Le blanchiment des nazis

En découvrant My honor was loyalty sur Netflix, Christopher Black est tombé à la renverse. Ce film d’ Alessandro Pepe suit les traces d’une unité SS durant la Deuxième Guerre mondiale et présente ses soldats comme des âmes perdues finalement trahies par leurs chefs. Christopher Black rappelle quelques crimes commis par les SS, mais ne s’étonne pas finalement qu’un tel film se retrouve sur l’une des principales plateformes de streaming, l’OTAN n’ayant rien à envier à la barbarie de l’époque. (Investig’Action)


J’allais écrire sur l’Irak et le contrôle américain de cette nation tragique qui a été, comme beaucoup d’autres, détruite par la machine de guerre américaine, mais il est difficile de trouver des faits réels sur quoi que ce soit en Irak. Toutes les informations et les articles sont contrôlés, les événements sont inexpliqués, les politiques peu claires, l’influence américaine cachée dans l’ombre épaisse de leurs crimes. Donc j’ai décidé d’écrire sur le blanchiment des Nazis.

En réfléchissant à quoi écrire, j’ai regardé un film sur Netflix, un film qui décrit exactement ce que sont les pays de l’OTAN, les racines de leurs politiques étrangères actuelles et comment ils traitent leurs peuples. C’est un film qui excuse vraiment la barbarie des États-Unis et la machine de guerre de l’OTAN, ainsi que leur objectif de revenir à la Seconde Guerre mondiale. Elle n’a jamais pris fin pour eux et leurs amis nazis, mais elle a été transformée en Guerre froide, et la nouvelle Opération Barbarossa qu’ils préparent contre la Russie, comme le retrait étasunien du traité sur le contrôle des missiles à portée nucléaire intermédiaire prouve que c’est leur intention.

Le film est intitulé My Honour Was My Glory [Mon honneur était ma gloire]. On dirait le titre d’un film de guerre, mais il a une signification particulière parce que cette phrase était la devise de la 1èredivision blindée Liebstandarte SS-Adolf Hitler, l’unité d’élite de la Waffen SS, la formation militaire du parti nazi allemand et des fascistes de toute l’Europe. Cette unité était la garde personnelle de Hitler.

Alors ce film décrit-il les nombreux crimes de guerre commis par cette unité pendant la Seconde Guerre mondiale ? Montre-t-il ce qu’elle a fait en Russie, en Italie, en France ? Non. C’est plutôt un portrait conçu pour susciter notre sympathie, pour que nous voyions ces criminels comme des héros combattant pour « la terre et le foyer », des âmes perdues finalement trahies par leurs chefs, dont les crimes ne sont pas pires que ceux des autres armées. Des scènes de combat animées sont reliées entre elles par des réflexions tristes des hommes SS sur leurs vies, leurs espoirs, leurs craintes. Hitler aurait adoré chaque seconde de ce film

Mais quelle est la vérité sur cette unité que le réalisateur italien, Alessandro Pepe, qui vit maintenant aux États-Unis, a transformée en un groupe de héros attachants ? Qu’a-t-il effacé de l’histoire ?

La vérité commence avec la formation de l’unité comme garde personnelle de Hitler dans les années 1920. En 1933, à l’occasion du dixième anniversaire du Putsch de la Brasserie, au cours duquel Hitler tenta de prendre le pouvoir dans un coup d’État raté, les hommes de l’unité firent un serment de loyauté personnelle à Adolf Hitler et furent transformés en une formation militaire. En jurant allégeance à Hitler, l’unité reçut le nom de Liebstandarte Adolf Hitler, ou garde personnelle de Hitler. Un an plus tard, le chef des SS, Heinrich Himmler, ajouta les initiales SS au nom de l’unité pour indiquer clairement qu’elle ne faisait pas partie de l’armée régulière ni de la SA, qui existait encore. Sous le commandement de Sepp Dietrich, elle se vantait d’être une unité nazie puis, dans sa première intervention, elle déclara qu’à partir de là, elle allait être une bande organisée de voyous et d’assassins.

Le 30 juin 1934, Hitler ordonna à l’unité d’arrêter les membres de l’organisation SA, dirigée par Ernst Röhm, qui briguait contre lui le pouvoir dans l’organisation nazie. Les arrestations eurent lieu à Munich et cette nuit-là, les hommes de l’unité assassinèrent plusieurs chefs de la SA, y compris cinq généraux et un colonel. D’autres furent abattus à Berlin. Le 1er juillet 1934, lors de ce qu’on appelle la Nuit des longs couteaux, Hitler ordonna à l’unité d’agir comme un escadron de la mort et ses hommes assassinèrent plus de cent autres personnes reliées à la SA.

