrait les amener loin de leurs objectifs initiaux » – et vers une paix à long terme fondée sur le compromis.

Les partisans du refus des deux côtés – de Mahmoud Ahmadinejad en Iran jusqu’à Bibi Netanyahou en Israël – seraient alors marginalisés. C’est la seule voie qui pourrait conduire à la paix mais c’est le gouvernement israélien qui refuse de la choisir. Halevy, explique : « Israël, pour des raisons qui lui sont propres, ne veut pas transformer le cessez-le-feu en un début d’un processus diplomatique avec le Hamas. »

Mais pourquoi Israël agit de cette façon ? Le gouvernement israélien veut la paix, mais seulement une paix imposée selon ses propres conditions, sur la base de l’acceptation de la défaite par les Palestiniens. Cela veut dire que les Israéliens peuvent conserver les blocs de la Cisjordanie de « leur » côté du mur. Cela veut dire qu’ils gardent les plus grandes colonies et le contrôle des sources d’eau. Et cela veut dire une Palestine divisée, avec la responsabilité de Gaza confiée à l’Egypte, et la Cisjordanie morcelée toute seule. Les négociations menacent cette vision : elles exigeraient d’Israël de renoncer à plus que ce qu’il veut. Mais une paix imposée veut dire l’absence totale de paix : elle n’arrêtera pas les roquettes ou la rage. Pour une vraie sécurité, Israël aura à parler aux gens qu’il assiège et qu’il bombarde aujourd’hui, et à trouver des compromis avec eux.

La voix de Gaza qui brule devrait être couverte par les paroles de l’écrivain israélien Larry Derfner. Il dit : « la guerre d’Israël contre Gaza doit être la plus inégale sur la terre… Si le but est d’y mettre fin, ou au moins de commencer à y mettre fin, la balle n’est pas dans la cour du Hamas – il est dans le nôtre. » 

 

Article original en anglais:

http://www.independent.co.uk/opinion/commentators/johann-hari/johann-hari-the-true-story-behind-this-war-is-not-the-one-israel-is-telling-1214981.html

Traduction : Iyad Abbara



Articles Par : Johann Hari

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