L’Amérique Latine dans la crise vénézuélienne est l’arrière-cour de la confrontation mondiale

Le passé glisse plus rapidement que l’avenir. Un time-lapse à l’envers qui a balayé avec une force conquérante indomptable. Il n’y a pas de région du monde qui ait échappé à son assaut.

Dans une grande partie de la sphère arabo-musulmane les fascismes théologiques sont renés. En Europe, l’extrême-droite qui bougeait comme une marionnette dans un coin s’est remise sur pied avec la promesse d’un futur national et en Amérique Latine les vieux antagonismes destructeurs entre puissances ennemies renaissent à l’ombre de la crise vénézuélienne et de l’irresponsabilité et l’ineptie des dirigeants continentaux pour éviter qu’une fois encore, nous soyons le théâtre de la confrontation entre les empires et nous redevenions des poupées mal traitées par les caprices de la Maison Blanche.

Barack Obama nous a offert un flash vers le passé avec le coup d’État qui a renversé le président du Honduras Manuel Zelaya grâce à une sauce de mensonges et de trahisons [Idem avec le Président Fernando Lugo en 2012 au Paraguay.NDLT]. Il a aussi soufflé vers l’avenir avec le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba.

Mais Donald Trump est arrivé habillé avec le costume de fêtes du XXe Siècle. Il n’y a rien de plus étranger au XXIe Siècle que ce monsieur magouilleur, adepte de l’évasion fiscale et impulsif. C’est une horreur. Les opérateurs yankees qui interviennent au Venezuela sont des ordures du passé récupérées par le trumpisme. Deux d’entre eux suffisent comme échantillon : Elliot Abrams. Nommé envoyé spécial pour le Venezuela, Abrams a une bibliographie criminelle de roman policier : il a fait partie des gouvernements de Reagan et de George W. Bush, et il est lié aux coups d’État, ingérences et interventions militaires. En 1991, il a été condamné dans le cadre du scandale Iran-Contras c’est-à-dire la vente d’armes à l’Iran pour financer à les Contras, le groupe de guérilleros opposé au régime Sandiniste du Nicaragua. Dans les années 1980, il s’est distingué pour avoir dissimulé le massacre de civils perpétré par l’armée au Salvador.

Autre figure admise dans le cercle de la Maison Blanche : John Bolton. Aujourd’hui conseiller de Sécurité Nationale, il a été la cheville ouvrière de l’invasion de l’Irak (2003) montée avec le monumental mensonge que l’Irak fabriquait des armes de destruction massive. Bolton a inventé le terme « troika de la tyrannie » pour désigner le Venezuela, Cuba et le Nicaragua. Avec cela il a remplacé « l’axe du mal » par lequel l’ex-président George Bush désignait l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. Le cap est tracé : Caracas est seulement une station estivale de la diversion de Washington. Cuba et le Nicaragua suivront et peut-être -sans doutes- la Bolivie.

Le cœur de l’Amérique Latine est menacé par une version restaurée de la dévastation. L’incongruité extravagante de nos dirigeants latinoaméricains a ouvert aux empires coloniaux le château de l’Amérique pour qu’ils légitiment leurs forces et utilisent nos terres comme théâtre de leur confrontation et ambitions.

Européens contre yankees, Occident contre la Russie (ou et la Chine NDLT]. Avant la chute du mur de Berlin (1989) et pendant plus d’un demi-siècle l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique Latine ont payé un impôt épouvantable sur l’autel de la guerre entre l’ « empire rouge » et l’Occident. Guerres, invasions, coups d’État, tortures, disparitions forcées, pauvreté, sous-développement, corruption et dictatures ont été le legs de cette confrontation. Avec le communisme institutionnel battu à la fin des années 80, cet affrontement a été réincarné au XXIe Siècle au Moyen-Orient, en Russie et en Amérique Latine.

