L’Affaire Navalny: Cui bono ?

Voilà une affaire qui pose énormément de questions et qui n’a aucune réponse claire pour le moment. Nous pouvons tout au plus souligner les incohérences et les similitudes avec d’autres affaires d’empoisonnement. Est-ce une sordide tentative d’assassinat, une simulation ou un banal ennui de santé de l’intéressé monté en épingle ? Une réponse peut peut-être être trouvée en posant la question suivante : cui bono ?

Un parcours agité.

Alexeï Navalny est un avocat déchu et un blogueur russo-ukrainien [i] qui doit sa notoriété à ses accusations virulentes contre la corruption de dirigeants, de fonctionnaires et de l’élite russe en général ainsi qu’à l’organisation de manifestations illégales contre le gouvernement. Son profil est davantage celui d’un dissident que celui d’un opposant politique classique.

Il s’était d’abord lancé dans le business avant d’obtenir en 2010 une bourse américaine pour suivre une formation au Yale World Fellows sur recommandation entre autres de l’ancien champion d’échecs et opposant notoire à Vladimir Poutine, Gary Kasparov.

Il a connu son heure de gloire quand il termina deuxième aux élections pour la mairie de Moscou en 2013 bien qu’il fût encore relativement inconnu. Sa démagogie pouvait alors sembler crédible.

Suite à une plainte contre X de la société française Yves Rocher, il est condamné avec son frère à trois ans et demi de prison avec sursis en 2014 pour détournement de fonds.

En 2017, la Cour européenne des droits de l’homme avait estimée qu’il avait été privé d’un procès équitable.

Il est en procès en permanence soit pour escroquerie soit pour dénonciations calomnieuses depuis plus de 10 ans et il perd presque à chaque coup.

Pour moi, il y a des milliers de Russes qui pourraient être poursuivis pour les mêmes raisons mais il est évident qu’Alexeï Navalny a été particulièrement visé parce qu’il s’était attaché à dénoncer la corruption (parfois injustement) et que lui-même traîne des « casseroles ». L’expression « L’arroseur arrosé » convient très bien dans le cas Navalny.

Suivant la Commission électorale russe, il ne sera pas éligible avant 2028.

Le dernier procès perdu en appel concerne une vidéo mises en ligne sur le site de FBK (sa fondation anti-corruption) avec le témoignage d’une ancienne employée de Moskovsky Shkolnik (une société de repas collectifs pour écoles) qui dénonçait les conditions insalubres dans lesquelles l’entreprise travaillait. La société en question a porté plainte et a gagné son procès vu qu’un contrat avait été résilié à cause de cette accusation. [ii]

Moskovsky Shkolnik. Les employés ont la tête couverte et portent des gants. Les locaux semblent propres. Ici, des enfants visitent les ateliers.

Alexeï Navalny, son associée Lyubov Sobol et FBK ont été condamnés à payer chacun un dédommagement de 29,2 millions de roubles à Moskovky Shkolnik. [iii]

Cette indemnisation a été reprise par Evgueni Prigogine, un (très) proche de Vladimir Poutine.

C’est un détail qui est important et qui a peut-être un rapport avec l’affaire Navalny.

Rappel des faits.

Alexeï Navalny se trouvait le 20 août à Tomsk, en Sibérie occidentale, dans le cadre des élections régionales du 13 septembre.

Il quitte son hôtel avec ses collaborateurs et se rend à l’aéroport pour prendre l’avion pour Moscou. Il boit un thé qu’un de ses proches lui apporte à la cafétéria.

Durant le vol, il est pris d’un malaise dans une des toilettes. Il existe une vidéo où on l’entend gémir.

L’avion interrompt son vol pour débarquer Alexeï Navalny à Omsk, une ville d’un peu plus d’un million d’habitants de Sibérie occidentale.

Il est immédiatement admis à l’Hôpital Clinique régional d’Omsk.

Il est pris en charge par une équipe médicale qui le lendemain déclare ne pas avoir trouvé de trace d’empoisonnement. Les médecins parlent d’un trouble métabolique lié à une hypoglycémie.

Une hypoglycémie est assez facile à traiter mais si le taux de glycémie est tombé très bas, il peut y avoir des complications. Alexeï Navalny est maintenant dans le coma.

Son entourage hurle à la machination et parle d’empoisonnement. Ils veulent un transfert en Allemagne. L’équipe médicale estime que son état ne permet pas un transfert.

