L’arnaque de l’OTAN : l’Europe démunie sans la “cavalerie américaine”
Si d'autres dirigeants européens ont enfin pris conscience des réalités de l'OTAN, alors peut-être que leurs fantasmes de prolonger le conflit vont eux aussi voler en éclats.

Le 23 avril, Politico a publié un article extraordinaire intitulé “La cavalerie américaine n’arrivera pas” [The US cavalry isn’t coming], qui documente de manière très détaillée à quel point la planification et les infrastructures de défense européennes ont été exclusivement “fondées sur l’hypothèse d’un soutien américain” et “l’envoi rapide de renforts américains sur le front”pendant des décennies. Aujourd’hui, “la perspective que ce ne soit pas le cas sème le chaos dans les plans de mobilité militaire” et le continent “se retrouve isolé” – sans défense, sans repères et sans solution pour faire face aux conséquences désastreuses d’une soumission de plusieurs décennies à l’hégémonie américaine.
L’article s’ouvre sur un scénario fantastique peu convaincant, esquissant un cauchemar en mars 2030. “Dans la brume printanière”, une attaque russe sur plusieurs fronts s’abat sur la Lituanie et la Pologne, obligeant les soldats étrangers stationnés dans ces pays à se mettre à l’abri, tandis que “les pays alliés se précipitent pour réagir”. Mais alors que la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays nordiques mobilisent leurs forces armées, “quelqu’un brille par son absence” :
“Les dirigeants et les soldats regardent vers l’ouest, vers l’océan, dans l’espoir de voir arriver les navires de guerre qui sont toujours venus à la rescousse de l’Europe au cours du siècle dernier. Mais la mer reste silencieuse. Les Américains ne viendront pas. Le second mandat de Donald Trump a mis fin à l’engagement des États-Unis à défendre l’Europe”.
Bien sûr, Trump n’a pas encore désengagé Washington de l’OTAN. “Mais que se passera-t-il si l’Amérique abandonne l’Europe ?”, s’interroge Politico, une question troublante qui se pose avec une urgence croissante dans les sphères du pouvoir occidental. La réponse souligne une “réalité inconfortable” : “sans le soutien des États-Unis, le déplacement des troupes à travers l’Europe sera plus lent, plus coûteux et entravé par une multitude d’obstacles logistiques”. En cas de guerre totale, ces faiblesses “pourraient ne pas être seulement inefficaces”, mais “fatales”.
Politico poursuit en brossant un tableau romanesque, évoquant une représentation hollywoodienne du débarquement en Normandie. Il affirme que depuis la création de l’OTAN en 1949,
“l’un des rôles clés des membres européens de l’alliance est d’avoir résisté à une invasion pendant que les États-Unis rassemblaient leur puissance immense et envoyaient des troupes, du matériel et du ravitaillement outre-Atlantique pour gagner une guerre qui s’annonçait longue”.
Le média note que de nombreux ports historiques ont été construits pour accueillir les sauveurs américains de l’Europe, qui “empruntaient ensuite les routes et les voies ferrées pour se rendre sur le front”.
Cependant,
“les planificateurs n’ont jamais envisagé une OTAN sans les États-Unis, et pendant des décennies, la logistique militaire européenne s’est construite sur le postulat du soutien américain”.
Une grande partie des infrastructures de transport du continent a donc été
“façonnée dans l’attente de l’arrivée de renforts américains venus d’outre-Atlantique”, et “les projets de mobilité militaire, anciens comme nouveaux, reposent sur l’hypothèse que les Américains viendront”.
Bien sûr, la question évidente de savoir si Washington a jamais eu l’intention de respecter cette “hypothèse” n’est pas posée par Politico.
“Une forteresse indépendante”
Avec l’effondrement du communisme et du Pacte de Varsovie en 1989, et le retour de l’Union soviétique au rang de fidèle vassal des États-Unis sous le règne de Mikhaïl Gorbatchev, les dirigeants européens ont commencé à s’interroger sur la nécessité de maintenir l’OTAN, une alliance militaire créée pour prévenir une invasion qui n’a jamais eu lieu, et dont la raison d’être avait désormais disparu. En 1991, le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl ont entamé des discussions sur le renforcement de la défense et de la politique étrangère en Europe, dans le but explicite de réduire l’influence américaine sur le continent.
Les membres de la Communauté européenne de l’époque ont approuvécette vision en février 1992, par le biais du traité historique de Maastricht. La France et l’Allemagne ont également commencé à jeter les bases d’une armée paneuropéenne, baptisée “Eurocorps”. Simultanément, les responsables américains ont clairement fait part de leur désapprobation viscérale de cette nouvelle orientation. En novembre 1991, George Bush a sévèrement mis Bruxelles en garde :
“Nous partons du principe que le rôle des États-Unis dans la défense et les affaires de l’Europe ne sera pas remis en cause par l’Union européenne”.
