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L’aveu d’un fiasco en Afghanistan par le New York Times provoque une vive réaction de l’«impérialisme des droits de l’homme»
Par Bill Van Auken
Mondialisation.ca, 11 février 2019
wsws.org 9 février 2019
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Un éditorial publié par le New York Times le 4 février sous le titre «Mettez fin à la guerre en Afghanistan» a provoqué une virulente réaction de la part d’importants partisans de la «guerre contre le terrorisme» et de la fraude de l’«intervention humanitaire» américaine qui dure depuis des décennies.

L’éditorial du Times est une autocondamnation accablante de la part du journal officiel de l’establishment politique américain, qui a soutenu chaque acte d’agression militaire américain, de l’invasion de l’Afghanistan en octobre 2001 à l’invasion de l’Irak en mars 2003, jusqu’aux guerres américaines pour un changement de régime en Libye et en Syrie qui ont commencé en 2011.

L’éditorial présente la «guerre contre le terrorisme» comme un fiasco absolu, datant du 14 septembre 2001, date à laquelle «le Congrès a rédigé ce qui s’est avéré être l’un des plus importants chèques en blanc de l’histoire du pays», c’est-à-dire l’autorisation d’utiliser la force militaire contre Al-Qaïda et ses affiliés, qui est toujours invoquée pour légitimer les interventions américaines en Somalie, au Yémen et, évidemment, en Afghanistan.

Le jour de la rédaction de ce «chèque en blanc», le Times a publié une chronique intitulée «Pas de compromis» (No Middle Ground), dans laquelle il déclarait que «l’administration Bush a aujourd’hui donné aux nations du monde un choix difficile: se tenir à nos côtés contre le terrorisme, refuser aux terroristes des refuges sûrs ou affronter la perspective certaine de mort et de destruction. Les couloirs de marbre de Washington résonnaient de rumeurs de guerre.»

L’article continue: «Le pays se mobilise autour de son dirigeant qui n’a pas été mis à l’épreuve, comme l’attestent sa cote de popularité croissante et la prolifération des drapeaux à travers le pays…»

Cette propagande de guerre a été soutenue par le Times, qui a vendu l’invasion de l’Afghanistan en représailles aux attentats du 11 septembre, puis a encouragé la guerre illégale et non provoquée contre l’Irak en légitimant et en embellissant les mensonges sur les «armes de destruction massive».

Avec le premier déploiement de troupes terrestres américaines en Afghanistan, le Times a publié un éditorial le 20 octobre 2001: « Maintenant, les soldats de la nation partent au combat dans un pays lointain et traître, face à un ennemi déterminé et débrouillard. Ils doivent savoir que la nation soutient leur cause et désire ardemment qu’ils réussissent.»

Maintenant, le Times le reconnaît: «Le prix à payer, qui comprend les guerres en Afghanistan et en Irak et l’augmentation des dépenses pour les soins aux anciens combattants, atteindra 5,9 billions de dollars d’ici la fin de l’année financière 2019, selon le projet Costs of War de l’Université Brown. Puisque tout cet argent ou presque a été emprunté, le coût total avec intérêts sera considérablement plus élevé… Plus de 2,7 millions d’Américains ont combattu dans la guerre depuis 2001. Près de 7000 militaires – et près de 8000 membres d’armées privées – ont été tués. Plus de 53.700 personnes sont rentrées chez elles avec des blessures physiques et un nombre incalculable d’autres souffrent de blessures psychologiques. Plus d’un million d’Américains qui ont servi sur un théâtre de la guerre contre le terrorisme reçoivent une indemnité d’invalidité du ministère des Anciens Combattants.»

Les pertes massives en vies humaines, la destruction des infrastructures sociales et les vastes souffrances humaines infligées par ces guerres aux populations civiles sont, au mieux, une pensée secondaire pour le Times. Selon des estimations conservatrices, le nombre de personnes tuées par la guerre américaine en Afghanistan s’élèverait à 175.000. Avec le nombre de morts indirectes causées par la guerre, le bilan s’élève probablement à un million. En Irak, le bilan est encore plus lourd.

