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L’attaque du marché de Douma: un prétexte fabriqué pour une intervention?
Par Eric Draitser
Mondialisation.ca, 24 août 2015
counterpunch.org
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/lattaque-du-marche-de-douma-un-pretexte-fabrique-pour-une-intervention/5471319

L’attaque du 16 Août 2015 sur un marché de Douma, une ville proche de Damas, a provoqué l’indignation internationale. Les condamnations envers le gouvernement syrien ont afflué tandis que le président Assad et l’armée syrienne ont été condamnés par les médias. Fait marquant, ces accusations ont été prononcées bien avant qu’une enquête ne soit menée, sans aucune preuve autre que les affirmations des porte-paroles des « rebelles » et des sources antigouvernementales. En effet, alors qu’il n’y a eu aucune investigation, les médias institutionnels, comme durant ces quatre dernières années et demie passées, se sont empressés de présenter  “Assad le boucher” comme responsable.

Votre serviteur lui même sait parfaitement que, en posant des questions pertinentes, il sera qualifié d’ ”apologiste”, de “propagandiste d’Assad” ou quelques autres absurdités de la sorte. Franchement, de telles injures n’ont que très peu de valeur par rapport à la souffrance du peuple syrien, et à la brutalité indicible qui se déversera sur lui si les médias institutionnels et les fauteurs de guerre occidentaux parviennent à leurs fins, soit de voir se réaliser une intervention prétendue “humanitaire”.

Ceux qui travaillent pour la paix doivent être prêts à s’interroger sur les vérités reçues par la machine médiatique et à le faire en sachant que leurs motifs sont justes. Les victimes de cette guerre, passées et à venir, ne méritent rien de moins.

S’interroger sur les récits de Douma

Lorsqu’on scrute attentivement les preuves de l’attaque, et qu’on compare les allégations faites par les médias occidentaux, certaines irrégularités troublantes émergent. Non seulement les affirmations semblent être exagérées mais lorsqu’elles sont placées dans le contexte historique de cette guerre, elles semblent intégrer un schéma clair de distorsion et de désinformation à des fins politiques. En effet, les images brutes viennent contredire certaines des affirmations faites par les témoins et les ainsi appelés «activistes» (un terme intéressant en soi) si souvent cités par les médias.

 

syrie douma 1

Premièrement, il y a l’allégation selon laquelle plus de 100 civils ont été tués par les frappes de l’armée syrienne. Il y a certainement beaucoup de photos qui semblent renforcer cette revendication, avec des débris éparpillés un peu partout, des travailleurs humanitaires transportant des victimes, des civils effrayés courant autour du marché détruit. Cependant, quand on regarde les vidéos, même celles fournies par des organes de presse tels que The Guardian, une chose curieuse semble manquer: des cadavres.

En effet, ne semble-t-il pas étrange qu’un raid aérien puisse anéantir un marché bondé, tuant plus d’une centaine de personnes, et qu’aucune des vidéos ou photo ne montre les corps déchiquetés par l’explosion? On se serait attendu à voir des corps mutilés, des membres éparpillés sur le sol, des mares de sang, etc… Rien de tout cela.

Comparez les vidéos de Douma à celles de Gaza le 30 Juillet 2014, pendant l’attaque d’Israël. Un raid aérien israélien qui a tué 15 personnes et en a blessé plus de 150, a également frappé un marché bondé et causé une terrible destruction. Et dans les vidéos, on voit des corps ensanglantés, des membres manquants, des mares de sang dans la rue et d’autres images de corps déchiquetés. Ou encore, comparez les vidéos de Douma à celles de Noël 2013, les bombardements d’un marché bondé de Bagdad. Les vidéos de cette attaque sont horribles, montrant les victimes avec des têtes partiellement arrachées de leur corps, des jambes encore attachées au corps par la peau seule, des cadavres d’enfants et des autres images vraiment angoissantes.

Tous ces éléments sont manifestement absents des images de la frappe aérienne sur Douma. Pourquoi? Les différentes images relayées sur les deux médias anti-Assad, et reprises par les grands médias occidentaux, les premières vidéos prises immédiatement après l’attaque ne montrent aucun corps. Il y a des images montrant des corps alignés, mais il n’y a aucune preuve visible qu’ils ont été victimes de la frappe aérienne. Fait intéressant, toutes les victimes aperçue dans ces vidéos montrent des hommes d’âge adulte; ce qui est plutôt curieux s’il s’agissait effectivement d’une attaque sur un marché bondé t où vraisemblablement des femmes et des enfants auraient dû être présents. En effet, au milieu de la guerre en cours, il y a des combattants tués quotidiennement, et il est tout à fait plausible que les corps enveloppés présentés soient des combattants tués d’une autre manière et simplement montrés à la caméra comme victimes du raid aérien.

