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L’auto-intox de l’inflation et du dollar « bleu » qui menace l’Argentine
Par Estelle Leroy-Debiasi
Mondialisation.ca, 07 février 2013
El Correo
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Gel des prix dans les supermarchés jusqu’au 1 er avril en Argentine : la Secrétaire d’état au Commerce Intérieur a signé un accord en ce sens avec l’association représentant les principaux supermarchés du pays – Asociación de Supermercados Unidos -. Une mesure attendue car le spectre de l’inflation est en train d’intoxiquer l’Argentine, et on le sait il s’agit d’un facteur qui s’emballe à la première occasion.

Les premiers responsables sont souvent les intermédiaires entre le producteur et le consommateur final. Non contents et satisfaits d’une croissance soutenue depuis dix ans qui a permis de mieux vivre, certains agents économiques seraient mués par le désir de s’enrichir au plus vite, et chacun de pousser à la hausse les prix, des salaires… et c’est ainsi que se nourrit la spirale perverse.

L’été étant de surcroit une période propice à l’envolée des prix, notamment dans les zones de villégiature. La présidente argentine qui a abordé la question de l’inflation dans un discours du 25 janvier dernier, a d’ailleurs appelé les citoyens à faire usage de leur pouvoir de consommateur, et de sanctionner en les boudant qui des hôtels, restaurants… faisaient grimper les prix trop vite. En clair, le consommateur argentin doit reprendre la main. D’ailleurs, quand les prix ont flambé trop vite sur la cote atlantique, et que les réservations ont tardé, les hôteliers ont compris le message et baissé les prix.

Le consommateur doit exercer son pouvoir

Reste que cela concerne aussi et surtout les produits de consommation les plus basiques, et là, c’est la distribution qui est responsable. Or 80% des aliments, boissons et articles de produits ménagers sont produits par 28 entreprises en Argentine. Le secteur de la distribution est également très concentré qui regroupe – Coto, Jumbo, Carrefour, Vea, Disco, Walmart, La Anónima et Cadena Libertad de Bahía Blanca- et contrôle aussi des grossistes. Et c’est pourquoi cet accord arraché aux grands distributeurs est important. On table aussi sur le jeu de la concurrence d’autres circuits de distribution comme les supermarchés chinois ou les petites surfaces. Reste à savoir ce qui va se passer à partir du 1er avril. Et dans les autres secteurs. Mais avec des hausses successives de prix depuis plusieurs mois, et le fait que les industriels verront leur prix gelés aussi, les grands distributeurs peuvent encaissés deux mois de gel de prix sans perdre leurs marges.

Facteur hautement subjectif

Le sujet est des plus sensibles. Inflation il y a, croissance aussi donc rien ne justifie que le tout s’emballe. Selon l’Indec, la variation de l’indice des prix à la consommation en 2011 a été de 10,8 %. Mais d’autres indicateurs le donne du double. Tout le monde veut sa part du gâteau ou du moins suivre le mouvement. Encore récemment le gouvernement argentin a annoncé, une progression du 15% des retraites de base au 1er mars. La retraite minimum a augmenté de 28% depuis mars 2012. Difficile, même si on évoque des rattrapages historiques de nier la présence de tensions inflationnistes.

La question sur l’inflation n’est plus – y en a t il ?- mais – comment éviter que cela s’emballe ?. Car cette hausse des prix participe à déstabiliser le pays et surtout sa monnaie car elle nourrit la spéculation autour du dollar qui se trame sur le marché noir. Le dollar « bleu » comme l’appelle les argentins. Conséquences de craintes anciennes, ils ne peuvent s’empêcher de croire à la suprématie du billet vert, qui pourtant dans le reste du monde n’a plus la cote comme valeur refuge, à commencer par la Chine qui s’en débarrasse autant qu’elle peut ! Et pourtant ce dollar « bleu » s’est envolé il y a quelques pour frôler les 8 pesos alors que son cours officiel est à 4,99 et cela sans que ne survienne d’événement politique ou économique le justifiant.

Depuis, il a légèrement reculé à 7,58 (au 5/02/2013). Avec les mêmes soupçons de spéculations – à la hausse ou à la baisse -, difficile de juger ce changement de tendance ; une chose est sûre, c’est le manque de transparence de ceux qui opèrent et entretiennent ce marché illégal. Car évidement , il est aussi lié à l’évasion fiscale. On peut se demander pourquoi le gouvernement n’agit pas plus drastiquement pour désarticuler ces filières du marché noir du dollar ; serait-il inhibé par la peur de la répression ?

Marionnettes

De leurs cotés, les autorités de la Banque Centrale laissent entendre que le dollar « bleu » s’envole parce qu’aussi soutenu par une demande saisonnière, qui s’aplanira une fois les vacances terminées, compte tenu du besoin d’une autorisation de l’AFIP – administration fiscale – pour acheter des devises étrangères : il faut être en règle avec ses impôts. Le gouvernement ayant pris des mesures d’encadrement du marché des changes il y a plusieurs mois pour limiter la fuite des capitaux et aussi son pendent l’évasion et la fraude fiscale ! Mais la folie spéculative qui s’empare du dollar « bleu » est aussi entretenue par les rumeurs savamment distillées dans la presse d’opposition d’incontournable dévaluation, ou effondrement des changes, transformant le cours du dollar « bleu » en une sorte d’indicateur de risque du pays. Ce qui participe largement à l’auto-intoxication. Le sujet devient subjectif, psychologique, irrationnel.

Mais les Argentins de la classe moyenne qui se prêtent à ce jeu dangereux, n’ont pas encore compris que ce ne sera pas eux les gagnants – qu’ils sont des marionnettes -, car les grands spéculateurs de ce marché illégal – qui tirent les ficelles et pèsent lourds -, eux jouent tant à la hausse qu’à la baisse, et sortiront les gagnants de cette spirale car ils jouent « contre » le pays, et donc son peuple, sur les marchés financiers !

En attendant le gouvernement argentin a une marge de manœuvre étroite sur ce sujet, (desserrer l’étau sur les restrictions des devises, traquer et éradiquer le marché parallèle du dollar…) qui passe certainement par une meilleure communication.

Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo

El Correo. Paris, le 6 février 2013.

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