« L’Algérie occupe une position centrale au Sahara. »

Entretien : René Naba à La Nouvelle République

Question: Ne pensez-vous pas que la Mali paye aujourd’hui le prix fort de sa déliquescence ? S’il en est ainsi, que devrait-il faire pour redresser sa situation ?

Mali: Le Mali doit rendre justice à son Histoire, en faisant, sans retard, sans ménagement, le procès de l’institution militaire qui, en un demi-siècle d’indépendance, a sinistré le pays en phase de délitement du fait de sa déroute militaire et sa banqueroute économique.

De la déliquescence de l’État à la régression nationale: Jamais un pays n’aura connu pareille décélération. Du fait d’une mafia politico-militaire. En toute impunité. En cinquante ans d’indépendance, le Mali n’aura connu qu’un seul mandat de bonne gouvernance, celui du premier président du Mali indépendant, Modibo Keita (1960-1968). Son renversement par un coup d’État d’un lieutenant fantasque, Moussa Traoré, va inaugurer une ère de plus de quarante années de mensonges et de corruption, dont le Mali ne connaitra l’épilogue tragique qu’avec le régime calamiteux de Amadou Toumani Touré (ATT) et le coup d’État pathétique du capitaine Ahmadou Haya Sanogo.

Sur cette thématique, Cf. à ce propos

http://www.renenaba.com/mali-le-tonitruant-silence-du-planque-de-dakar

Cinq officiers supérieurs, les fameux planqués de la République, sont particulièrement visés par ce propos:

-Le dictateur Moussa Traoré, parricide du symbole de l’indépendance malienne, deux fois condamnés à mort, puis gracié, vivant désormais une retraite pieuse mais très confortable aux frais de l’État, à Bamako, narguant de sa présence aux cérémonies les proches de ses victimes.

-Le velléitaire cumulard Ahmad Toumani Touré, le planqué de Dakar, planqué avec son magot dans un silence tonitruant.

-Le putschiste Ahmad Haya Sanogo, planqué à l’ombre de ses 60 Humvee (High mobility multipurpose wheeled vehicle), affectés à sa protection, qui doivent être impérativement réaffectés au champ de bataille et non plus servir à sa parade, de même que les 600 millions de francs maliens ponctionnés mensuellement sur le budget malien pour sa dépense personnelle, reversés au budget de guerre. Enfin les deux planqués de la déroute militaire, les deux grands vaincus de la bataille de 2012, le colonel Gamou, responsable de la base de Kidal jusqu’à sa chute en février 2012, réfugié au Niger avec cinq-cents soldats ainsi que le colonel Maydoun, son alter ego de la base Gao.

Décréter la mobilisation générale, rétablir le service militaire obligatoire. Mener sa propre guerre de libération nationale, à l’exemple de son voisin et ami l’Algérie, qui a vaincu le colonialisme avant de vaincre le terrorisme. En un mot se débarrasser de sa mentalité d’assisté… Tel doit être le mot d’ordre du Mali pour reconquérir sa dignité avant sa souveraineté.

L’Algérie

Question : Comment voyez-vous la position de l’Algérie par rapport à tout ce remue-ménage politico-militaire qui se déroule à ses frontières ?

Qui tient l’Afrique tient l’Europe, assurait Karl Marx.

L’Algérie occupe une position centrale au Sahara. Frontalière de sept pays (Maroc, Tunisie, Libye, Mali, Mauritanie, Niger et RASD) elle se doit de demeurer au centre du jeu d’autant plus impérieusement que l’Algérie est chez elle au Sahara et dispose d’une frontière commune de 1.800 kms avec le Mali soit infiniment plus que la totalité du métrage de la France avec ses pays limitrophes (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Suisse).

