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L’autisme et la toxicité
Par Dominique Arias
Mondialisation.ca, 03 mars 2023

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Je me consacre entièrement à un travail de recherche sur le fonctionnement cognitif des autistes. Il se trouve que je le suis moi-même mais je ne le savais pas. Je ne l’ai compris qu’il y a trois ans, à l’entrée de la « Crise COVID », et j’ai immédiatement commencé mon autoformation dans ce domaine, parrainé par le Pr. Mottron, de Montréal, qui m’a diagnostiqué lui-même. Laurent Mottron est l’un des experts les plus réputés dans ce domaine – et surtout l’un des plus unanimement reconnu et validé par les autistes eux-mêmes, parce que ses analyses correspondent réellement à notre vécu et l’éclairent vraiment, dans tous ses aspects à la fois. Ce qui n’est généralement pas le cas de la grande majorité des théoriciens de l’autisme – loin s’en faut.

Ce texte est une réponse à l’article  de Senta Depuydt, « En hommage au Pr. Montagnier, qui a osé parler du lien entre autisme et vaccination ».

On ne peut reprocher à quelqu’un de ne pas savoir, concernant un domaine dont les plus grands spécialistes eux-mêmes se reconnaissent déconcertés et incapable d’expliquer l’origine réelle et les clés de cette évolution atypique. Mais on peut certainement reprocher à un chercheur de renom de prétendre avoir tout compris d’un domaine dont il ignore (délibérément) les fondements les plus élémentaires. Et évidemment c’est un sujet auquel je suis particulièrement sensible, non pour moi-même, mais parce que ce sujet concerne la survie d’enfants qui sont exactement comme j’étais moi aussi à leur âge, et souvent rien de plus, mais dont le taux de suicide devient à l’âge adulte nettement supérieur à ce qu’il est chez leurs pairs non-autistes, alors qu’ils aiment la vie telle qu’ils la perçoivent, comme on ne peut l’imaginer lors qu’on ignore tout de ce qu’est le surfonctionnement perceptif. 

J’ai une grande admiration pour le Pr Montagnier. Je n’ai aucun doute sur l’éclairage qu’il porte sur les vaccins et sur les effets néfastes de la toxicité environnementale (ou sur l’émergence du SIDA). C’est incontestablement son domaine de compétence, et c’était un grand érudit. J’ai, moi aussi, refusé de me faire vacciner COVID malgré mon âge et je ne considère pas non plus ces produits comme des vaccins. Au reste je n’ai aucun doute sur les effets potentiellement néfastes de la vaccination en général sur le « système immunitaire » (ou sur la capacité de réponse immunitaire de l’organisme). Par ailleurs, j’ai compris par moi-même dès les premières semaines de la « pandémie » que la narrative du COVID était une PSYOP qui ne collait pas avec sa propre évolution, et qu’il y avait des contradictions flagrantes entre les chiffres et les faits – ou leur improbabilité. J’étais de fait convaincu dès le départ que le virus avait été modifié en labo, comme ceux des différentes grippes aviaires et porcines qui l’avaient précédé, sauf que cette fois-ci il ne visait pas la « régulation d’un marché » mais les populations humaines. Là-dessus, nous sommes totalement sur la même longueur d’onde. 

