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L’Accord d’Association Transpacifique, un danger imminent
Par Martin Khor
Mondialisation.ca, 09 mai 2013
RTM
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https://www.mondialisation.ca/laccord-dassociation-transpacifique-un-danger-imminent/5334518

De nombreux livres et articles font référence au contraste et à la concurrence existant entre les modèles économiques actuels asiatiques et occidentaux. Le modèle asiatique réussi de « capitalisme d’État » se trouve maintenant menacé par l’Accord d’Association Transpacifique(TPPA, selon son sigle en anglais).

Les pays occidentaux ont, à ce qu’on suppose, un modèle de libre marché basé sur la concurrence entre les entreprises privées, dans lequel le gouvernement n’intervient pas. Et les pays de l’est asiatique pratiqueraient le « capitalisme de d’État », dans lequel le gouvernement joue un rôle important , collaborant avec le secteur privé national et dans lequel de nombreuses entreprises sont aussi totalement ou partiellement propriété étatique.

Les pays occidentaux fustigent de plus en plus le modèle asiatique, alléguant que les entreprises publiques comptent avec aide de l’État, obtenant un avantage déloyal face aux entreprises étrangères qui se trouvent en compétition avec elles.

La Chine, la Malaisie, le Viêt-Nam et le Singapour font partis de ces pays dans lesquels l’État occupe un rôle primordial. Et au Japon et en Corée du Sud, les entreprises nationales ont grandi jusqu’à devenir des colosses mondiaux avec l’appui systématique de leurs gouvernements. Pour ces pays, le soi-disant capitalisme d’État (ou socialisme orienté vers le marché, dans le cas des socialistes) a bien fonctionné grâce à un développement industriel et une croissance économique relativement haute et soutenue.

Quelques pays occidentaux ont essayé de freiner, ou même d’éliminer, le modèle asiatique du capitalisme d’État ou aidé par l’État. C’est une attitude hypocrite, parce qu’en Europe, aux États-Unis et au Japon, le secteur agricole est fortement subventionné et protégé. Plusieurs de leurs établissements agricoles ne pourraient pas survivre sans l’aide déterminante de l’État et des taxes élevées à l’importation. De plus, plusieurs de leurs banques et des entreprises industrielles sont aussi subventionnées de manières variées, y compris grâce aux sauvetages multimillionnaires à la suite des récentes crises financières.

Mais cela ne leur a pas empêché d’attaquer le modèle asiatique. La dernière tentative de le freiner fut à travers les négociations de l’Accord d’Association Transpacifique. Ce traité sur le commerce et les investissements auquel participent les États-Unis, le Canada, la Malaisie, le Singapour, le Viêt-Nam, le Brunei, le Pérou, le Chili, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, contient une section importante sur les entreprises publiques, à la demande des États-Unis et de l’Australie. Comme sa négociation est menée en secret, on ne connaît pas encore le texte de la section sur les entreprises publiques, mais tout permet de penser que très probablement il contient des contrôles pour freiner et donner forme au comportement de trois types d’entreprises publiques.

Les Traités de libre commerce (TLC) bilatéraux récemment signés par les États-Unis contiennent un chapitre sur la concurrence qui se réfère à deux types d’entreprises publiques. Il est probable que Washington propose dans l’Accord d’Association Transpacifique quelque chose de similaire à ce qu’ils ont établi dans le TLC avec le Pérou, par exemple, en matière des contrôles sur les monopoles désignés et les entreprises de l’État. Là on dit que, à l’heure d’acheter ou vendre les biens ou les services d’un monopole, les monopoles étatiques agiront exclusivement conformément à des considérations commerciales, en particulier à l’égard du prix, la qualité, la disponibilité, le transport. Ainsi, ils devront offrir un traitement non discriminatoire aux investissements, aux biens et services d’autres membres de l’Accord d’Association Transpacifique et n’utiliseront pas leur position monopoliste pour tomber dans des pratiques anti compétitives à travers des relations avec leurs maisons mères, filiales ou autres entreprises de propriété commune sur un marché non monopolisé, pour parler pratiques qui agissent négativement sur les investissements d’autres pays. Les entreprises publiques offriront, également, un traitement non discriminatoire dans la vente de biens ou de services aux investisseurs d’autres pays.

Plus important encore. Les États-Unis et l’Australie proposent un troisième type d’entreprise publique qui serait aussi régie par des contrôles. Selon des articles de presse, l’Australie a introduit le principe de « neutralité compétitive » pour contrôler les entreprises publiques.

La forme dans laquelle s’appliquera ce principe peut être anticipée à partir des directives du gouvernement australien sur la neutralité compétitive, qui sont basées sur le concept d’ « entreprises de propriété étatique ». L’entreprise commerciale de propriété étatique qui est en compétition avec entreprises privées peut obtenir des avantages qui empêchent le secteur privé de concourir dans les mêmes conditions. Conformément aux directives australiennes, ces avantages incluent des exemptions d’impôts, un financement plus bon marché de la dette (à cause de la qualification de risque faibles ou par les garanties gouvernementales), la non nécessité d’une taxe commerciale de retour et l’exemption de restrictions régulatrices ou de frais.

Pour compenser ces avantages les directives australiennes établissent maintenant la forme dans laquelle les entreprises publiques doivent payer les impôts dans leur totalité, comment elles doivent rendre à l’administration centrale la différence de coûts de leurs prêts en comparaison aux coûts des prêts du secteur privé, du paiement des honoraires des licences équivalentes à l’administration centrale et s’assurer qu’elles atteignent une taux de rentabilité commerciale.

Il est probable donc que le projet de l’Accord d’Association Transpacifique prévaut des contrôles pour une troisième catégorie d’entreprises publiques, les organismes commerciaux liés au gouvernement qui sont impliqués dans les activités commerciales qui sont en concurrence avec le secteur privé. Les contrôles proposés pourraient être dans la même ligne, rejetant ainsi les « avantages » qu’ ont les entreprises liées à l’État, comme celles mentionnées dans les directives australiennes.

Les conséquences pour la Malaisie, le Viêt-Nam et le Singapour seraient graves, parce que leurs économies nationales se caractérisent par le rôle important qu’ occupent les entreprises publiques comme celles liées au gouvernement. Ces pays auraient à abandonner leur modèle de développement réussi, ainsi que sa structure économique actuelle.

D’autre part, les entreprises publiques remplissent de nombreuses fonctions, notamment la prestation de services sociaux à la population, en assurant que les secteurs pauvres et vulnérables reçoivent une attention spéciale. Souvent, cela signifie que les entreprises publiques n’agissent pas exclusivement avec des mobiles commerciaux et que plusieurs d’entre elles dépendent des subventions et de l’aide du gouvernement. Il y a aussi des subventions croisées dans lesquelles l’aspect rentable d’une entreprise publique peut financer les activités non rentables mais socialement importantes. Et le danger existe que le chapitre sur les entreprises publiques de l’Accord d’Association Transpacífique empêche ou gêne les fonctions d’utilité sociale des entreprises publiques.

L’Accord d’Association Transpacifique est encore négociation et, par conséquent, il n’y a pas encore de texte définitif concernant le chapitre des entreprises de propriété étatique. C’est pourquoi, il y a encore une marge pour que s’expriment des points de vue différents.

Martin Khor

RTM, le 19 avril 2013 – Non. 110 – le 2013

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 24 avril 2013.

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Martin Khor est le fondateur du Réseau du Tiers Monde et directeur exécutif de South Centre, une organisation de pays en développement dont le siège se trouve à Genève. 

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