Un avion médicalisé envoyé par une ONG allemande arrive à Omsk… 24 heures après son malaise. Qui a payé ce vol ?

Le lendemain, le 22 août, le transfert d’Alexeï Navalny, toujours dans le coma, vers l’Allemagne est autorisé sans doute avec l’accord présidentiel vu qu’il ne peut pas quitter le territoire à cause de ses démêlées judiciaires.

L’avion l’amène à l’hôpital de la Charité de Berlin.

Le 24 août, Berlin annonce, citant des médecins militaires (pourquoi militaires?), qu’Alexeï Navalny a été empoisonné par un neurotoxique de type Novitchok. Tous les médias mainstream s’emballent et demandent des sanctions

Le 6 septembre, il sort du coma.

Le 14 septembre un laboratoire français et un Suédois confirment que des traces d’un agent neurotoxique ont été découvertes dans son sang.

Le 17 septembre, l’équipe d’Alexeï Navalny affirme que des traces de Novitchok ont été trouvées sur une bouteille d’eau récupérée dans sa chambre.

Ici, il y a une bizarrerie. Nous savons qu’Alexeï Navalny est débarqué à Omsk et que le diagnostic de l’hôpital n’a pas décelé de trace d’empoisonnement. Or il faut bien 24 heures pour avoir des résultats d’analyses.

Ses proches ont très vite parlé d’empoisonnement et on a d’abord cru que le thé bu à l’aéroport de Tomsk avait été empoisonné. Il s’était avéré que cette piste n’était pas plausible parce que c’est un proche qui a été chercher le thé et personne ne pouvait savoir à qui il était destiné. Quand la piste du thé s’est révérée fausse, un jour plus tard, quelqu’un de son entourage est retourné à l’hôtel, a récupéré une bouteille d’eau qu’Alexeï Navalny avait bu et l’a amenée en Allemagne pour analyses.

Les Allemands disent y avoir décelé des traces de poison.

Vous pensez vraiment qu’Alexeï Navalny descendrait dans un bouge ou trois jours après son départ, la chambre n’était pas encore faite et que des bouteilles de boisson y traînaient encore et même si c’était le cas, pourquoi un poison censé foudroyer ses victimes mettrait trois heures avant de faire son effet ?

C’est invraisemblable ! C’est une opération d’un amateurisme crasse !

De plus, peut-on imaginer qu’un quidam introduise une bouteille contaminée par un agent chimique militaire en Allemagne sans être inquiété par les services sanitaires du pays et qu’il ne soit pas arrêté ?

Le 22 septembre, il sort de l’hôpital. Il manifeste son désir de rentrer en Russie. Il réclame ses vêtements qui sont restés en Russie.

Il reçoit une fin de non-recevoir. Ses vêtements sont des pièces à conviction. Les enquêteurs russes disent qu’on pourrait contaminer ses vêtements en Allemagne. Ils se tiennent à la déclaration de l’équipe médicale d’Omsk. Quand Alexeï Navalny est arrivé à l’hôpital, il ne présentait pas de trace d’empoisonnement. Ses vêtements non contaminés en sont une preuve.

Que s’est-il passé ?

Comme souvent en ce qui concerne la Russie, la majorité de l’opinion publique est influencée par les clichés datant de la Guerre froide. Les médias peuvent dire à peu près tout et n’importe quoi vu que bien peu de gens consulte les médias russes et que personne n’ira sur place pour enquêter sans préjugé.

Nous n’avons cependant que deux explications possibles.

  • Une officine russe ou quelqu’un a voulu l’éliminer ou a tenté de le faire croire.
  • Il a été victime d’une crise liée à son état de santé ou a volontairement ou accidentellement ingurgité un poison.

Le fait qu’il a été pris d’un malaise réel ou simulé dans l’avion qui le ramenait de Tomsk à Moscou le 20 août dernier est révéré incontestable.

A priori, Alexeï Navalny ne représente pas une menace politique pour Vladimir Poutine. C’est tout au plus une espèce de poil à gratter qui dérange l’élite russe. Je dirais même que sans le dire, Vladimir Poutine est peut-être bienveillant à ces dénonciations pour autant qu’elles soient fondées. Lui-même, il n’est pas en mesures de se confronter à son État profond libéral. Il est très puissant en politique extérieure mais très peu en politique intérieure.