Mais en matière d’autisme comme en virologie ou en épidémiologie, il est inacceptable qu’un profane absolu s’arroge le droit d’écarter d’un revers de main les plus grands spécialistes de ce domaine en assurant qu’ils mentent ou n’y connaissent rien, sans être lui-même ni expert ni directement concerné. C’est tout aussi inadmissible lorsqu’il s’agit d’un journaliste ou d’un obstétricien qui réfute Péronne, Raoult, Delépine ou Montagnier lui-même dans leur propre domaine d’expertise, que lorsque Montagnier à son tour réfute de la même manière les connaissances des autistes eux-mêmes sur leur propre condition et l’érudition de personnes qui ont passé toute leur carrière à observer et diagnostiquer des milliers de tout jeunes autistes, à les suivre jusqu’à l’âge adulte, et à chercher à étudier et comprendre l’autisme, entourés d’étudiants et de chercheurs autistes, en éclairant dès lors non plus leurs « déficits » mais au contraire leurs surcapacités perceptives et intellectuelles. L’empoisonnement par des toxiques chimiques provoque des dégradations et des lésions, non des surcapacités ou des surperformances – et pas seulement chez quelques-uns. Par exemple : si l’on avait découvert bien plus tôt le moyen de « guérir l’autisme » (le Saint Graal de tant de chercheurs, eugénistes dans l’âme), on n’aurait jamais constaté qu’un enfant entre deux et cinq ans, n’importe quel enfant ou presque, peut s’avérer parfaitement capable de décoder mentalement, tout seul, les structures et le fonctionnement du langage (oral et écrit) en restant presque totalement en retrait des interactions interhumaines (aucun problème d’interactivité avec le chat ou le chien), simplement perceptivement et par déduction, en détectant les similitudes, les associations et les correspondances qui le structurent. Et parfois même sans prononcer un seul mot pendant cinq ans ni échanger un seul regard avec quiconque. C’est pourtant de ça qu’il s’agit !

L’autisme n’est pas une maladie

L’autisme, à ce qu’on en comprend aujourd’hui, n’est ni une maladie à soigner ni une déficience cognitive ou un « trouble évolutif du développement » (sinon pour ceux qui ont un train de retard). Au regard du type et des niveaux d’intelligence qu’il produit, l’autisme est simplement l’expression d’une diversité naturelle dans le développement de l’intelligence et des structures neuronales qui la sous-tendent dans notre espèce, et peut-être pas seulement. Exactement comme le fait d’être gaucher n’est ni un handicap en soi, ni une déficience. Tout part d’une erreur de jugement au départ. Au XIXe siècle, lorsqu’on établissait l’inventaire des maladies mentales, on n’identifiait que les cas les plus flagrants, et on ne classifiait pas encore correctement tous les symptômes de chaque phénotype. L’autisme alors était une psychose infantile, et lorsqu’un enfant semblait « autiste » et montrait un déficit mental, on parlait d’autisme profond ou d’autisme sévère. Tandis que lorsqu’un enfant qui n’avait rien d’un autiste était atteint de la même déficience, exactement la même, on ne parlait jamais d’une « normalité profonde » ou de « normalité sévère ». Cet obscurantisme absurde persiste encore aujourd’hui, comme de la glu sur une chaise, et nombre de déficients mentaux sont encore assimilés d’office à la catégorie autistes, qu’ils le soient réellement ou non, par le seul fait qu’ils y ressemblent. On parle alors d’autisme « syndromique ». Mais il est aujourd’hui classé à part dans les différentes formes d’autismes, et sitôt débarrassé des diagnostics erronés il est devenu statistiquement ultra-minoritaire. L’autisme a toujours existé, ça n’est ni une maladie ni une malformation, ça ne s’attrape pas, ça n’est pas contagieux et ça n’est pas d’origine épigénétique. 

Le mythe statistique du nombre croissant d’autistes

Quant aux courbes alarmantes de « progression » de l’autisme, un enfant de cinq ans peut en deviner la cause exacte, s’il se pose réellement la question sans vouloir mettre en fait la réponse qu’il pensait avoir trouvé d’avance. Que Montagnier ait pu occulter une telle évidence statistique à seule fin de se donner raison et nonobstant les conséquences physiologiques de ses expérimentations stériles sur les dizaines d’enfants qu’il faisait placer sous antibiotiques pendant plusieurs années de suite est parfaitement inadmissible. Il n’y a rien de sorcier ni de suspect là-dedans, c’est simplement logique. Purement logique. L’autisme est découvert et défini comme « trouble mental précoce » vers la fin du XIXe siècle par Bleuler. Mais sa définition très vague et le flou persistant sur les origines de ce trouble font que pendant des décennies il n’est que rarement diagnostiqué lorsque ça n’est pas absolument flagrant, et seulement par des spécialistes. Très progressivement la capacité à diagnostiquer l’autisme est enseignée en psychiatrie, dans quelques universités seulement, et s’étend peu à peu. Mais encore aujourd’hui la grande majorité des psychiatres français (pour peu qu’ils soient honnêtes) se reconnaissent incapable d’effectuer eux-mêmes un diagnostic complexe ou de donner une définition claire, inclusive et non-datée de ce qu’est réellement l’autisme. Le nombre de diagnostics n’a donc augmenté au fil des décennies qu’en proportions de l’évolution du nombre de spécialistes correctement formés à les poser. Ce qui a envoyé des centaines de milliers d’autistes en institutions psychiatriques à vie, dès l’âge de quatre ou cinq ans, pour toutes sortes de diagnostics totalement erronés. Et aujourd’hui encore, les témoignages récents de tels traitements restent légions en France. Pas de quoi claironner, vraiment !

