L’armée de l’air allemande fait son entrée dans la guerre en Syrie

Mardi 6 janvier, quatre avions de combat Tornado de l’armée de l’air allemande ont été déployés à la base aérienne turque d’Incirlik en appui à la guerre contre le groupe Etat islamique (EI) en Syrie. Selon la Bundeswehr (armée allemande), les tornados effectueront leurs premières sorties vers la fin de la semaine. Le 12 janvier, ils seront rejoints par deux autres avions de chasse.

Les Tornado sont équipés de caméras très sensibles capables de surveiller tout mouvement au sol et de détecter des combattants ennemis. Selon des informations des médias, ils transmettront des données en direct identifiant des cibles pour les militaires américains, français, britanniques et arabes qui participent à la guerre. Si la tâche officielle des Tornado est la surveillance, ils sont armés de missiles sophistiqués air-air infrarouges IRIS-T à courte portée et de canons Mauser de 27mm utilisable sur des cibles au sol et dans l’air.

Tant du point de vue historique que politique l’importance de ce développement ne peut être surestimée. Seulement 70 ans nous séparent de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La Luftwaffe a été assimilée à la sauvagerie et à la brutalité de la machine de guerre nazie et aux ravages qu’elle a alors causés à travers l’Europe, l’Union soviétique et l’Afrique du Nord. Le bombardier en piqué Stuka et le hurlement de ses sirènes ont inspiré la terreur aux innombrables victimes des ‘blitzkrieg’ de l’impérialisme allemand qui ont dévasté des villes comme Varsovie et Stalingrad à l’Est ou Rotterdam et Londres à l’Ouest.

Même avant les tapis de bombes lancés sur Varsovie en 1939 la Luftwaffe s’était imposée comme instrument de meurtre de masse par l’incinération de Guernica en 1937 pendant la guerre civile espagnole.

Après la guerre et la révélation des crimes horribles de l’impérialisme allemand, la position officielle de la classe dirigeante allemande fut de renoncer à la violence militaire. Bien que cette façade se soit de plus en plus érodée après la dissolution de l’Union soviétique et la réunification allemande il y a un quart de siècle, c’est ces deux dernières années que, poussée par les impératifs du capitalisme allemand et la crise mondiale ayant éclaté en 2008, la bourgeoisie allemande a répudié sa retenue militaire et annoncé son retour au militarisme et à la ‘realpolitik’ du passé.

L’entrée de la Luftwaffe dans la guerre syrienne, appuyée par quelque 1.200 soldats allemands et une frégate, ouvre un nouveau chapitre inquiétant de la résurgence du militarisme allemand. Elle advient deux ans après que le président Joachim Gauck, la ministre de la Défense Ursula von der Leyen et le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, ont proclamé « la fin de la retenue militaire» à la Conférence de Munich sur la sécurité en janvier 2014. Attirant l’attention sur les intérêts économiques et géopolitiques sous-tendant le retour de l’Allemagne à la politique de grande puissance, Steinmeier a déclaré de manière provocante que l’Allemagne était « trop grande et trop importante» pour se limiter « à simplement commenter depuis la touche la politique mondiale »

Les commentaires récents d’hommes politiques en vue, de journalistes et d’universitaires rendent encore plus claires les profondes implications de ces déclarations. L’intervention allemande actuelle n’est qu’un début. On exige entre autre de nouvelles armes pour la Bundeswehr, l’extension des interventions militaires allemandes au Moyen-Orient et en Afrique dont un déploiement de troupes terrestres allemandes en Syrie et la réintroduction du service militaire obligatoire.

La veille de la nouvelle année, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, dans un long entretien avec Bild am Sonntag, a appelé à « plus de déploiements, plus d’argent pour les forces armées et plus de soldats» ainsi qu’à la création d’une « armée européenne ».