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Pour être juste, des heures de recherche ont permis de découvrir au total une seule vidéo, prise après l’explosion, montrant les corps d’une poignée de victimes de sexe masculin. Cependant, aucun signe de mort par attaque aérienne n’est observable; les corps sont tous entiers, aucun membres manquants, très peu de sang (à la différence des vidéos de Gaza et Bagdad). Une conclusion logique basée sur les preuves disponibles serait que les hommes vus dans la vidéo sont morts de l’effondrement d’un immeuble, vraisemblablement le bâtiment détruit derrière eux.

Impossible alors de dire exactement ce qui est arrivé; il n’y a absolument aucune preuve définitive d’un raid aérien causant un “massacre délibéré”, l’argument claironné par les médias occidentaux et leurs homologues, financés par les saoudiens et les qataris, de la région. Un examen objectif de preuve montre la probabilité distincte qu’un raid aérien a été réalisé sur un bâtiment adjacent au marché. Et pourtant, dans les heures suivant l’attaque, le récit était apparemment déjà écrit: Assad procède à des représailles contre des civils, des innocents – un crime de guerre évident.

Un autre questionnement important porte sur un examen minutieux des victimes elles-mêmes. Naturellement, on ne peut pas faire la lumière sur tous les tués ou blessés dans une guerre; il s’agit de tenter de discerner ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, d’examiner de près toutes les preuves. Et la liste des victimes, ainsi que le traitement des corps soulève plus de questions que de réponses.

Selon une liste de noms des victimes publiée en arabe par le Comité de Coordination Douma, un groupe pro-rebelle, il y aurait eu 102 victimes dues aux frappes aériennes. Après examen, la liste mentionne trois femmes parmi les 102 victimes. Il faut beaucoup de crédulité pour penser que, dans un marché bondé un dimanche, après un raid aérien qui ne pouvait pas faire la distinction entre les sexes, il n’y aurait eu que trois femmes parmi les morts. Comment est-ce possible? Il semble probable que, comme mentionné plus haut, la liste comprenne des combattants qui pouvaient avoir été tués dans d’autres circonstances – dans ces combats, pris pour cibles par l’armée syrienne, etc – qui ont tout simplement été ajoutés à la liste afin de renforcer le récit d’un «massacre» en plein marché.

En outre, nous entendons parler de l’enterrement des victimes dans des fosses communes, encore un autre développement déroutant. Comme l’a rapporté Reuters le lendemain de l’incident:

« Soixante corps ont été enterrés dimanche soir dans deux fosses communes, a déclaré un porte-parole de la force de défense civile syrienne à Douma, un service de sauvetage opérant dans les zones tenues par les rebelles. Trente-cinq autres ont été enterrés lundi, portant le nombre de décès à plus de 100, a-t-il dit. “Il était vraiment difficile d’identifier les corps des victimes. Certains d’entre eux étaient brûlés jusqu’à l’os, de sorte que nous ne pouvions pas les ajouter à la liste officielle”, a déclaré le porte-parole de 28 ans, qui a refusé de donner son vrai nom pour des raisons de sécurité. Sa maison a été détruite dans le bombardement, a-t-il ajouté. »

Naturellement, la description donnée ici suscite une réaction émotionnelle forte. Cependant, reste la question troublante de savoir pourquoi, si le Comité de Coordination Douma a été en mesure de dresser une liste de toutes les victimes avec leurs noms, autant ont encore été enterrées sans cérémonie dans des fosses communes. Même en supposant que le nombre de tués était correct, s’il était difficile d’identifier les corps à cause de la gravité des brûlures, ils ont quand même réussi à les identifier. Si l’on admet que cela est vrai ces corps auraient du être donnés aux familles locales pour l’enterrement. Pourtant, ils ne l’ont pas été. Pourquoi?