Dans les années 1960-70, on validait néanmoins de plus en plus de diagnostics – dans les pays occidentaux du moins. Au début des années 1980, Lorna Wing, découvre un ensemble de cas particuliers d’autisme qui se rapprochent de ceux décrits dans les années 1940 par le chercheur Autrichien Hans Asperger. Elle redéfinit ce type d’autisme, auquel elle donne le nom de « syndrome d’Asperger ». La courbe constamment progressive du nombre de diagnostics se double alors d’une nouvelle courbe apparemment exponentielle elle aussi mais qui n’est, une fois de plus, qu’une augmentation de diagnostics réalisés par une profession qui n’intègre que très progressivement des tests plus inclusifs, et donc plus difficiles à réaliser – le plus souvent laissés à des experts spécialisés dans les tests de détection. Et on découvre alors qu’il y a, non pas de plus en plus d’autistes, mais simplement beaucoup plus d’autistes qu’on ne le pensait au départ, et surtout beaucoup plus de cas de figure possibles. C’est seulement le nombre de diagnostics posés qui augmente constamment et non pas le nombre d’autistes !

Dans le même temps, la détection clinique s’étendait progressivement aux pays non-occidentaux, et les chiffres augmentaient d’autant, avec partout – quelle que soit la latitude ou la culture, et vaccinés ou pas – la même proportion d’environ 1 %. Aujourd’hui, on parle d’autisme « au féminin » et d’autisme « invisible » pour les cas les plus indécelables à première vue mais que l’anamnèse et les tests confirment sans équivoque (c’est notamment mon cas, diagnostiqué à 59 ans à ma grande surprise). Plus récemment, l’élargissement délirant des critères à fait passer ces statistiques à 2% ou plus, selon les administrations, car une industrie lucrative de l’intervention précoce s’est greffée par-dessus, qui fausse sciemment les diagnostics, en les posant aux nourrissons. Et la plupart sont faux, mais comment le prouver ? Même si l’on soustrait l’enfant aux soins préconisés, son développement « normal » sera utilisé pour attester qu’on peut guérir l’autisme. Et si on ne l’y soustrait pas, sa normalité-même validera d’office la pertinence de l’intervention et de son diagnostic précoce. C’est une vertigineuse impasse dans laquelle des nourrissons tombent comme dans une escarcelle. Et les parents en restent cois. 

Le plus souvent les diagnostics tardifs surviennent lorsque on fait un burnout ou lorsque des parents amènent leur enfant en consultation chez un spécialiste pour une confirmation, et constatent ensemble que la description des caractéristiques correspond aussi à l’un d’eux. Car l’autisme apparait plus fréquemment dans les familles où il y a déjà des autistes. C’est comme la couleur des yeux ou des cheveux, ou le fait d’être gaucher – précisément. Et ça n’est pas davantage une « anomalie génétique » que le fait d’être gaucher ou d’avoir les yeux ou les cheveux de telle ou telle couleur. Alors où est le problème et d’où vient le handicap ?