Suite aux dédommagements à payer à Moskovsky Shkolnik, Alexeï Navalny et sa fondation sont complètement ruinés. Pourquoi choisir ce moment pour l’éliminer physiquement en mouillant des Services secrets russes. Si Alexeï Navalny avait été contaminé par un agent neurotoxique militaire, lui et son entourage seraient six pieds sous terre à l’heure actuelle. Des professionnels n’utilisent pas ce genre de produit à dose homéopathique.

En revanche, les victimes des dénonciations d’Alexeï Navalny doivent sans doute mûrir des plans de vengeance depuis longtemps soit pour le faire taire soit pour le punir.

Le problème, c’est qu’il y en a des centaines et trouver un éventuel coupable dans ces conditions, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin.

D’un autre côté, si la substance utilisée pour éliminer Alexeï Navalny est vraiment ce que les laboratoires occidentaux prétendent, c’est-à-dire un agent innervant, je ne vois pas comment des non-militaires auraient pu se le procurer.

Il ne faut pas exclure non plus que ses sponsors aient estimé que les actions provocatrices d’Alexeï Navalny mènent l’opposition pro-occidentale dans une impasse. A force de dénoncer l’élite libérale corrompue, il empêche l’émergence d’un candidat libéral crédible capable de se mesurer à Vladimir Poutine en 2024. [iv]

Un produit sophistiqué (qui a fait baisser son taux de glycémie par exemple et qui est donc indécelable) fourni par une agence occidentale aurait pu lui être administré pour qu’il agisse durant le vol de Tomsk à Moscou.

L’atterrissage d’urgence à Omsk n’avait pas été prévu et cela pourrait avoir sauvé la vie d’Alexeï Navalny.

Cela expliquerait la célérité mise pour le sortir de Russie avant que l’hôpital d’Omsk ne décèle la substance en question ou confirme qu’il n’y a pas d’empoisonnement. Il faut savoir que l’hôpital d’Omsk est très moderne et possède un équipement médical récent importé des États-Unis. Il n’aurait pas tardé à trouver la cause du problème.

Un proche serait alors responsable de l’empoisonnement.

C’est évidemment une thèse que les stupides médias occidentaux réfutent vigoureusement au nom du complotisme. Il leur est insoutenable de faire croire à leurs lecteurs que des Services secrets occidentaux seraient capables de coups fourrés. Pourtant, les exemples ne manquent pas : Rainbow Warrior, la fiole de Colin Powell, les couveuses de Koweït, le Plan Fer-à-cheval (Kosovo), le Massacre de Racak, le massacre programmé par Mouammar Kadhafi à Benghazi etc.

A part pour le Rainbow Warrior qui est un cas à part plus ancien, les décideurs de guerre occidentaux se sont toujours servis d’excuses fallacieuses pour convaincre les opinions publiques de la justesse de leurs actions belliqueuses. La CIA ou le MI6 sont parfaitement capables de mener ces actions.

Je ne prends pas position, je dis simplement qu’il ne faut rien exclure.

S’il n’y avait pas eu d’empoisonnement en Russie, ce qui est plausible, ce serait une cause naturelle qui serait responsable du malaise d’Alexeï Navalny.

Une hypoglycémie peut effectivement provoquer de la confusion et une perte de connaissance comme le pense le centre médical d’Omsk. Le hic, c’est qu’une fois le diagnostic posé, la prise de glucide vous rétablit rapidement or Alexeï Navalny a été maintenu dans le coma. C’est le signe qu’il y avait une complication indéterminée comme par exemple un insulinome mais cela demandait des examens approfondis que l’Hôpital d’Omsk n’a pas eu le temps de faire et il faut voir les livres pour en savoir plus.

Quoi qu’il en soit, Alexeï Navalny avait des difficultés respiratoires et était dans le coma quand il a été transféré en Allemagne.

Il n’est pas totalement exclu qu’on lui ait administré ultérieurement une dose inoffensive de poison pour qu’on le décèle dans les analyses sanguines.

Cui bono ?

Alexeï Navalny n’a pas l’envergure pour menacer le pouvoir de Vladimir Poutine. De plus, avec son inéligibilité et ses dédommagements à payer, lui et son association sont sur la paille et ses sponsors rechignent à financer son association. Il n’arrive plus à mobiliser les foules. Il rassemble tout au plus des collégiens en mal de révolution comme tous les jeunes de leur âge.

Vladimir Poutine devrait être vraiment stupide pour ordonner son élimination juste à un moment où tout lui réussit : triomphe à son référendum, vaccin Spoutnik V, régimes ennemis (Ukraine et Pays baltes) en grandes difficultés économiques, renaissances industrielle et militaire de la Russie etc.