Parallèlement, un article du Washington Post de juin 1992 rapportait :
“De hauts responsables allemands affirment qu’ils continuent de ressentir une forte pression de la part des États-Unis pour renoncer à leurs projets de corps d’armée européen et pour réaffirmer de manière vague mais apparemment permanente leur engagement envers l’OTAN en tant que mécanisme suprême de défense de l’Europe… Les responsables américains font pression sur les petits pays européens pour qu’ils restent en dehors de l’Eurocorps franco-allemand en cours de création”.
Les raisons de l’opposition farouche de Washington étaient claires et sans ambiguïté. Gabriel Robin, ancien représentant français auprès de l’OTAN, a reconnu que la “véritable fonction” de l’alliance
“est de servir de chaperon à l’Europe… pour l’empêcher de se constituer en forteresse indépendante et peut-être, un jour, en rivale”.
Bush lui-même l’a reconnu dans un discours prononcé avant Maastricht, dans lequel il a évoqué
“les dangers que les anciens alliés de la guerre froide deviennent de nouveaux adversaires économiques – les combattants de la guerre froide transformés en guerriers du commerce”.
Outre la neutralisation de concurrents économiques potentiels, la présence de l’OTAN en Europe garantit également que les États membres continuent d’être des sources de profits fiables pour les entreprises américaines. Comme l’a reconnu l’ancien commandant suprême de l’alliance, Alexander Haig, en janvier 2002, la présence massive de troupes américaines en Allemagne était non seulement nécessaire pour assurer
“la base de notre influence dans la région européenne”, mais aussi “la garantie de notre succès économique […] qui nous permet de conserver l’accès aux marchés européens”. Si les États-Unis se retirent, “ces marchés seront probablement moins accessibles”.
La même année, la Bulgarie, candidate à l’adhésion à l’OTAN, a été informéesans ambiguïté par Bruce Jackson, président du comité américain sur l’OTAN, que son adhésion était subordonnée à la privatisation des industries encore détenues par l’État et à leur cession aux “bons” acheteurs étrangers. Jackson a pris ses fonctions après avoir occupé pendant près de dix ans le poste de vice-président de Lockheed Martin, le géant américain de l’armement. En 1977, il a été révélé que l’entreprise a versé pendant des années des pots-de-vin à des gouvernements et dirigeants étrangers pour acquérir ses équipements.
Aujourd’hui, l’OTAN n’a plus besoin de se livrer à cette corruption éhontée pour atteindre son objectif. Tous ses membres sont obligés d’acheter en permanence des équipements militaires américains et britanniques à des prix exorbitants au nom de l’“interopérabilité”, même si ces équipements ne sont pas adaptés aux besoins. Par exemple, de nombreux États membres de l’OTAN ont investi des sommes colossales dans l’acquisition du “tristement célèbre” avion de combat F-35 de Lockheed Martin, qui s’est écrasé si souvent que même les responsables américains expriment publiquement leurs inquiétudes quant à sa sécurité.
“Le mauvais conflit”
Les conséquences désastreuses du sabotage délibéré par Washington de l’évolution militaire autonome de l’Europe et de la dépendance forcée du continent à l’égard de l’OTAN sont clairement exposées dans l’enquête dePolitico. Le média note que toute discussion sur l’autonomie stratégique européenne se déroule
“dans une structure où Washington contrôle toujours les principaux outils de la mobilité militaire : les avions, les navires, les lignes d’approvisionnement en carburant, les satellites, les cyberdéfenses et les normes d’interopérabilité qui permettent à tout cela de fonctionner”. Et l’Europe ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour “déplacer des troupes, des chars et du carburant” vers une zone de guerre locale potentielle.
“Des avions-cargos, des navires-cargos militaires et… des véhicules spécialisés” sont nécessaires “pour déplacer des chars et des unités blindées”, moyens dont l’Europe ne dispose pas. Le retrait du soutien militaire américain priverait les membres de l’OTAN même des “engins de chargement de base tels que les rampes et les wagons plats”. L’ancien commandant de l’armée américaine en Europe, Ben Hodges, a déclaré à Politico que les infrastructures européennes ne sont pas en mesure de transporter efficacement armes, équipements ou soldats. Les réseaux de transport existants sur le continent ne sont tout simplement pas “conçus pour des déploiements militaires rapides à grande échelle”.