Lorsqu’il n’est pas accompagné d’un handicap mental (dont l’origine est réellement une anomalie génétique), l’autisme n’est ni une maladie ni un handicap en soi. C’est l’écart monumental entre le fonctionnement cognitif des non-autistes et celui des autistes qui place ces derniers en « situation de handicap » dans pratiquement tous les contextes d’interactions sociales. Des capacités perceptives trop différentes produisent une représentation du monde et une « manière d’être au monde » totalement différente. Le degré de difficulté à comprendre l’autre et à s’en faire comprendre est dès lors totalement réciproque. Il a été expérimentalement démontré par le Pr. Damian Milton (chercheur lui-même autiste) que ce degré de difficulté était en réalité aussi énorme d’un côté que de l’autre. Autrement dit, que les autistes entre eux se comprennent aussi bien que les non-autistes entre eux. Il est donc « pratiquement » aussi difficile pour un autiste de comprendre un non-autiste et de s’en faire comprendre, que pour un non-autiste de comprendre un autiste et de s’en faire comprendre. « Pratiquement », parce que la proportion n’est pas la même : 1 à 2 % d’un côté, contre 98 à 99 % de l’autre. Il est donc en réalité plus facile à un autiste de se faire comprendre qu’à un non-autiste, parce que 99 % des personnes qui l’entourent depuis sa naissance sont non-autistes. Une évidence contrintuitive ! Mais paradoxalement, là où le surnombre donne aux uns la conviction d’être la norme, l’inverse donne aux autistes une confiance en soi chroniquement altérée, dont ils subissent les conséquences à vie.

Le mythe de la régression autistique

Autre point d’importance dont Montagner et Chronimed avaient choisi de faire fi : la chronologie de l’évolution cognitive des autistes diffère de celle des non-autistes parce qu’ils se mettent instinctivement en retrait, très précocement, de ce qui leur est désagréable et de tout ce qui les contraint. Et, pour quelque raison que ce soit, les interactions interhumaines leur sont très tôt désagréables, comme le sont aussi à d’autres enfants les légumes, les fruits, les ascenseurs, le sport ou la baignoire, sans que chez eux cela porte outre mesure à conséquence. Et très tôt, les petits autistes, lorsqu’on les dérange avec insistance, lèvent spontanément le bras exactement comme le font les adultes non-autistes pour signifier : « Minute ! Pardon, mais pas maintenant, je suis en train de réfléchir à quelque chose de compliqué ». Parce que c’est exactement ce qu’ils sont en train de faire. Ils préfèrent être seuls et tranquilles que d’être dérangés. Certains parce qu’ils craignent l’insistance et le regard direct, qui servent à exiger une attention complète. D’autres parce que l’émotion qu’ils ressentent en présence d’une personne qui cherche leur contact leur parait à la fois si indéfinie et si puissante que ça les tétanise, et qu’ils préfèrent rester à l’écoute sans y répondre. D’autres enfin parce que leur hypersensibilité sensorielle les dépasse et les pousse à se mettre à l’écart des bruits, des odeurs, des couleurs, des lumières et des gestes ou des voix, et de tout ce qu’on sollicite de leur part. On ne peut comprendre aucun de ces comportements si l’on n’essaye pas de se représenter les niveaux de perception sensorielle et d’émotion qui accompagnent le surfonctionnement perceptif, mais aussi l’intensité des intérêts qu’il génère dans tout ce que l’on découvre, observe avec les sens, et qu’on cherche à comprendre. Tout petits, les autistes sont spontanément attirés par tout ce qui est structurellement complexe et peut s’analyser perceptivement et mentalement, par la répétition, l’observation et la déduction. Mais évidemment seul et sans interférence, parce que ces observations-là sont difficiles entre deux et cinq ans, exigeant attention et concentration. 

Dans environ 75 % des cas, vers l’âge d’un an-et-demi à deux ans, les petits autistes se détournent si drastiquement des interactions sociales qu’ils cessent totalement de communiquer et donc de parler, et évitent systématiquement les regards directs (le eye contact). A cet âge apparaissent les crises de plus en plus fortes qui caractérisent seulement la difficulté de ces enfants à gérer leurs émotions et perceptions sensorielles dans un environnement qu’ils découvrent comme de plus en plus complexe et saturé de sensations qui leur semblent trop fortes. L’un des inconvénients du surfonctionnement perceptif, c’est qu’un enfant a besoin de plusieurs années pour s’habituer à l’intensité des émotions et des sensations qu’il génère. Il ne les comprend pas parce qu’elles deviennent de plus en plus puissantes. Ces enfants connaissent alors ce que les spécialistes appellent un « pallier mutique ». Ils vont cesser de parler pendant plusieurs années de suite (alors qu’ils avaient souvent bien commencé), et repousser drastiquement tout contact insistant ou contraint. Mais sans cesser pour autant de décoder le langage – tout seuls et mentalement – en privilégiant soit sa forme écrite (imprimés, livres, magazines, partitions, calendriers, notices d’objets), soit sa forme orale mais indirectement et sans interactions (radio, télévision, conversations écoutées passivement d’un air absent, etc.) 

