L’assaut ‘surprise’ sur la Syrie va-t-il durer ?

La vague déstabilisatrice passe du Liban à la Syrie, avec une nuée de terroristes soutenus par l'étranger dans Alep. Mais peuvent-ils faire aujourd'hui ce à quoi ils ont échoué pendant une décennie ?

Dans son discours annonçant l’accord d’Israël sur un cessez-le-feu avec le Liban, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a menacé directement le président syrien Bachar el-Assad, le mettant en garde contre la tentation de “jouer avec le feu”. Ces paroles ont été prononcées quelques heures à peine avant que des factions terroristes armées d’Idlib ne lancent une offensive choc contre les positions de l’armée syrienne dans la zone de non-intervention située dans la campagne occidentale d’Alep. L’opération a été menée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), incarnation rebaptisée du Front Al-Nusra – ou branche syrienne d’Al-Qaïda – dirigée par Abu Muhammad al-Julani, avec la participation d’autres organisations terroristes internationales telles que le Parti islamique du Turkestan (TIP).

Repousser l’agression

Le matin du 27 novembre, des groupes terroristes armés ont lancé de violentes attaques contre des positions de l’armée syrienne à proximité des positions du 46e régiment et vers les villages d’Orem al-Kubra, Orem al-Sughra, Basratun, Anjara et les zones environnantes, situés à une courte distance de l’autoroute M5 Alep-Hama-Damas.

Lors de la première attaque surprise, lancée sous l’égide d’une opération baptisée “Deterrence of Aggression”, les terroristes ont pu pénétrer dans un certain nombre de villages que les forces de l’armée syrienne avaient évacués en vue de circonscrire la brèche, en violation flagrante des accords de désescalade conclus en 2019 entre la Turquie, la Russie et l’Iran.

La portée des combats s’est rapidement étendue sur la route internationale et dans la ville d’Alep. Une source de sécurité turque citée par Middle East Eye , financé par le Qatar, a déclaré que l’objectif de l’opération militaire lancée par HTS et ses alliés consiste à récupérer les positions conquises par les forces syriennes avec le soutien de la Russie au cours des batailles de 2017 – 2020.

Les terroristes affirment que les “violations” des accords de désescalade par les armées syrienne et russe – et l’intensification des frappes sur Idlib – ont motivé ces opérations militaires afin de reprendre le contrôle de ces zones. Ils affirment que le recul de l’armée syrienne dans la partie occidentale d’Alep a incité les extrémistes à lancer de nouvelles attaques contre les zones rurales de l’est d’Idlib.

En l’espace de trois jours, les groupes armés terroristes ont pu atteindre le cœur d’Alep et décréter un couvre-feu pour 24 heures. Alors que les affrontements s’intensifiaient, des avions de combat syriens et russes ont lancé une série de raids violents sur les camps et les réseaux d’approvisionnement d’HTS et des Turkestanis à Darat Azza, Al-Atareb, Sarmin et dans d’autres secteurs. Ces frappes aériennes se poursuivent, des vidéos révélant de lourdes pertes dans les rangs des factions terroristes, plusieurs sources médiatiques confirmant la mort de plus de 200 hommes d’HTS et d’autres groupes miliciens dans les environs d’Alep et d’Idlib.

L’intensification des attaques aériennes des forces syriennes et russes a permis, jeudi matin, de freiner l’élan d’HTS sur le terrain, le groupe ayant subi des pertes humaines et matérielles. Des sources sur la ligne de front révèlent également l’arrivée d’énormes renforts militaires dans la principale zone de confrontation, qui s’étend sur plus de 26 kilomètres dans l’ouest d’Alep – des troupes syriennes et du matériel qui préparent une contre-attaque pour rétablir le statu quo. L’expert militaire Haitham Hassoun explique à The Cradle que l’armée syrienne s’est regroupée sur les lignes arrière de la défense sur une profondeur de 7 à 8 kilomètres pour préparer la mise en œuvre de la contre-attaque.

Les préparatifs

En réalité, l’opération d’HTS n’était en aucun cas une offensive lancée au hasard, mais plutôt le résultat de préparatifs de plusieurs années menés par les renseignements américains et turcs pour unifier les rangs des différentes factions extrémistes dans le nord de la Syrie. Ce projet s’est déroulé sous la supervision directe de l’armée turque, dont le but était de faire converger les factions actives à Idlib et dans la campagne d’Alep et de confier la prise de décision essentiellement à deux entités : la soi-disant Armée nationale syrienne (ANS), loyale à Ankara, et Hay’at Tahrir al-Sham, la branche d’Al-Qaïda en Syrie.

Dans cet amalgame d’organisations terroristes se trouvent les groupes “djihadistes”du Turkestan et des Ouïghours, utilisés principalement comme forces de frappe dans des opérations militaires spécifiques, répondant en grande partie aux intérêts de leurs bailleurs de fonds américains et turcs.