Que conclut le Times de ce bilan sanglant? «L’incapacité des dirigeants américains – civils et généraux par l’intermédiaire de trois administrations, du Pentagone au Congrès en passant par le département d’État et la Maison-Blanche – à élaborer et poursuivre une stratégie pour mettre fin à la guerre doit être étudiée pour des générations. De même, tous les Américains, y compris les médias d’information, doivent être prêts à examiner la crédulité ou la passivité nationale qui est à l’origine du plus long conflit de l’histoire américaine moderne».

Quelle lâche et cynique évasion! Trois administrations, celles de Bush, Obama et Trump, ont commis des crimes de guerre sur 17 années, y compris des guerres d’agression – la principale accusation portée contre les nazis à Nuremberg – le massacre de civils et la torture. Ces crimes ne devraient pas être «étudiés pendant des générations», mais punis.

Quant à la tentative d’amalgamer les médias d’information avec «tous les Américains» comme étant coupables de «crédulité» et de «passivité», c’est une calomnie contre le peuple américain et un camouflage délibéré des crimes commis par les médias corporatifs, le Times en tête, en diffusant de purs mensonges et de la propagande guerrière. Les rédacteurs du Times devraient être «prêts à examiner» le fait que des agents du régime nazi qui exerçaient une fonction similaire en Allemagne ont été jugés et punis à Nuremberg.

L’éditorial du Times en faveur d’un retrait américain reflète les conclusions que tirent de plus en plus de sections de l’establishment au pouvoir, y compris l’administration Trump, qui a ouvert des négociations avec les talibans. Elle est liée au changement de stratégie de l’impérialisme américain et du Pentagone vers la préparation à des confrontations de «grandes puissances» avec la Russie et la Chine, des pays dotés de l’arme nucléaire.

L’appel du Times à un retrait de l’Afghanistan a provoqué une vive réprimande de la part des défenseurs de la «guerre contre le terrorisme» et de l’«intervention humanitaire», qui ont dénoncé le journal pour défaitisme. Un tel retrait, selon une lettre publiée par le Times le 8 février, «accélérerait et étendrait la guerre», «permettrait l’émergence d’un autre phénomène extrémiste-terroriste» et «entraînerait la mort et l’agression de milliers de femmes».

Parmi les signataires de la lettre se trouvent Frederick Kagan, David Sedney et Eleanor Smeal.

Kagan a beaucoup investi dans la guerre en Afghanistan. Lui et son épouse Kimberly ont servi comme conseillers civils auprès des généraux supérieurs qui ont dirigé la guerre et élaboré les stratégies de contre-insurrection qui ont échoué (COIN). Il a été un fervent partisan de chaque guerre américaine et de chaque escalade, plaidant dernièrement pour que l’armée américaine affronte les forces soutenues par la Russie et l’Iran en Syrie.

De même, Sedney, ancien sous-secrétaire adjoint à la Défense responsable de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Asie centrale, travaille actuellement au Center for Strategic and International Studies (CSIS), basé à Washington. Marié à une lobbyiste de premier plan de Chevron qui a beaucoup travaillé en Asie centrale, il a ses propres intérêts dans la poursuite des opérations militaires américaines dans la région.

Smeal est présidente de la Feminist Majority Foundation (FMD) et ancienne présidente de la National Organization for Women (NOW), qui est largement décrite comme «l’une des principales dirigeantes du mouvement féministe américain moderne».

Une figure de proue du Parti démocrate, Smeal n’est pas une dernière arrivée à la sale campagne pour promouvoir la guerre en Afghanistan comme un exercice «humanitaire» dans la promotion des droits des femmes. En 2001, Smeal et sa FMD ont fait circuler une pétition remerciant l’administration Bush pour son engagement à promouvoir les droits des femmes en Afghanistan. Après le début des bombardements le 7 octobre, elle a déclaré: «Nous avons maintenant un réel élan dans la campagne pour restaurer les droits des femmes.» Quelques jours plus tard, elle et des représentantes d’autres organisations féministes se sont présentées à la Maison-Blanche pour se solidariser avec la guerre américaine.