Avec ou sans intervention, la très grande majorité se remettra spontanément à parler entre quatre et sept ans, et généralement par phrases complètes, en utilisant l’écholalie comme mode de production des phrases, qu’ils mémorisent spontanément et tentent de réutiliser telles quelles, sans les démonter. Parce que perceptivement c’est au départ la « matière phonétique » de ces phrases qui les intéresse et les touche, bien plus que leur fonction communicationnelle. Cette fonction, ils l’intègreront petit à petit, par besoin de communiquer, en décomposant leurs phrases préférées pour en reconstruire d’autres à partir d’éléments de plus en plus nombreux. Seul un très faible pourcentage de ces enfants tentera son retour vers la parole trop tard, car au-delà d’un certain stade de croissance, la connectique neuromotrice ne parvient plus se mettre en place. Ils ne parleront pas. Mais ils continueront à décoder le langage, et la plupart d’entre eux pourront parfaitement communiquer par écrit, si leur entourage n’a cessé à aucun moment d’alimenter leur besoin d’apprendre – intellectuellement vital – sans les contraindre ni les braquer, en leur parlant toujours normalement, même s’ils ne répondent pas. Pareil qu’avec le chat, qui ne parle pas non plus. Mutiques ou non et colériques ou pas, ils ont seulement besoin d’amour, de soutien, d’indulgence, de compréhension et d’énormément de patience. Et surtout qu’on accepte leur différence de fonctionnement cognitif telle qu’elle s’est déjà mise en place, en la laissant s’épanouir et se construire à sa façon. Si on l’aide, elle s’épanouit. Contrainte elle ne portera aucun des fruits qu’elle aurait pu porter : Pas de Bach ou Mozart, Einstein ou Lao Tzeu, si l’on prive un enfant précoce (mutique ou pas, autiste ou non) de s’isoler régulièrement pour se livrer à ses passions ou à ses réflexions sur le monde. Ils réfléchissent avec les doigts ! Et, tant que cette maturation ne s’est pas faite, impossible de savoir de quel niveau sera l’intelligence qui se construit mentalement dans le silence, en retrait des interactions. Et d’ailleurs, quelle importance ? C’est sa tranquillité d’esprit qui compte, et surtout ses besoins vitaux. Certains s’éveilleront plus tard que d’autres, mais c’est tout.

Interactions sociales

En retrait des interactions interhumaines, la connectique cérébrale se structure différemment parce qu’elle est sollicitée et utilisée différemment – outre les différences innées qui sous-tendent le surfonctionnement perceptif. Pour eux, entre deux et cinq ans (et souvent bien au-delà) la grande majorité des opérations (observer, apprendre, comprendre, analyser, calculer, réfléchir, composer, etc.) sont presque exclusivement effectuées mentalement et pour soi-même. Tandis que tous les autres enfants du même âge apprennent à obéir, à se conformer à ce qu’on attend d’eux et à paramétrer leurs opinions et leurs comportements sur ceux des autres, les autistes apprennent (tout seuls) à évaluer ce qui est vrai, faux, bon, mauvais, pertinent ou pas, etc., exclusivement sur la base de leurs propres capacités de déduction logique, de détection des incohérences, et de comparaison des milliers d’informations et de détails qu’ils mémorisent massivement pour les évaluer ensuite, avec un temps de latence. Pour les mêmes opérations, ils n’utilisent pas les mêmes zones du cerveau que les autres. Ils passent d’instincts par d’autres cheminements, plus spatialisés, plus perceptifs, plus sensoriels et souvent plus rapides, et synthétisent en images plutôt qu’en phrases. Parce que les phrases servent à communiquer, ce qui pour eux n’est pas spontanément une priorité réflexe. La majeure partie de leur fonctionnement cognitif (de même que le niveau qu’il pourra atteindre) s’articule sur leur mémoire et leur capacité à manipuler mentalement proportions et concepts. D’où leurs intérêts très peu éclectiques au départ (intérêts dits « restreints »), mais qui s’élargiront plus tard, atypiquement, à partir des similitudes. Évidemment, hors ou en retrait des interactions sociales, les autistes n’intègrent pratiquement aucun des codes d’interactivité que tous les autres enfants intègrent par immersion constante dans les interactions, pour fonctionner collectivement en synergie. Mais leur cerveau n’est pas passif pour autant, loin de là ! Et ils apprennent d’autres choses, que les autres enfants ne peuvent apprendre aussi précocement à cause de leur immersion constante dans les interactions et du réflexe de paramétrage permanent qui en est la clef principale et les protège de l’ostracisme. 