“Les ponts peu résistants, les virages prononcés, les tunnels étroits et la signalisation mal pensée compliquent le transport rapide de blindés lourds par rail, et les routes ne valent guère mieux”,
observe Politico. Par exemple, les panneaux indiquant le poids maximal qu’un pont peut supporter sont “de plus en plus rares dans de nombreux pays”, car
“la plupart des infrastructures actuelles n’ont jamais été conçues pour un usage militaire”. Par ailleurs, le ravitaillement en vol, “essentiel dans un espace aérien contesté”, relève de facto du monopole américain. Pour défendre son flanc oriental, l’Europe “dépend des réseaux de ravitaillement en carburant de l’OTAN financés par les États-Unis à travers le continent”.
Cette dépendance va au-delà de la logistique, l’Europe s’appuyant également sur “les services du renseignement, la cyberdéfense et la détection des menaces hybrides des États-Unis” pour défendre ses réseaux et ses infrastructures militaires. “Si les États-Unis se retirent, ce sont les services du renseignement en temps réel et la surveillance par satellite qui en pâtiront en premier”,
déclare à Politico un responsable d’un think tank basé à Bruxelles. Sans les capacités américaines en matière de cybersécurité, l’Europe
“deviendrait une cible facile pour les cyberattaques, le sabotage” et bien plus encore. Et “même avec des investissements accrus, l’Europe aurait du mal à remplacer ces capacités”.
À l’heure actuelle, “le seul organisme qui puisse se targuer d’avoir une vue d’ensemble de la mobilité militaire en Europe” est le Commandement conjoint de soutien et de facilitation de l’OTAN [Joint Support Enabling Command, ou JSEC], situé sur une base militaire américaine en Allemagne, qui “supervise les itinéraires, les goulets d’étranglement et la planification des mouvements”. Le JSEC relève de l’autorité du Commandant suprême des forces alliées en Europe, un poste toujours occupé par des Américains, ce qui signifie que l’ensemble de la planification militaire européenne passe en fin de compte “par Washington”. Politico rapporte que l’administration Trump “envisage de confier ce rôle à un Européen pour la première fois” depuis la création de l’OTAN.
Pour Politico, cette décision “[souligne] la perte d’intérêt des États-Unis pour la défense européenne” – preuve que “si les Américains ne daignent pas intervenir” en cas de guerre, aucun des “couloirs, ports et dispositifs logistiques méticuleusement élaborés” construits pour repousser une invasion russe “ne fera le poids”. Après tout, “les navires et les avions sur lesquels ils comptent pourraient rester stationnés à des milliers de kilomètres”. Le journal conclut par cette mise en garde :
“En investissant massivement dans une stratégie de guerre fondée sur un soutien américain qui pourrait ne jamais se concrétiser, l’Europe risque de se préparer à la mauvaise guerre”.
Dans un sens, avec l’élargissement permanent de ses membres, l’OTAN s’est toujours “préparée à la mauvaise guerre”. La “cavalerie américaine”promise depuis des décennies aux pays européens pour leur venir en aide en cas de guerre n’était, de par sa conception, jamais destinée à arriver. Le 24 avril, The Times a discrètement rapporté que la Grande-Bretagne a non seulement renoncé à ses plans de déploiement de troupes en Ukraine, mais qu’elle a “toujours” considéré que le risque lié à une telle opération est “trop élevé”, ses forces étant “inadaptées à une telle mission”.
Cette annonce fait suite à plusieurs mois de déclarations grandiloquentes et belliqueuses de Keir Starmer. Il s’est déclaré “prêt et disposé à envoyer des troupes britanniques en Ukraine”, et à les y maintenir “indéfiniment”,s’engageant même à envoyer des avions de combat pour surveiller l’espace aérien du pays. Toutes ces promesses étaient subordonnées au soutien des forces américaines, que Washington a clairement exclu à plusieurs reprises. Si d’autres dirigeants européens ont enfin pris conscience des réalités de l’OTAN, alors peut-être que leurs fantasmes de prolonger le conflit vont eux aussi voler en éclats.
Kit Klarenberg
Article original en anglais : NATO Fraud Exposed: Europe Defenceless Without ‘US Cavalry’, Global Delinquents, le 29 avril 2025.
Version française : Spirit of Free Speech
Image en vedette : L’ancien secrétaire d’État Antony J. Blinken tient une conférence de presse à Bruxelles, en Belgique, le 29 novembre 2023. (Photo officielle du département d’État prise par Chuck Kennedy)
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Kit Klarenberg est journaliste d’investigation et contributeur à MintPress News. Il explore le rôle des services du renseignement dans l’élaboration des politiques et des perceptions. Ses articles ont déjà été publiés dans The Cradle, Declassified UK et Grayzone. Suivez-le sur Twitter @KitKlarenberg.