La France au Mali est davantage préoccupée par les gisements d’Uranium du Niger que pour la souveraineté nationale du Mali. La géostratégie des minerais, de même que la drogue, a horreur du vide. François Hollande au Mali roule pour Areva et tant pis si l’intégrité du Mali devrait éventuellement en pâtir. Il s’en accommodera pour peu que la tutelle touareg en gestation dans le nord malien accepte de jouer le jeu. Pour preuve, François Hollande n’a pas manifesté le même zèle pour voler au secours de François Bozizé en ce que les intérêts stratégiques français n’étaient pas menacés en République Centre Africaine.

Mais le Mali revêt une autre dimension transarabe. Il est à coupler avec la Syrie. Ces deux pays constituant les deux points de fixation de la Russie et de l’Algérie dans la bataille de l’énergie que se livrent en sourdine le camp atlantiste et leurs fournisseurs de gaz.

Alliées de la Syrie, la Russie et l‘Algérie sont de surcroît les deux principaux ravitailleurs en gaz de l’Europe occidentale, laquelle veut réduire sa dépendance de ces deux pays situés hors de la sphère atlantiste.

La guerre de Syrie s’explique dans ce contexte et vise un triple objectif:

-Désarticuler le maillon intermédiaire de l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone, constitué de l’Iran la Syrie et le Hezbollah Libanais.
-Affaiblir économiquement l’Iran, sous embargo depuis trente ans, et la Russie.
-Fixer la Syrie et la Russie sur cet abcès de fixation le temps de procéder au déroutement du trafic gazier du Détroit d’Ormuz vers la Méditerranée orientale avec des terminaux en Syrie et en Turquie. Pour les initiés, c’est la fameuse bataille du projet transeuropéen Nabucco contre le projet russe North and South Stream.

L’écharde nord malienne s’explique dans ce contexte. L’Algérie, ultime survivant de l’ancien «front du refus arabe», flanquée de surcroît désormais de deux régimes néo-islamistes, la Libye et la Tunisie, est ainsi rivée au sol par le dossier du séparatisme du Nord du Mali.

Le Mali, toutefois, ne sera pas une promenade de santé. Les sables mouvants sont insondables et les voies des pistes caravanières sont impénétrables. Serval est le prolongement sur le théâtre africain de la grande géo déstabilisation globale de la sphère arabe, du Sahara…du Nord Mali, au Sahara algérien à la Libye, à la Syrie. L’assaut d’In Anemas relève de ce schéma visant à entrainer l’Algérie dans les sables mouvants du désert saharien.

Les atouts de l’Algérie

Question: Quels seraient d’après vous les atouts de l’Algérie dans ce nouvel échiquier?

L’Algérie a une expertise reconnue dans le domaine de la guérilla acquise durant sa guerre de libération nationale, doublée d’une expertise dans la lutte contre le terrorisme acquise durant la décennie noire 1990-2000), mais aussi et surtout, mais cela les initiés en conviennent, sous la houlette soviétique lors de la guerre d’Afghanistan (1980-1990).

De ce fait, l’Algérie n’est redevable à aucun état occidental du moindre soutien logistique ou financier dans sa guerre contre le terrorisme. Elle a donc les coudées franches. Mais cette guerre risque d’être longue et couteuse, la génération de la guerre d’indépendance au pouvoir depuis cinquante ans, arrive, à plus ou moins brève échéance, au terme de son mandat. Il importe que la relève soit assurée et la transition maitrisée. C’est là une des failles du système, qu‘elle doit remédier sans retard.

Avec 250 milliards de dollars de réserve, l’Algérie est le 2 me arabe par l’importance de ses devises, derrière l’Arabie saoudite. Elle ne saurait se comporter en «état rentier» se contentant de son statut de «pays émergent», qui n’est rien d’autres qu’un strapontin, autrement dit «un piège à cons».