A l’exception de ceux qui ne passent pas par le pallier mutique (et encore), les autistes n’apprennent par immersion ni le langage non-verbal, ni les mimiques normales, ni les sous-entendus, ni les implicites tacites (les implicites involontaires ne leur échappent pas du tout, en revanche), ni les non-dits. Tous les autres apprennent à mentir vers l’âge de deux ans, eux non. Les autres enfants apprennent à discuter et à jouer ensemble aux mêmes choses ; eux, à s’amuser tout seuls et de n’importe quoi – le plus souvent mentalement, au point de ne pas même éprouver le besoin de manipuler leurs jouets, mais de jouer seulement en leur présence (avec eux mais d’une autre manière, non-interactive). Ils s’émerveillent de leurs perceptions lorsqu’elles ne sont pas excessives et leur sont agréables, mais n’éprouvent généralement aucun besoin de les partager. Ils aiment en revanche partager ce qu’ils comprennent, ce qu’ils ont découvert et ce qui les fascine. Mais ne connaissant aucun code (et n’en soupçonnant même pas l’existence), ils le font très maladroitement. On ne comprend pas où ils veulent en venir. On leur cherche des intentions qu’ils n’ont pas. Cependant, contrairement aux autres, ils pratiquent très tôt, spontanément et très intensément l’auto-hypnose et la pleine conscience, et sans même en être conscients. Même précocement, il est des choses que l’on ne peut apprendre qu’en recherchant la solitude et la paix intérieure. Seul dans sa chambre ou absorbé dans ses passions, un autiste n’est jamais en situation de handicap, sauf lorsqu’il souffre d’avoir été rejeté et de n’avoir pas su se faire comprendre ou aimer, et ne sait ni comment ni à qui l’exprimer. En retrait des interactions, la plupart des autistes, enfants, n’ont personne vers qui se tourner pour être consolés lorsqu’ils ont peur ou lorsqu’ils souffrent. Ils apprennent à se consoler tout seuls, par des moyens qui sont les leurs – comme se taper rythmiquement la tête contre les murs. J’ai connu ça, et ça marchait !

Les autres troubles et symptômes

Quant aux troubles fonctionnels, neuro-moteurs, psychologiques, comportementaux émotionnels ou psychoaffectifs qui affectent très fréquemment le comportement et la vie des autistes, dans la très grande majorité des cas (à l’exception de certaines re-location neuronales liés à leurs domaines précoces de spécialisation ou à leur prédominance perceptive, et qui causent des dyspraxies) ils apparaissent finalement, la plupart du temps, comme les très profonds impacts du décalage cognitif entre leur propre fonctionnement et le monde qui les entoure, et comme les impacts du surfonctionnement perceptif et émotionnel sur l’hypersensibilité émotionnelle et perceptive qui les accompagne inévitablement. Cette même hypersensibilité perceptive qui permettra parfois à un enfant autiste d’apprendre presque instantanément à l’oreille des partitions de Bach dès la première écoute et de les rejouer en regardant mentalement la partition qu’il a visualisée en écoutant, lui vaudra aussi des crises de panique monumentales et des tsunamis émotionnels lorsque son hypersensibilité perceptive atteindra son seuil de saturation – ce qui arrive très fréquemment et pour un rien dans la petite enfance. Ces crises et les cauchemars qui les répliquent nuitamment laissent les mêmes stigmates que les chocs psychologiques subis précocement par tant d’autres enfants en contexte de guerre, d’accidents graves, violences physiques, de torture mentale, etc. Si l’on retire aux symptômes de l’autisme tout ce que l’on retrouve à l’identique dans le trouble de stress post traumatique (y compris l’inconfort lié à l’hypersensibilité sensorielle et aux interactions sociales), la majorité des symptômes restants sont des caractéristiques positives liés au surfonctionnement cérébral et aux aptitudes et capacités atypiques qu’il offre. Ces capacités sont notre jouet préféré lorsque nous sommes enfants. Et nous ne sommes même pas conscients que c’est un privilège, naïvement persuadés que tout le monde est comme nous.