Une initiative d’un Service secret (FSB, GRU, SVR) sans l’assentiment du Président est peu plausible et l’accès à des agents neurotoxiques doit être très strictement contrôlé. Officiellement, la Russie ne possède d’ailleurs plus d’agent de type Novitchok.

L’action s’étant déroulée sur le territoire russe, ils auraient eu la possibilité d’utiliser toute une panoplie de moyens pour ne pas rater leur coup.

Aucun de ces services n’a quelque chose à gagner avec la mort d’Alexeï Navalny.

Les élites russes, pro-Poutine et libérales (pro-occidentales), ont vraiment des raisons d’en vouloir à Alexeï Navalny. Ce sont des oligarques très puissants qui peuvent facilement faire appel à des hommes de main pour faire la sale besogne. Ce qui serait alors bizarre, c’est le moyen employé : un agent de type militaire est très dangereux à manipuler. Les responsables auraient au moins dû porter des combinaisons pour disposer ce produit dans l’environnement d’Alexeï Navalny et tout son entourage aurait été contaminé.

Evgueni Prigogine fait partie de ces oligarques souvent visés. Après la fausse accusation d’avoir contaminé par négligence des enfants avec des repas frelatés, une vengeance par empoisonnement serait une explication tentante mais un peu faible vu qu’Alexeï Navalny lui est redevable d’un énorme dédommagement.

Oui, pour ces gens, la mise hors d’état de nuire d’Alexeï Navalny est un soulagement mais ils savaient parfaitement bien qu’il était de toute façon affaibli et ces gens n’ont pas accès au type de produits utilisés suivant l’hôpital de la Charité.

Il faut aussi s’intéresser à l’entourage d’Alexeï Navalny. Les outrances et les démêlées avec la justice ont discrédité le blogueur et son mouvement auprès de l’opinion publique russe. Beaucoup de ses proches sont soutenus par Michaïl Khodorkovski, l’ennemi mortel de Vladimir Poutine, et ils peuvent penser que l’heure d’Alexis Navalny est passée.

Sans lui, son mouvement essayerait de devenir une opposition traditionnelle qui pourrait s’allier aux divers autres partis libéraux pro-occidentaux lors d’élections vu qu’une révolution de couleur est quasi impossible en Russie.

Pour le moment, aucun de ces partis n’est prêt à s’allier à Alexeï Navalny. Beaucoup de ses prises de position sont contraires aux « valeurs européennes » : Crimée, racisme (son slogan : arrêtez de nourrir le Caucase !), immigration etc. Alexeï Navalny est un nationaliste russe qui joue sur le populisme et il faut le savoir. L’opposition libérale ne serait pas mécontente d’en faire une victime sacrificielle et de voir cet électron libre banni de Russie.

Je pense qu’Alexeï Navalny l’a bien compris, d’où son empressement à rentrer en Russie pour reprendre son mouvement en main avant qu’il ne soit trop tard.

Un malaise naturel est aussi plausible. Les analyses de l’hôpital russe n’ont pas décelé d’empoisonnement. Leur laboratoire est équipé d’appareils médicaux américains de dernières générations et il est difficile de croire que tous les médecins russes sont des agents du FSB. [v] C’est mal connaître la Russie que de le croire.

 L’équipement de l’Hôpital Clinique régional de Omsk est manifestement récent.

Pour les autorités russes, c’est un patient qui n’avait pas de trace d’empoisonnement qui est parti en Allemagne et cela suggère que c’est en Allemagne qu’on lui a administré une microdose d’un agent toxique pour qu’on le décèle lors des analyses ou qu’on a directement contaminé les éprouvettes.

Cela pourrait provoquer une grave crise politique entre l’Allemagne (ainsi que l’UE) et la Russie parce qu’il est certain que le laboratoire d’Omsk a gardé des échantillons du sang, d’urines et de salive d’Alexeï Navalny. Le fait que l’Allemagne refuse de donner les résultats de leurs tests et renvoie la Russie vers l’OIAC qui elle-même la renvoie vers l’Allemagne est très bizarre. Il est évident que si les résultats étaient transmis aux Russes, ils seraient immédiatement comparés aux prises de sang russes et s’il y a supercherie, elle serait vite dénoncée.