L’expert militaire, le général de brigade Haitham Hassoun, confirme que les préparatifs de cette opération ont commencé “depuis longtemps”, et que les entités participantes ont mis en place un centre opérationnel commun il y a environ un mois et demi. Il estime que les terroristes ont bénéficié d’opérations médiatiques de “brouillage” et de guerre électronique menées par les services de renseignement turcs pour camoufler les intentions et les mouvements des terroristes, ainsi que par les forces d’occupation turques à l’intérieur de la Syrie dans les jours qui ont précédé l’offensive. Les militants ont en outre bénéficié de renseignements complexes qui les ont aidés à exploiter les failles sur le terrain, et à détecter les lacunes des positions de l’armée syrienne, ouvrant ainsi une brèche dans les lignes de défense et semant la confusion.

Qui décide, et pourquoi ?

Les scènes qui se déroulent aujourd’hui à Idlib et à Alep rappellent aux Syriens une période qu’ils croyaient révolue après la libération d’Alep en 2016 et les accords de désescalade de 2019. Mais ces accords obtenus de haute lutte sont toujours demeurés fragiles, la Turquie n’ayant pas respecté son engagement de purger la zone des groupes terroristes du M5. Le terrorisme du nord de la Syrie sert les intérêts d’Ankara, qui souhaite maintenir la pression sur Damas. Il explique également l’opération armée de cette semaine – une action qui, selon les Turcs, contraindrait le gouvernement syrien à engager des négociations sous le feu de l’ennemi, en particulier si les terroristes armés pénètrent à nouveau dans Alep ou coupent la route internationale, pourtant cruciale.

D’autre part, l’un des objectifs de l’opération pourrait venir de la décision des États-Unis de maintenir un état conflictuel dans la région dans le but de rediriger la pression vers la Russie et ses alliés régionaux, avant que le président élu Donald Trump ne revienne à la Maison-Blanche.

Comme l’ont souligné de nombreux commentateurs, l’opération militaire a été déclenchée dans la foulée directe des menaces explicites de Netanyahu dans son discours de cette semaine, et est probablement liée à la guerre régionale d’Israël et à la détermination de Tel-Aviv à couper la route syrienneaux membres de l’Axe de la Résistance. L’offensive semble avoir été coordonnée avec la Turquie, membre de l’OTAN, sous la direction des autorités d’occupation et des services de renseignement turcs, qui gèrent et soutiennent depuis des années les différents groupes terroristes dans le nord de la Syrie.

Selon une estimation préliminaire, il s’agit d’un retour à la situation d’avant 2019, d’une ré-invasion qui chercherait effectivement à faire dérailler tous les acquis du processus de paix d’Astana. Cette situation appelle une réponse tout aussi radicale et inattendue : une contre-offensive militaire syrienne qui ne se contente pas de reprendre les positions tenues par les forces de l’armée syrienne il y a quelques jours, mais qui s’étend de manière décisive jusqu’à Darat Izza et au-delà, jusqu’au poste-frontière de Bab al-Hawa avec la Turquie, coupant les voies de communication entre les terroristes des régions d’Alep et d’Idlib, et ramenant l’ensemble des gouvernorats sous contrôle gouvernemental syrien.

Ce qui a débuté comme un assaut de choc aura peut-être créé l’opportunité de mettre fin au vide sidéral du nord du pays à la fin de la guerre syrienne, de fournir à Damas et à ses alliés un moyen de contourner des accords de désescalade improductifs, et de donner à l’État syrien une justification légitime, légale et morale pour libérer tous les territoires des organisations terroristes.

En attendant une telle évolution, l’ouest d’Alep et l’est d’Idlib seront des champs de bataille en pleine effervescence. Toutefois, selon des sources bien informées, il est peu probable que les terroristes conservent longtemps leur avantage, et ce pour plusieurs raisons essentielles.

La première est l’arrivée imminente d’importants renforts militaires syriens dans le secteur, qui ne permettront pas qu’Alep tombe entre les mains d’extrémistes soutenus par l’étranger. Deuxièmement, ces groupes extrémistes soutenus par les États-Unis et la Turquie sont moins susceptibles d’atteindre leurs objectifs aujourd’hui qu’au cours des premières années de ce conflit, en raison de bouleversements politiques et économiques sismiques en Europe, qui craint la reprise du conflit syrien et un nouveau flot de réfugiés à ses frontières.

Troisièmement, Damas est de retour dans le giron arabe grâce à son adhésion à la Ligue arabe et à l’accueil que lui ont réservé plusieurs États du Golfe. Ces capitales ne sont plus vraiment enclines à soutenir les djihadistes, à relancer la guerre ou déstabiliser le Liban et l’Irak, voisins directs et solidaires de la Syrie, pour l’instant, pas plus qu’elles ne sont intéressées par un nouvel élargissement de l’espace militaire syrien aux alliances iraniennes.

Haidar Mustafa

Article original en anglais : A surprise assault on Syria, but can it last? The Cradle, le 30 noovembre 2024.

Traduction : Spirit of Free Speech



Articles Par : Haidar Mustafa

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