Si l’on refuse de prendre tout cela en compte, on peut s’enfermer ad vitam aeternam dans l’idée que l’autisme est un trouble évolutif du développement (euphémisme mondain pour déficience mentale), que l’on pourra soigner un jour d’une manière ou d’une autre, eugénistiquement, par les antibiotiques, le dressage cognitivo-comportemental, les électrochocs ou même l’arsenic (comme on soignait autrefois la syphilis). Si l’on prend au contraire ces aspects-là en compte, alors c’est quoi l’autisme au bout du compte ?

Définitions : de soi, de l’autre et du problème

L’autisme est avant tout une grille de lecture. Un ensemble de comportements type, qui permettent de réunir sous la même étiquette une myriade de gens divers, de tous pays, tous âges et toutes conditions, mais qui ont en commun leur manière d’être différents des autres et les problèmes que ça leur pose. L’autisme c’est un autre monde, un continent entier, immense, dont presque rien n’est découvert et dont les habitants parlent si peu, par métaphores, qu’on ne sait jamais deviner ce qu’ils en savent exactement et dont ils ne vous diront rien, quoi qu’on leur fasse. L’autisme c’est avant tout un mot malade. La seule chose qu’on peut soigner. Et qu’il faudrait guérir d’urgence. Toxique comme une amanite dans un panier de champignons. C’est une manière de voir, de regarder de haut en bas, avec une pitié visible et affutée comme une dague. De l’extérieur c’est une contenance, une pratique, une habitude de considérer l’autre en le déconsidérant d’office : un faire-valoir aux dépends de… Pour les parents, un couperet, qui tombe comme une sentence et toujours à perpétuité, mais qui saurait être autre chose si on le pensait autrement.

De l’intérieur, l’autisme c’est une autre manière d’apprendre ; d’observer depuis tout petit avec tous les sens à la fois ; de réfléchir et de penser ; de comprendre et mémoriser ; de s’éblouir en permanence ; de fonctionner mentalement ; une autre façon d’être au monde mais si belle de l’intérieur ; un autre regard sur le monde, sans jamais se paramétrer sur ce que pensent ou font les autres, et même lorsqu’on les imite et copie leurs comportements, pour se faire discret parmi eux, sans qu’ils nous rejettent. On les imite seulement, restant prudemment à distance et en cherchant juste à comprendre : « Mais pourquoi ils font ça ? Pourquoi ils mentent tout le temps (autant aux autres qu’à eux-mêmes) ? Ça sert à quoi ? C’est idiot… ils payent ça tellement cher après. On paye tous ça tellement cher après, même ceux qui ne mentent pas. Et pourquoi donc est-ce moi qui me sens bizarre alors ? ». 

L’autisme, simple mot, est un miroir toxique qui vous tue peu à peu sans jamais vous le dire. C’est ce non-dit qu’on entrevoit, furtif, dans un regard, que l’on sait avoir déjà vu. L’odeur du fauve impitoyable, qui se cache dans le décor. L’hypervigilance en éveil et le corps entier en tension, jusqu’à l’épuisement s’il faut, comme une corde d’arbalète. Une définition létale, un simple mot. Ça parait rien. Une définition de l’autre qui, pour l’autre en question devient une définition de soi, une manière de se voir dans le regard de l’autre, de se représenter soi-même, de se comprendre, de se percevoir… comme un débile mental estampillé à vie (quel que soit l’euphémisme qu’on aura grossièrement collé dessus). Et c’est à mourir de tristesse, à en être pressé de partir. J’ai toujours été un peu pressé de partir, depuis tout petit, de filer rejoindre mon père, dans la scintillante quiétude d’un ciel rempli d’étoiles. 

