L’armée du Kosovo : nouvelle carte atlantiste pour déstabiliser la Serbie et la région

Depuis mi-décembre, avec l’appui des Etats-Unis, le Kosovo, territoire faisant juridiquement partie de la Serbie selon la Constitution, en violation de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de 1999, tente de mettre en place une armée propre. Il est vrai que la Serbie reste un soutien réel de la Russie dans la région et que le clan atlantiste n’a de cesse depuis la guerre de Yougoslavie de vouloir l’en faire sortir. Quitte à remettre en cause le fragile équilibre difficilement acquis.

Le 14 décembre 2018, l’assemblée de la République du Kosovo, entité faisant juridiquement partie de la Serbie, a adopté à l’unanimité, puisque les députés de la minorité serbe n’ont pas participé au vote,  la loi sur la force de sécurité du Kosovo, qui prévoit la création d’une armée propre, dont les effectifs doivent passer de 2 500 membres à 5 000 plus 3 000 réservistes.

Cette nouvelle a provoqué la colère bien légitime du Président serbe, car il s’agit ni plus ni moins que d’une tentative de forcer la création d’un Etat kosovar autonome, ce qui pour l’instant n’a pu aboutir :

« Après deux décennies de dur labeur, nous achevons enfin le processus de construction d’un État », a réagi sur Facebook le président Hashim Thaçi, ancien commandant de la guérilla indépendantiste de l’Armée de libération du Kosovo (UCK).

L’OTAN reste circonspect, l’UE s’interroge – même le Parlement européen a proposé une résolution visant à condamner cette loi. Lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU le 17 décembre à la demande de la Serbie et de la Russie, ce même Hashim Thaçi a évidemment déclaré que la création d’une armée propre ne contrevenait ni à la Constitution, ni à la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU de 1999. Le Président serbe a lui attiré l’attention de la communauté internationale sur les dangers de cette démarche :

« J’ai peur non seulement pour l’avenir de mon pays, mais également pour celui de toute la région », a mis en garde le Président serbe, pour qui les « provocations » de Pristina font faire aux Balkans occidentaux un bond « de six à sept ans » en arrière.  Invoquant les nombreuses concessions faites par les Serbes dans le cadre de l’Accord conclu en 2013, le Chef d’État a assuré que la seule obligation dont Pristina était tenue de s’acquitter pour sa part consistait à former une communauté serbe.  « 2070 jours se sont écoulés et rien n’a été fait », a-t-il déploré.

« Si la Serbie n’obtient rien en retour, sur quoi portera le dialogue à venir, la couleur des billes avec lesquelles les enfants vont jouer dans les cours de récréation? », a ironisé le dirigeant.  « De quel document prétendent-ils faire découler leur droit souverain à former leur propre armée? Où cela est-il écrit? », s’est aussi interrogé M. Vučić, en faisant référence aux Kosovars.  « Je peux vous donner la réponse: nulle part! », a-t-il lancé, pas même dans la Constitution du Kosovo, que la Serbie ne reconnaît pas de toute façon, a-t-il précisé.

Selon cette résolution (le texte est disponible ici), il est prévu que la communauté internationale mette en place une force internationale encadrée par l’OTAN qui doit veiller, notamment, à démilitariser l’armée de libération du Kosovo (à laquelle appartenait ce fameux Hashim Thaçi), ainsi que tous les groupes armés albanais. Or, le Kosovo et les Etats-Unis, font une lecture biaisée de la démilitarisation, qui ne concernerait, soi-disant, que formellement l’ALK et que la déclaration d’indépendance du Kosovo (qui n’a pas été reconnue) lui donne automatiquement le droit d’avoir une armée propre :

M.RODNEY M. HUNTER (États-Unis) a réaffirmé l’appui de Washington à la transition progressive et transparente vers une force « professionnelle et multiethnique qui serve et reflète toutes les communautés du Kosovo ».  Selon lui, la législation adoptée par le Parlement du Kosovo la semaine dernière est pleinement conforme à la résolution 1244 du Conseil de sécurité.  « Le Kosovo a le droit souverain d’établir et de maintenir une force armée », a assuré le représentant.  En effet, pour sa délégation, la résolution 1244 (1999) autorise l’établissement d’une force de sécurité internationale au Kosovo et lui confie le soin de « démilitariser » l’Armée de libération du Kosovo (ALK) et d’autres groupes armés albanais du Kosovo.  Selon lui, ces dispositions ne s’appliquent pas à la Force de sécurité du Kosovo, qui n’est ni « l’ALK » ni un « groupe armé albanais du Kosovo ».

Or, en lisant le texte de la résolution 1244, rien ne permet de faire de telles conclusions et c’est bien le seul document international qui ait force juridique pour réguler le conflit. Le Plan Ahtisaari n’ayant pas été adopté au niveau du Conseil de sécurité, le droit pour le Kosovo de disposer d’une armée n’a pas non plus été accordé.

L’adoption de cette loi, avec le soutien des Etats-Unis, est bien une revanche des Albanais. Les risques de relancer le conflit existent et ne sont pas purement théoriques, comme l’a souligné le Président russe V. Poutine, qualifiant cette démarche de provocation. Au Conseil de sécurité, la Russie a rappelé l’instabilité intérieure du Kosovo qui peut pousser au conflit :

La Fédération de Russie ne l’a pas entendu de cette oreille, affirmant que le Kosovo était la pire région d’Europe pour la criminalité organisée, et le sanctuaire de combattants terroristes étrangers de retour de Syrie et d’Iraq.  Pour la délégation, il faut « immédiatement annuler » la décision de créer une armée du Kosovo.  L’appel lancé par la Serbie en cas d’entrée de forces albanaises sur son territoire doit être pris au sérieux, a-t-elle prévenu, en affirmant que « Belgrade se défendra ».

Il faut également comprendre qu’une vague de manifestations, avec drapeaux européens à la main, est lancée depuis plusieurs mois contre le Président serbe accusé de tous les maux par l’opposition. Nous ne sommes pas loin de l’image du tyran.

Cela permettrait-il de justifier une réaction armée des Albanais du Kosovo ?

Karine Bechet-Golovko

 



Articles Par : Karine Bechet-Golovko

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]