Ayant prouvé qu’elle était prête à commettre un crime en son nom, l’unité a ensuite grandi en taille, elle est devenue la garde d’honneur de nombreux rassemblements hitlériens et a participé à la prise d’un certain nombre de terres que Hitler désirait, dont la Sarre et les Sudètes. Lors de l’invasion de la Pologne en 1939, l’unité est devenue célèbre pour avoir incendié des villages entiers afin de terroriser la population, pour avoir assassiné 50 juifs dans la ville de Blonie, pour avoir mitraillé plus de 200 hommes, femmes et enfants à Zloczew, et pour avoir commis des atrocités dans un grand nombre d’autres villes.

Pendant les opérations en France en mai 1940, dans les combats autour de Dunkerque, l’unité a assassiné 80 prisonniers du Royal Warwickshire Regiment et quelques soldats français dans une grange à Wormhoudt.

En avril 1941, c’est l’unité allemande qui a pris la tête de l’invasion et de l’occupation de la Grèce, puis elle a été transférée pour rejoindre d’autres unités en vue de l’invasion de l’URSS dans l’Opération Barbarossa. Selon les rapports de son journaliste, l’unité a assassiné 4000 prisonniers soviétiques le 18 août 1941. Au cours des combats autour de Kharkov et dans la ville elle-même en mars 1943, elle est devenue célèbre pour avoir assassiné des soldats soviétiques blessés découverts dans un hôpital militaire. Plusieurs centaines de blessés soviétiques ont été tués dans cet hôpital et d’autres prisonniers ont été régulièrement exécutés au cours de ces opérations.

Le 17 février 1943, ses hommes ont incendié les deux villages de Yefremovka et de Semyonovka, tuant 872 hommes, femmes et enfants, dont 240 ont été brûlés vifs dans une église à Yefremovka. On a donné le nom de « bataillon du chalumeau » au bataillon qui a commis cette atrocité. Pendant la même période, cette unité et ses unités de réserve en Allemagne raflaient les juifs et s’emparaient de leurs biens.

Transférée en Italie en septembre 1943, l’unité a assassiné 49 réfugiés juifs près du lac Majeur et a tué 34 civils dans le village de Bove. Certaines victimes du lac ont été jetées dans l’eau les mains et les pieds liés. Puis, transférée en France en 1944, l’unité à assassiné des civils français dans les villages de Tavaux et de Plomion. Pendant les combats dans les Ardennes près de Malmedy, l’unité a exécuté 84 prisonniers américains. Ses hommes ont aussi capturé onze soldats américains noirs du 33ebataillon d’artillerie dans un autre engagement. Quand on a trouvé leurs corps, leurs doigts avaient été coupés et leurs jambes brisées.

C’est avec cette unité qu’Alessandro Pepe veut que nous créions des liens. Le film fait référence aux juifs massacrés dans les camps de la mort, mais les histoires sont rejetées par les hommes comme incroyables ; ce qui est une distorsion puisque nous savons que ces hommes ont massacré des juifs en Russie et en Allemagne. Tirer sur des prisonniers est excusé parce que les Américains étaient pires et que les Soviétiques le méritaient. Le meurtre de civils n’est jamais mentionné. Au lieu de cela, nous regardons ces jeunes hommes marcher à travers de magnifiques champs en Ukraine et commenter les cicatrices que la guerre laisse sur la beauté de la nature, ou soupirer en Italie sur la beauté du paysage toscan et, dans la campagne française, s’exprimer comme des poètes. Mais en Russie, que voyons-nous ? Les soldats de l’Armée rouge sont des « ordures bolcheviques » et les prisonniers sont sauvagement battus à mort à coups de crosses.

C’est un film qui fait de meurtriers des héros, de Nazis des poètes, un film destiné à déformer l’histoire et à la recréer pour que les Nazis soient aimables et même désirables. Pourtant, en Allemagne et en Autriche, il est illégal d’utiliser la devise de cette unité et de s’en servir pour promouvoir le nazisme. Mais c’est ce que fait Pepe, ce que fait Netflix.

Mais comment est-ce possible qu’un tel film soit financé et produit aujourd’hui, puis diffusé sur un grand réseau ? Parce que les gouvernements des pays de l’OTAN sont composés de gens qui partagent les convictions des Nazis ; anticommunistes, anti-ouvriers, antisémites, même s’ils prétendent le contraire tant qu’Israël obéit à leurs ordres, partageant la même soif de domination du monde que Hitler, prêts à pratiquer la même barbarie pour terroriser et dominer le monde.