Je ne le comprends qu’aujourd’hui, mais en mourant dans son avion, mon père, sans le savoir m’avait donné le reste de sa vie. C’est parce qu’il était mort trop peu de temps avant que ma mère a toujours refusé de me laisser placer en institution psychiatrique, alors qu’on le lui demandait, moi qui voulais mourir aussi, dès l’âge de quatre ans. Et puis mon enfance a passé, et la vie a filé tout doucement, d’une péripétie à l’autre, comme une poignée de sable fin entre mes doigts. Et ainsi, sans rien en savoir, j’ai eu la chance d’échapper au reflet venimeux de ce miroir toxique. Parce que lorsque j’ai finalement compris que j’étais ainsi fait, j’étais déjà en fin de trajectoire. C’était donc ça mes crises de gosse et mes terreurs à se rouler par terre ; mon silence ébahi de nourrisson tranquille, qui ne demande jamais et joue avec ses doigts ; mon horreur des mains sales, des bises aux gens qui sentent ; mes hésitations permanentes et mes gestes tout raides et toujours tout coincés. C’était donc ça cette sensation de toujours regarder le monde de l’extérieur, et de m’y voir gesticuler vainement au milieu de tout le monde, en me demandant « mais qu’est-ce que je fais là, moi ? Qu’est-ce que je fais là ? ». Ma différence, ma si précieuse différence, mon refuge aux murs de silence épais comme une forteresse, que j’avais préservée de tout, à bec et griffes : mon tout dernier recoin d’enfance. J’avais passé toute ma vie à ne pas le savoir du tout. Mais je savais depuis longtemps, par tout ce que j’avais vécu, appris, compris et retenu, ce que j’étais ou pas. Je le savais pertinemment. Fallait pas me la faire, j’étais pas dupe des euphémismes et des bien belles théories, qui ne collent pas dès qu’on s’y penche. Et débile, certainement pas !

Quant à leur reprocher vraiment ? Sachant qu’ils ne comprennent pas, n’ayant jamais été autistes… N’ai-je pas moi aussi passé ma vie à ne voir de l’autisme que ce qu’on en disait ? J’en ai des décennies durant fait l’expérience. Au fond, que pouvais-je vraiment comprendre de l’autisme tant que je n’en connaissais que les lieux communs les plus réducteurs, et sans me sentir concerné ? Avant de comprendre que je l’étais aussi, en fait, et que toutes ces définitions purement théoriques et spéculatives si doctement élaborées par des non-autistes condescendants, me dépeignaient donc moi-aussi comme un handicapé mental. Évidement ça vous motive à considérer autrement et sous une lumière plus crue tous ces a priori stupides. C’est efficace ! Mais si on m’avait collé cette étiquette-là dans la tête à cinq ans, à dix ou à vingt ; cette image pourrie de moi-même, qu’est-ce que je serais devenu ? Qui je serais devenu en me voyant jour après jour dans ce miroir devenu le regard des autres, de tous les autres ? Les aurais-je faits mes voyages ? Aurais-je osé être amoureux, ne fut-ce qu’une fois dans ma vie ? Est-ce que je serais encore là ? Pour en parler et pour vous dire : ça n’est pas une maladie…

L’autisme : un regard sur le monde, sans concession, de l’extérieur… Quoi qu’il en soit, et au vu de cet éclairage, pendant plusieurs années, Luc Montagnier, Chronimed et consorts ont dupé consciemment une armée de parents crédules et misé sur une hypothèse comme sur une martingale, en l’expérimentant directement sur des cobayes humains, hypothéquant leur avenir en toute impunité, sachant pouvoir se défausser totalement des conséquences. Après tout, ça ne les rendrait pas malades, ils l’étaient déjà au départ, et à vie. Bein voyons ! Ces cobayes étaient non seulement des enfants, mais en plus ils étaient autistes. Deux fois plus incapables en somme de refuser un traitement ou de s’en plaindre à qui que ce soit, même après des années devant les tribunaux. Fut-ce avec les meilleures intentions du monde, ce qui reste sujet à caution, on était bien plus près de Mengele que d’Hippocrate. Et ça reste une faute impardonnable, que l’immense majorité des autistes ne leur pardonnera jamais.

Dominique Arias

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