Par fidélité à son histoire, l’Algérie, le pays le moins dépendant du Monde arabe sur le plan international, se doit de monter au créneau par une meilleure répartition de ses richesses, la relance de son agriculture, le développement de son infrastructure, la dynamisation de sa bureaucratie, en même temps que la démocratisation de son espace public, en impulsant une citoyenneté active à sa population, particulièrement sa jeunesse trépidante, en développant un esprit critique de sa presse, pour rejoindre les BRICS (Brésil, Russie, Afrique du sud, Inde), nouveau moteur de la diplomatie multilatérale.

Au BRICS en tant que représentante des pays arabes et musulmans, pour y développer une coopération Sud-Sud, en substitution à une coopération verticale de subordination et de prédation des économies nationales des pays arabes. En un mot, établir un rapport de qualité entre les deux sphères de la Méditerranée et entre les deux hémisphères de la planète.

Questions : Dans cette nouvelle approche de la lutte anti-terroriste prônée par l’Occident, quel devenir d’après-vous de l’Islamisme politique ?

La guerre décennale contre le terrorisme (2001-2011) a laissé le monde occidental exsangue sur le plan économique avec la crise bancaire américaine, (une perte de capitalisation bancaire de l’ordre de 25.000 milliards de dollars), la crise systémique de l‘endettement européen, les guerres d’Irak d’Afghanistan et d’Irak, d’un coût global de 3 000 milliards de dollars). De quoi effacer les dettes publiques de l’ensemble des pays de la planète, de financer un gigantesque plan de grands projets à l’effet d’éradiquer les pandémies, la pauvreté, l’analphabétisme, la malnutrition dans le monde, d’offrir une retraite décente à ses occupants, avec, cerise sur le gâteau, la réhabilitation de la Palestine, victime des turpitudes occidentales.

Il était possible aux pays arabes de faire une offre gagnant-gagnant au Monde occidental: renflouer son économie par injection massive de pétrodollars en contrepartie du règlement de leur question centrale: La Palestine

La configuration se prêtait d’autant plus que pour la première fois dans l’histoire moderne arabe, les Islamistes étaient parvenus au pouvoir dans la quasi-totalité des pays arabes, du golfe pétro monarchique wahhabite rétrograde, aux gouvernements néo islamistes des rives de la Méditerranée (Egypte, Libye, Tunisie).

Mais, en accordant la priorité à la destruction de pays arabes, sous couvert de lutte pour la démocratie, plutôt qu’à la libération de la Palestine, les pétromonarchies, les régimes les plus rétrogrades au Monde, se sont révélées les commanditaires de leur propre mercenariat en vue de leur auto-asservissement alors que le néo islamisme pro américain est, lui, apparu comme le gestionnaire de l’ordre rentier pétro monarchique, ainsi qu’en témoigne le règlement de la dernière offensive israélienne de Gaza

Depuis la fin de la 2me Guerre mondiale (19439-1945), le Monde arabe est passé par trois phases de transformation révolutionnaire, trois phases de lutte:

-Lutte contre le colonialisme ou l’occupation étrangère, avec l’indépendance de la quasi-totalité des vingt pays membres de la ligue arabe du Machreq et du Maghreb

-Lutte contre la dictature interne ou l’occupation interne avec la chute de Zine Eddine Ben Ali (Tunisie), Hosni Moubarak (Egypte), Mouammar Kadhafi (Libye) et l’élimination des premiers ministres d’Irak (Noury Said) et de Jordanie (‘Wasfi Tall) et du président égyptien Anouar el Sadate notamment.

Lutte enfin dans la phase finale contre les trafiquants de la religion, les nouveaux marchands de temple de l’ère contemporaine, tant il est vrai que l’Islam du XXI me siècle se doit être une religion d’avenir et que l’adhésion à une foi ne dispense de disposer d’une solide morale.

Opération Serval
Titre : Opération Serval
Taille : 4 Mo
Type : pdf

Entretien réalisé par Chérif Abdedaïm



Articles Par : René Naba et Cherif Aissat

A propos :

Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de “L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres” (Golias), “Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français” (Harmattan), “Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), “Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David” (Bachari), “Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

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