En insistant sur la conquête de l’Afghanistan, elle a écrit: «J’espère que notre gouvernement ne battra pas en retraite. On va aider à arracher ces burqas, j’espère. C’est un moment unique dans l’histoire. Si vous voulez mettre fin au terrorisme, vous devez mettre fin à l’idéologie de l’apartheid sexuel.»

En plus d’avoir coûté la vie à des centaines de milliers de femmes afghanes, la guerre des États-Unis a laissé les femmes, comme l’ensemble de la population, dans des conditions pires que lorsqu’elle a commencé. Les deux tiers des filles afghanes ne vont pas à l’école, 87 % des femmes afghanes sont analphabètes et 70 à 80 % risquent le mariage forcé, dont beaucoup avant l’âge de 16 ans.

Des reportages récents suggèrent que le taux de mortalité maternelle pourrait être plus élevé qu’il ne l’était avant le début de la guerre, surpassé seulement par le Sud-Soudan. Alors que l’USAID a investi quelque 280 millions de dollars dans son programme Promote, soi-disant pour améliorer la situation des femmes afghanes, elle n’a fait que remplir les poches des fonctionnaires corrompus du régime fantoche soutenu par les États-Unis à Kaboul.

La tentative de la part d’éléments comme Smeal et des dirigeants du Parti démocrate de dissimuler le bain de sang en Afghanistan comme une croisade pour «libérer» les femmes et promouvoir la «démocratie» est en soi un acte criminel.

Le 9 octobre, deux jours après le lancement par Washington de sa guerre contre l’Afghanistan, qui dure maintenant depuis 17 ans, et au milieu de la propagande chauvine et militariste du gouvernement américain et des médias d’entreprise, le comité de rédaction du World Socialist Web Site publiait une chronique intitulée «Pourquoi nous nous opposons à la guerre en Afghanistan». L’article rejetait l’affirmation selon laquelle il s’agissait d’une «guerre pour la justice et la sécurité du peuple américain contre le terrorisme» et insistait sur le fait que «l’action actuelle des États-Unis est une guerre impérialiste» dans laquelle Washington visait à «établir un nouveau cadre politique dans lequel il exercera un contrôle hégémonique» non seulement sur l’Afghanistan, mais sur la région élargie de l’Asie centrale, «foyer de la deuxième plus grande réserve prouvée de pétrole et de gaz naturel dans le monde».

Le WSWS a déclaré à l’époque: «Malgré une campagne médiatique acharnée pour attiser le chauvinisme et le militarisme, le peuple américain n’est pas d’humeur à soutenir avec acharnement la guerre. Tout au plus, c’est une acceptation passive du fait que la guerre est le seul moyen de lutter contre le terrorisme, un état d’esprit qui doit beaucoup aux efforts d’un média totalement malhonnête qui sert de division de l’État. Derrière l’approbation réticente de l’action militaire se cache un profond sentiment de malaise et de scepticisme. Des dizaines de millions de personnes ont le sentiment que rien de bon ne peut sortir de cette dernière éruption du militarisme américain.»

«Les États-Unis se trouvent à un tournant. Le gouvernement admet qu’il s’est engagé dans une guerre d’une ampleur et d’une durée indéfinies. Ce qui se passe, c’est la militarisation de la société américaine dans un contexte d’aggravation de la crise sociale.»

«La guerre affectera profondément les conditions de la classe ouvrière américaine et internationale. L’impérialisme menace l’humanité en ce début du XXIe siècle en répétant à une échelle plus horrible les tragédies du XXe siècle. Plus que jamais, l’impérialisme et ses déprédations soulèvent la nécessité de l’unité internationale de la classe ouvrière et de la lutte pour le socialisme.»

Ces mises en garde et cette perspective ont été entièrement confirmées par les événements criminels et tragiques des 17 dernières années, alors même que des journaux comme le New York Times se voient contraints d’admettre la faillite de leur bilan sur l’Afghanistan, et que leurs anciens alliés «libéraux» luttent pour sauver une partie de la bannière souillée de «l’impérialisme des droits de l’homme».

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 9 février 2019

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