Une autre anomalie qui peut être comparée à l’affaire Skripal c’est qu’il s’agit d’un empoisonnement démonstratif, c’est-à-dire à faible dose de concentration de poison qui n’est pas destiné à tuer la victime mais qui laisse des traces d’un agent de guerre chimique crée à la fin de l’URSS dans le corps de la victime.

L’usine qui produisait cet agent se trouvait à Chikhany, ville russe à la frontière avec le Kazakhstan et elle a été démantelée par les États-Unis en 1993. Ce pays et certains de ses alliés de l’OTAN ont reçu les formules et elles se trouvent pratiquement sur Internet à l’heure actuelle.

Il est difficile de contester qu’il y ait immédiatement eu des déclarations appelant à stopper la construction de Nord Stream 2. C’est vraiment curieux, parce qu’il est difficile de voir un rapport entre un dissident-opposant malade ou empoisonné et un projet économique rentable pour tout le monde. Ici, il y a un objectif économique et politique étasunien qui est en jeu.

Le bénéfice pour les milieux atlantistes est évident. Un de leur premier objectif, l’arrêt de Nord Stream 2, est sur la sellette et la Russie est globalement à nouveau accusée d’être un État paria à un moment où la crise biélorusse se préparait, que l’Ukraine est au bord de l’effondrement et qu’elle est sur le point d’engranger un succès majeur avec son vaccin contre la COVID-19.

J’exclus un auto-empoisonnement d’Alexeï Navalny. Il me semble dans un état mental normal et il ne prendrait pas le risque d’être contaminé par un agent neurotoxique juste pour nuire aux autorités russes ou pour ne pas payer les réparations à une de ses victimes et ensuite dire qu’il compte rentrer au pays.

Même si c’est une hypothèse peu vraisemblable, on peut aussi penser à un empoisonnement accidentel.

Les conséquences.

Une nouvelle série de sanctions mutuelles vont à nouveau creuser le fossé entre l’Union européenne et la Russie. Personne ne va y gagner quelque-chose mais à mon avis, la Russie est à présent économiquement prête à encaisser un nouveau choc et ripostera durement.

En cas d’arrêt définitif de la construction Nord Stream 2 de par sa propre décision, l’Allemagne sera contrainte de payer de lourds dédommagements à toutes les entreprises concernées par le projet et elle devra subir une lourde augmentation du prix du gaz naturel qui risque de mettre sa reprise économique en difficulté.

Pour la Russie, il y a un deal avec l’Allemagne. Vous nous acheter nos hydrocarbures et nous vous achetons vos voitures. Qu’en sera-t-il de ce deal ?

D’après ce que je lis dans les médias russes, le gouvernement serait prêt à détourner le gaz de Nord Stream 2 vers son marché intérieur. Il faut savoir que les villages de campagne russes ne sont pas encore tous raccordés au gaz naturel et qu’il y a là une opportunité pour améliorer le confort des Russes comme ces derniers le réclament.

On pourra aussi s’attendre à une politique étrangère différente avec le replacement du Ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, par quelqu’un de moins conciliant. On parle de Sergueï Narychkine, le directeur du SVR (Service de renseignements extérieur), d’ailleurs sous sanctions occidentales. Il préconise de nouvelles approches conceptuelles des problèmes d’actualité de la politique de l’État pour faciliter les investissements en Russie.

Xi Jinping et Sergueï Narychkine.

Si les relations entre l’Occident et la Russie se détérioraient encore davantage, le cauchemar d’une politique russe plus offensive visant à écarter les Occidentaux de leurs bastions dans leurs ex-colonies pourrait bien se réaliser.

Un approfondissement des liens stratégiques avec la Chine sera aussi probable. La Chine participe d’ailleurs actuellement aux manœuvres Kavkaz-2020 (environ 80000 soldats) en Russie européenne.

Une autre conséquence de cette affaire est que l’unité se ressoude autour du président dont l’honneur est mis en cause. Les commentaires anti-occidentaux sous des articles traitant du sujet sur Internet recueillent des milliers de pouces verts.

Si les journalistes du mainstrean les voyaient, ils seraient effarés (et effrayés par la violence des commentaires).

Conclusion.

Poser un ultimatum à la Russie a été très maladroit de la part d’Angela Merkel.

C’est aussi paradoxal dans le sens où l’Allemagne dit détenir des preuves de l’empoisonnement d’Alexeï Navalny mais refuse de les partager avec des enquêteurs russes. Trouvez le coupable et punissez-le. Je détiens les preuves et les pièces à conviction mais je ne vous les communiquerai pas.