Nous avons vu la sauvagerie des Nazis, et la même propagande dans les attaques de l’OTAN sur la Yougoslavie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, l’Iran, le Venezuela, la Russie et la Chine ; la même sauvagerie, le même mépris de la loi et des comportements civilisés. Et dans les mêmes buts : gagner de l’argent en volant et en assassinant.

Les pays de l’OTAN ont installé et soutiennent en Ukraine un régime gravement infecté par les Nazis. Le Canada a un ministre des Affaires étrangères qui nie que son grand-père ait été un collaborateur des Nazis ayant aidé les SS à rassembler les juifs en Ukraine. On découvre régulièrement des sympathisants nazis dans les unités des armées de l’OTAN. Les partis d’extrême-droite, les partis fascistes gagnent en influence dans toute l’Europe. En Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis, les partis de droite contrôlent ces pays depuis longtemps. Et bien qu’ils expriment hypocritement leur consternation, ces mêmes gouvernements encouragent la montée de l’extrême-droite en supprimant les partis de gauche, en poussant les gens vers des partis sociaux-démocrates essentiellement de droite, en publiant de fausses histoires sur le socialisme dans ces pays et en s’assurant que l’extrême-droite obtienne beaucoup de la couverture médiatique refusée aux partis de gauche. Ils interdisent et calomnient les partis communistes et leurs dirigeants et, tout en encourageant la haine contre les étrangers, disant aux gens que leurs ennemis sont les juifs, les musulmans, les Russes, les Chinois et pour leur faire peur, ils leur disent qu’une surveillance et une sécurité encore plus strictes sont nécessaires pour les protéger contre l’« ennemi ». Et si ça ne suffit pas à les convaincre, il y a toujours une bombe ou deux ou une fusillade de masse pour faire la différence, avec le permanent « Vous êtes observés » répété encore et encore, pour essayer de les maintenir dans le rang.

Surveillé n’est pas le mot juste ; c’est plutôt quelque chose comme de la jubilation, tandis que les dirigeants d’extrême-droite se faisant passer pour des libéraux nous regardent sombrer dans le désespoir provoqué par nos conditions de vie, sachant que les gens cherchent une réponse, leur disant de ne pas regarder à gauche, mais de regarder du côté de l’extrême-droite pour la trouver. Nous voyons de nouveau les chemises noires en action à Hong Kong, soutenues par les chemises noires de la droite en Occident qui détiennent le pouvoir sur nous.

Les Premiers ministres britannique et canadien ont déclaré, lors de l’anniversaire de l’invasion de la Pologne par les Nazis en 1939 que l’Union soviétique était l’agresseur de la Pologne alors que les armées allemandes l’envahissaient, que la Pologne était prise entre « deux tyrannies ». Le grand mensonge perdure depuis que les Britanniques, les Français et les Américains ont refusé les demandes soviétiques de former une alliance contre Hitler, puisqu’ils encourageaient Hitler à attaquer l’Union soviétique. L’URSS a été forcée de se protéger contre les fascistes, de protéger la révolution qui a fait sortir les travailleurs et les paysans de Russie de la pauvreté pour qu’ils mènent une nouvelle vie, une lutte décrite si bien et de manière si vivante dans le récit que fait Ilya Ehrenbourg de la résistance du peuple soviétique à l’invasion nazie dans son roman La Tempête. Pourtant, dans toute l’Europe de l’Est, les monuments aux hommes et aux femmes de l’Armée rouge qui sont morts en combattant les armées nazies sont profanés ou démolis tandis que des statues aux voyous nazis sont érigées. Et jamais on ne dit aux gens que les Nazis étaient des capitalistes qui ont fait un carnage, qu’ils étaient et sont le visage du capitalisme sans voile. Non, il n’y a pas de monument aux crimes des capitalistes. C’est ainsi que nous avons maintenant des films louant les SS, qu’ils sont montrés à des millions de gens, et que pas un mot n’a été dit à ce sujet jusqu’à maintenant.

Nous pensions que l’Armée rouge avait vaincu le fascisme en 1945. Il semble que nous devrons le combattre à nouveau.

Christopher Black

 

 

Article original en anglais :

The Whitewashing of the Nazis

New Eastern Outlook, le 8 septembre 2019

Traduit par Diane Gilliard pour Investig’Action

 

Christopher Black est un avocat spécialisé dans le droit pénal international, qui habite Toronto. Il est connu pour un grand nombre de cas de crimes de guerre fortement médiatisés et pour son récent roman Beneath the Clouds. Il écrit des articles sur le droit international, la politique et les événements mondiaux, notamment pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook.”

 



Articles Par : Christopher Black

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