Si l’on veut mesurer par des statistiques sèches ce qu’apporte cet antagonisme, là sont comme exemple de sang et de douleur le martyre de la Syrie, pays où l’axe États-Unis -Europe face à la Russie et ses alliés régionaux ont provoqué l’une des barbaries humaines les plus inoubliables du XXIe Siècle. Les provocations occidentales en Ukraine, leur prétention de passer au-dessus du président russe Vladimir Poutine et l’appui postérieur de l’Occident au camp « pro Européen » de la révolte populaire à Kiev (la révolution Orange) ont débouché sur une autre catastrophe parmi lesquelles figurent la guerre à l’est de l’Ukraine (Guerre du Donbass) ou l’annexion de la Crimée.

Et maintenant Poutine, Trump et les Européens sont venus jouer leur partie d’échecs en Amérique Latine avec la crise vénézuélienne comme argument. Nous avons recommencé à être l’arrière-cour de la confrontation mondiale et nous savons déjà ce que cela signifie : l’option des étrangers n’est jamais celle de la paix, mais celle de la guerre qui leur convient mieux, n’est jamais la démocratie mais le serf dictateur le plus servile. En ce qui concerne l’Union Européenne, ses 28 pays manquent de toute légitimité pour venir réclamer une démocratie quand eux mêmes continuent d’être le soutien de dictatures horribles en Afrique ou, pire encore, sont les marchands de la mort qui dilapident leur « l’humanisme universaliste » quand ils vendent des armes à des régimes comme le régime égyptien.

Quelle légitimité peut avoir le président français Emmanuel Macron pour parler de liberté et de démocratie quand il y a quelques jours seulement il était dans l’un des lieux centraux de la torture et de la violation des droits de l’homme, c’est-à-dire l’Égypte du général Al-Sissi ? Macron est allé signer des contrats d’armements : entre 2014 et 2019 l’Égypte a dépensé en France 7 milliards d’euros à ce sujet. Avant cette visite, Amnesty international et Human Rights Watch (HRW) ont interpellé les autorités françaises pour « arrêter de passer sous silence le bilan catastrophique de l’Égypte en matière de Droits de l’homme en échange de préserver ses intérêts stratégiques, économiques et militaires ».

Et qu’est-ce que le président du gouvernement Espagnol, Pedro Sánchez, a à dire sur le Venezuela ou tout autre lieu du monde si, comme Trump et tous les autres, il a continué à vendre ses canons et sa scorie militaire à l’Arabie Saoudite après qu’un commando saoudien ait étranglé et taillé en morceaux dans le Consulat de ce pays en Turquie, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi ? Si nos droites bancaires latinoaméricaines étaient quelque chose de plus que des « ventres en location » pour l’oncle Sam, la crise vénézuélienne aurait été résolue depuis longtemps. Un groupe authentique de pays facilitateurs d’ une solution et non propagateurs du conflit eût empêché depuis longtemps que l’Occident réarme son cycle latino-américain.

Emmanuel Macron a rencontré en Égypte quatre défenseurs des droits de l’homme. Cependant, à peine parti du Caire, les quatre ont été légalement accusés « d’offense à l’État égyptien, de dommage à la sécurité de l’État » et de « menace à la sécurité nationale et aux intérêts du pays ». Le plus probable est qu’il y ait quatre exilés de plus à accueillir dans une des capitales du Vieux monde champion dans la vente d’armes aux dictatures.

La crise n’est pas déjà plus celle de la modernité, mais celle du passé. Nous devons être en train de sentir une nostalgie pour le présent et pour l’avenir. Comme dans les pires moments de notre Histoire, pour des raisons strictement idéologiques, une poignée de pays latinoaméricains ont importé l’ingérence étrangère. Ils ont ré-ouvert nos veines à l’une des plus tristes caricatures de l’Occident. Maintenant brille sur l’horizon le « soleil noir de la mélancolie » pour un avenir et un présent que le passé a dévoré.

Eduardo Febbro

Article original en espagnol : El lugar para América latina en la crisis venezolana. El patio trasero de la confrontación mundial. Página 12, le 4 février 2019.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par Estelle et Carlos Debiasi

 

Eduardo Febbro est journaliste, correspondant à Paris pour Página 12



Articles Par : Eduardo Febbro

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