Cet ultimatum est adressé à Vladimir Poutine qui le prend comme une accusation personnelle de couvrir des responsables d’un empoisonnement. Cela risque plutôt d’empoisonner définitivement les relations entre Angela Merkel et Vladimir Poutine.

La Russie 2020 de Poutine n’est plus la Russie 1992 d’Eltsine. Son PIB dépend de moins en moins des matières premières.

Elle a réussi à mieux diversifier son économie et à relancer son industrie au point de dépasser celui de l’URSS. Son PIB-PPA a dépassé maintenant celui de l’Allemagne et la Russie est devenue la première économie du continent européen.

Tout cela pour dire qu’elle a atteint un niveau suffisant pour ne plus accepter qu’on lui parle sur un ton menaçant.

Il n’y a pas de flagrant délit. Il y a même de nombreux coupables possibles alors il faut raison garder et ne pas accuser sans preuve.

Au stade actuel, ceux qui ont la conviction que des Services secrets russes sont responsables de cet empoisonnement pensent plus avec leurs préjugés qu’avec leur cerveau.

A ce niveau de haine de la Russie, ils considéreraient un Landru comme une victime pour peu qu’il ait manifesté son opposition à Vladimir Poutine.

Quant à Alexeï Navalny, il aurait intérêt à rentrer au pays pour sa propre sécurité mais tous ses biens ainsi que ceux de sa fondation ont été saisis.

Les autorités russes disent qu’il n’y a pas d’objection à son retour. Il devra donc être hébergé par des amis s’il veut rentrer en Russie.

Je pense cependant qu’on essaiera de le convaincre de rester en Allemagne. S’il a vraiment des traces de Novitchok dans son sang maintenant et qu’il n’en avait pas le 22 août, les Russes demanderont des explications à l’Allemagne.

Tôt ou tard, il prendra conscience qu’il n’est qu’une marionnette habilement manipulée.

Alexeï Navalny veut la fin du système russe actuel et il n’a pas tort quand il parle du parti des escrocs et des voleurs quoique tout est plus nuancé mais il n’a pas encore compris que ce ne sera pas lui qui sera le candidat président adoubé par l’élite mondialiste.

Pour beaucoup d’analystes russes et occidentaux, c’est principalement l’arrêt de Nord Steamer 2 qui est l’enjeu de cette tragi-comédie et il est bien tentant de trouver là l’explication de cette affaire.

N’oublions pas que Mike Pompeo a déclaré que tous les moyens pour arrêter Nord Steamer 2 seront utilisés… tous les moyens… [vi]

Pierre Van Grunderbeek

Pour aller plus loin :

Relation Russie-Allemagne, Nord Stream 2 et l’empoisonnement d’Alexei Navalny

Par Peter Koenig, 08 septembre 2020

 

Notes

i Suivant Wikipédia en russe : « En 2013, sur les ondes de la chaîne de télévision ukrainienne Inter, Navalny a déclaré qu’il était moitié russe, moitié ukrainien, soulignant : probablement plus ukrainien en termes de racines et de génétique».

ii Moskovky Shkolnik a été condamné à indemniser les victimes d’une épidémie de dysenterie liée à ses fournitures de repas. Le tribunal a cependant estimé que cette épidémie n’était pas liée à des conditions insalubres comme dénoncées dans la vidéo de FBK et notamment à l’utilisation de produits contaminés par des vers ou à l’utilisation de toilettes pour laver les légumes comme l’ex-employée l’avait déclaré. Elle a ensuite réfuté ses propos et a été condamnée à ne payer qu’un rouble symbolique. Elle dit qu’elle a lu un texte présenté par Navalny et ses acolytes parce qu’elle avait besoin d’argent (qu’elle n’a bien sûr jama­is reçu.)

ivS’en être pris à Dmitri Medvedev par exemple est contre productif pour les élites occidentales. Dmitri Medvedev est euro compatible et se trouve actuellement marginalisé et  n’entre plus en lice pour succéder à Vladimir Poutine.

vL’atterrissage à Omsk était imprévu et ce sont les analystes habituels qui étaient en poste. Peut-on imaginer soit que tous les analystes des hôpitaux sont aux ordres du FSB soit que le FSB avait prévu que l’avion débarquerait Alexeï Navalny à Omsk et a immédiatement pris le contrôle du laboratoire sans que cela ne fuite ?



Articles Par : Pierre Van Grunderbeek

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