Généralement l’utilisation de fosses communes indique un désir de cacher rapidement des cadavres, ce qui, si les récits des médias sur Douma étaient vrais, semble inutile. Quoi qu’il en soit, une véritable enquête sur cet incident devrait se pencher sur l’utilisation des fosses communes afin de cacher des informations clés, à savoir l’identité des personnes tuées.

Une thèse alternative, appuyée par les preuves disponibles, est que l’armée syrienne a effectué une frappe aérienne dans la ville bastion rebelle de Douma, et que la frappe a atteint sa cible, un bâtiment abritant une faction terroriste depuis longtemps connue dans la ville. Cela expliquerait la prépondérance des hommes parmi les morts, la nécessité du secret dans l’enterrement des corps, le motif de l’armée syrienne étant de  frapper cette cible.

En outre, il n’y a pas vraiment de secret à savoir qui étaient les combattants à la manœuvre à Douma et pourquoi ils auraient été ciblés. Comme la Fondation Carnegie le notait en 2013:

« La ville de Douma a longtemps été un bastion de l’insurrection, et plusieurs factions armées sont actives dans la région, beaucoup d’entre elles avec un penchant islamiste. L’une d’elles, l’Islam Brigade de la famille Alloush, a au fil du temps prit un peu plus d’ampleur que les autres, en particulier après avoir revendiqué la responsabilité de l’attaque du 18 Juillet 2012 contre l’Office National de Sécurité à Damas, qui a tué plusieurs personnalités de la sécurité syrienne. En mars 2013, les principales factions de la région ont uni leurs forces dans un corps local appelé le Conseil des Moudjahidins de Douma. Le nouveau groupe comprenait l’Islam Brigade, la Brigade des Martyrs de Douma, la Brigade des Lions de Ghouta, la Brigade des Révolutionnaires de Ghouta-Est, la Brigade des Lions de Dieu, la Brigade Tawhid al-Islam, la Brigade Farouq [Liwa al-Farouq], la Brigade Shabab al-Hoda, les Bataillons de Seif al-Omawi, le Bataillon de la Police Militaire, le Bataillon de Protection du Régime, et le Bataillon al-Ishara. »

Cette information clé est entièrement omise dans les récits des médias occidentaux à propos de ce qui est arrivé à Douma, pour des raisons évidentes. Notamment parce qu’elle sape la thèse selon laquelle les forces d’Assad ont effectué un massacre criminel de civils sous forme de punition collective. Au lieu de cela, elle appuie les déclarations des porte-paroles de l’armée syrienne disant que l’armée cible des éléments terroristes à l’intérieur de la ville, tout comme ils l’ont fait un certain nombre de fois, y compris récemment, en juin 2015. Ce point est essentiel car il démontre que ce dernier incident fait partie d’une bataille en cours avec ces factions de Douma, celle qui a vu d’innombrables roquettes tirées vers Damas depuis Douma et d’autres banlieues environnantes.

Il faut préciser encore le fait que cette attaque de Douma n’était en aucun cas le seul incident de la journée. Il y avait eu en fait une série d’affrontements dans la banlieue de Damas le dimanche 16 Août. Selon des sources militaires, il y avait eu de violents affrontements dans l’Est de Ghouta à la fois avec Jaish al-Islam (Armée de l’Islam) et Faylaq al-Rahman (Al-Rahman Corps) tuant 11 soldats syriens et 21 militants tués. En outre, la ville de Harasta, à côté de Douma, a été le théâtre de grands affrontements entre l’armée et les rebelles.

A la lumière de ces faits il devient évident que quoi qu’il se soit produit à Douma faisait partie d’une bataille en cours entre l’armée syrienne et les «rebelles» anti-gouvernement pour le contrôle de la ville.

Exposer les fauteurs de guerre «humanitaires»

La triste réalité est que les morts à Douma ne sont guère plus que des accessoires pour ceux qui tentent d’orchestrer une guerre supplémentaire au Moyen-Orient. Ces prétendus humanitaires voudraient transformer l’incident pour influencer la politique et étendre la guerre qui fait déjà rage afin de parvenir au tant désiré changement de régime en Syrie.