Il a exposé les plans du gouvernement allemand pour 2016: « Ma prédiction pour l’an prochain est que l’idée prévaudra que la crise des réfugiés ne peut qu’être résolue ensemble. Pour l’Allemagne, cela signifie cependant que les sollicitations extérieures pour ce qui est de la politique étrangère et de sécurité sont peut-être plus grandes que nous le souhaiterions. Nous ne saurons stabiliser le Moyen-Orient sans un engagement européen plus fort. La même chose vaut pour l’Afrique.

Pour paraphraser Trotsky, tout les hommes politiques bourgeois allemands ne sont pas des Hitler, mais il y a un peu de Hitler dans chaque politicien bourgeois allemand.

Comment expliquer ce renouveau rapide et véhément du militarisme allemand?

Comme dans les années 1930, les élites dirigeantes allemandes réagissent à la crise profonde du capitalisme mondial et du système d’Etats-nations sur lequel il est fondé par des appels à la politique de grande puissance et de la guerre. Analysant les forces objectives qui conduisaient à la montée agressive de l’impérialisme allemand, Trotsky écrivait en 1932: « Plus s’affirme le caractère dynamique des forces productives en Allemagne, plus ces dernières étouffent dans le système étatique de l’Europe, semblable au « système » de cages d’une minable ménagerie provinciale ».

Les conséquences de la tentative des élites allemandes de sortir de ce «système de cages » sont bien connues. En 1933, Hitler fut nommé chancelier et la tentative ultérieure par l’Allemagne nazie de «conquérir l’Europe pour régner sur le monde » laissa des pays entiers en ruines et coûta la vie à des millions de personnes.

Soixante-dix ans après la défaite militaire de l’Allemagne nazie, il est évident que l’ordre d’après-guerre n’a résolu aucun des problèmes ou des contradictions qui conduisirent à deux guerres mondiales au XXe siècle.

Bien que l’Allemagne se réarme actuellement dans le cadre de l’OTAN et que la Luftwaffe fonctionne dans le cadre de la coalition menée par les USA contre l’EI, il ne peut y avoir aucun doute que l’escalade de la guerre pour un nouveau partage du Moyen-Orient, et la lutte pour le contrôle de l’Europe de l’Est et de l’Eurasie conduira à des tensions et des conflits croissants entre les Etats-Unis et l’Allemagne.

L’élite dirigeante allemande élabore depuis longtemps des plans pour la poursuite de ses propres intérêts nationaux. Un document stratégique de la Fondation Konrad Adenauer liée à l’Union chrétienne-démocrate et publié en 2001 définit l’«intérêt allemand fondamental » au Moyen-Orient comme suit: « Il s’oriente vers la stabilisation des États et pays affectés de manière à empêcher une mise en danger de la sécurité [de l’Allemagne] et de ses partenaires européens, vers la garantie d’un approvisionnement sans entraves en matières premières et la création de possibilités d’exportation pour les entreprises allemandes ».

L’étude souligne l’importance des « marchés d’exportation des Etats-clés de la région (Egypte, Turquie, Iran), mais surtout des Etats solvables du Golfe » pour l’économie allemande axée sur l’exportation. Il était donc approprié « de contribuer à sécuriser les marchés de vente, d’obtenir autant que possible l’accès sans entrave aux marchés et de défier les concurrents tels que les Etats-Unis, les Etats d’Europe de l’Est, mais aussi les Etats industriels d’Extrême-orient ».

Ces derniers mois, les tensions croissantes entre l’Union européenne dominée par l’Allemagne et le gouvernement droitier nationaliste en Pologne, orienté vers une alliance étroite avec l’impérialisme américain dans sa marche vers la guerre contre la Russie, ont plus encore révélé les divisions entre grandes puissances. La Frankfurter Allgemeine Zeitung s’est récemment plainte de la «vision» polonaise d’un « Intermarium, une alliance d’États allant de la mer Baltique à la mer Noire comme contrepoids à la Russie et à l’Allemagne, nouvel Hégémon de l’Europe ».

L’entrée de la Luftwaffe dans la guerre syrienne ouvre une nouvelle étape dangereuse dans la militarisation du capitalisme mondial.

Johannes Stern

Article paru en anglais, WSWS, le 6 janvier 2015



Articles Par : Johannes Stern

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