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Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, a déclaré son soutien à une guerre à grande échelle contre la Syrie pour raison humanitaire. Roth a appelé à plusieurs reprises à l’intervention contre le gouvernement légal de  Syrie. Il a récemment tweeté des déclarations telles que: “Comme à Sarajevo, l’attaque du marché de Douma pourrait finalement forcer Assad à cesser de viser les civils?” (@KenRoth, 16 Août). L’insinuation est tout à fait claire: il devrait y avoir une intervention militaire, comme lors de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie afin d’arrêter le “massacre” de civils. Il convient de noter que ce tweet a été publié dans les heures suivant les nouvelles de l’incident à Douma, avant toute enquête.

Roth, et par extension son organisation Human Rights Watch, s’est discrédité par un tweets ineptes tels que: “Les meurtres du marché de Douma montrent comment Assad choisit de mener cette guerre: délibérément contre des civils” (@KenRoth, 16 Août); une allégation évidemment partiale, et sans fondement. Roth n’avait aucune connaissance des identités des morts ou des motivations du gouvernement syrien quand il a publié ce tweet le jour même de l’attaque. Il s’est montré ici ni plus ni moins qu’un faucon de guerre.

Cette malhonnêteté n’est cependant pas nouvelle pour Roth et HRW. Comme cet auteur l’a montré précédemment, HRW est une organisation totalement discréditée qui a à plusieurs reprises publié des fausses allégations au sujet de la guerre en Syrie afin de justifier une intervention de l’OTAN. On doit évidemment rappeler le risible rapport d’HRW de 2013 titré: “Attaques sur Ghouta: analyse de l’utilisation présumée d’armes chimiques en Syrie”, rapport qui prétendait que le gouvernement syrien avait mené l’attaque infâme à l’arme chimique du 21 Août 2013.

Le rapport a depuis été complètement discrédité par le travail de l’ancien inspecteur en armement de l’ONU, Richard Lloyd et le professeur Theodore Postol, du MIT, qui ont publié leurs conclusions dans un rapport intitulé: “implication possible de renseignements techniques défectueux des États-Unis dans l’attaque aux agents neurotoxiques de Damas du 21 Août, 2013”, rapport qui a démontré sans équivoque que le gouvernement syrien ne pouvait pas avoir effectué l’attaque.

[…] Il convient de lire la suite dans la version originale : http://www.counterpunch.org/2015/08/21/the-douma-market-attack-a-fabricated-pretext-for-intervention/

Eric Draister

Article original:

THE "SYRIAN SCENARIO": What Is Really Going On In Syria: An Insider Report

Syria: The Douma Market Attack outside Damascus: Another Fabricated Pretext for US-NATO Military Intervention?, publié le 21 août 2015

Source originale : counterpunch.org

Traduit par Rochelle Cohen pour Arrêt sur Info:

http://arretsurinfo.ch/lattaque-du-marche-de-douma-un-pretexte-fabrique-pour-intervenir-en-syrie/

Note de Silvia Cattori:

Cette traduction imparfaite ne doit pas nous retenir de vous présenter cette analyse qui revient sur le récent massacre de Douma. 

Selon nos informations, il n’y a pas de doute que l’armée syrienne a bombardé Douma le 16 août et causé de nombreuses victimes parmi les combattants armés. Toutefois elle n’aurait pas délibérément ciblé les civils comme cela a été rapporté, mais les gangs armés qui depuis 2012 s’y sont installés et tirent chaque jours des obus sur les zones contrôlées par le gouvernement. Il n’y aurait pas eu de « nombreux » civils tués et blessés. A Douma, comme dans la plupart des localités de la Goutha (environs de Damas) les habitants qui n’ont pas voulu se rallier aux gangs terroristes ont fui ou ont été évacués depuis longtemps vers des zones administrées par le gouvernement. Il n’y aurait plus que quelques femmes et enfants appartenant aux familles des combattants anti-Assad.

Par ailleurs, tous les jours, à Damas et à Alep et dernièrement aussi à Latakyie, des civils (hommes femmes et enfants) sont tués et blessés par les obus de mortier lancés par les groupes terroristes. Selon les Syriens que nous avons interrogé à Damas « le nombre de civils tués par les groupes armés est nettement supérieur aux civils tués par l’armée gouvernementale en zone rebelles. Le 15 août a été un jour particulièrement meurtrier. Les groupes armés ont lancé des obus sur les quartiers habités à Damas, à Alep et Latakyie. » Cela n’a pas fait les titres de notre presse. Quand les terroristes tuent des civils qui se trouvent en zone gouvernementale l’OSDH ne dit rien et les médias traditionnels n’en parlent guère. [Silvia Cattori]

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