Le bombardement de l’hôpital Al-Ahli à Gaza sonnera-t-il le glas de l’occupation israélienne de la Palestine comme la marche du sel de Gandhi a sonné le glas de l’occupation britannique de l’Inde?
La guerre en Ukraine menée par l’OTAN contre la Russie dans le but d’assurer la domination mondiale des Etats-Unis a fait paradoxalement tomber l’Omerta sur le passé colonial des principaux pays occidentaux. Les fiascos de l’OTAN/US/UE en Irak, en Libye, en Syrie, au Yémen, en Afghanistan, et maintenant en Ukraine, ont enhardi les anciennes colonies et les pays dont la richesse n’est pas bâtie sur le pillage, l’esclavage et le génocide. Désormais lorsque l’Occident se permet de donner des leçons de morale et de droits de l’homme au reste du monde, il se fait sèchement renvoyer à ses exactions coloniales.
Mais l’Occident aveugle et sourd continue à soutenir le régime colonial qu’il a lui-même installé en Palestine pour se dédouaner de l’holocauste des Juifs, perpétré par un des nôtres, et établir une tête de pont au Moyen-Orient pour y maintenir notre loi. En Palestine, comme dans tous les pays que l’Occident a occupés, asservis et/ou ethniquement nettoyés depuis la « découverte » des peuples et territoires amérindiens par les Conquistadors, le racisme intrinsèque à la mentalité coloniale s’étale au grand jour. Les Israéliens peuvent décrire les Palestiniens comme des « animaux humains » sans que cela choque les rédactions bien pensantes occidentales à genoux devant le régime sioniste.
« Le Palestinien un cafard »
Il semble que les Occidentaux n’aient toujours pas tranché la question débattue lors de la controverse de Valladolid organisée par «Charles Quint et les papes Paul III puis Jules III et qui s’étalera sur presque une année, d’août 1550 à mai 1551, en présence d’une quinzaine de théologiens, à savoir qui sont les Indiens : des êtres inférieurs ou des hommes comme nous, les Européens ? »
« C’est une interrogation d’importance, souligne les Echos au moment où les rumeurs de malversations et de massacres de ces indigènes par les conquistadors risquent de mettre à mal la réputation de Charles Quint [illustration ci-dessous] et, pis encore, du Saint-Siège ».
Les massacres n’ont pas cessé, mais le Saint siège est toujours là, branlant, certes, mais toujours prêt à bénir les puissants et leurs exactions…
Le colonialisme occidental
Le site Les Crises a posté le 17 octobre 2023 un article très instructif intitulé « Comment le colonialisme britannique a tué 100 millions d’Indiens en 40 ans » avec en sous-titre :
« Entre 1880 et 1920, les politiques coloniales britanniques en Inde ont fait plus de victimes que toutes les famines de l’Union soviétique, de la Chine maoïste et de la Corée du Nord réunies ».
« Comment la domination britannique a-t-elle pu provoquer ces pertes humaines considérables ?
La Grande-Bretagne a détruit le secteur manufacturier de l’Inde (…) et mis en place un système de pillage légal, connu des contemporains sous le nom de « drainage des richesses » (...) Les administrateurs coloniaux étaient pleinement conscients des conséquences de leurs politiques. Ils ont vu des millions de personnes mourir de faim et n’ont pourtant pas changé de cap. Ils ont continué à priver sciemment les populations des ressources nécessaires à leur survie.
« L’historien Mike Davis affirme que les politiques impériales de la Grande-Bretagne « étaient souvent les équivalents moraux exacts de bombes larguées à 18 000 pieds d’altitude. »
Famine au Bengale durant la période coloniale
Source : ehne.fr
Les Britanniques n’étaient pas les seuls, parmi les Occidentaux qui se sont précipités pour aider Benyamin Netanyahou dans son entreprise de nettoyage ethnique de la Palestine, à être couverts du sang des populations qu’ils ont exterminées après les avoir dépouillées.
Comme dit Salman Abu Sitta dans un article intitulé « Les barbares sont de retour » paru sur Chroniques de Palestine :
« Macron est venu de France, avec son épouvantable bilan d’un million d’Algériens tués par asphyxie au gaz toxique dans des grottes ou largués d’un hélicoptère dans la mer.
Les Belges sont venus les mains couvertes du sang d’un million d’Africains.
Les Hollandais sont venus, les mains dégoulinantes de celui des Africains d’Afrique du Sud qu’ils faisaient vivre dans un système d’apartheid qui a inspiré celui que les Israéliens imposent désormais aux Palestiniens dans une version plus large et plus perfectionnée.
Ensuite, nous avons le nouveau venu du XXe siècle, les États-Unis, avec son bilan d’un million d’Irakiens massacrés et sa fuite honteuse du Viêt Nam et de Kaboul, accroché à la queue des hélicoptères. Le petit dernier de l’armée des croisés envoie son porte-avions vers nos côtes ainsi que des armes et des bombes au phosphore, tout cela pour soumettre 1500 jeunes réfugiés dans un camp de Gaza qui ont osé, la semaine dernière, abattre la clôture de leur camp de prisonniers, attaquer les squatters qui leur ont pris leur terre, dans le simple but de faire quelque chose de tout à fait normal : rentrer chez eux ».
Ce sont les mêmes (France, Japon, Royaume-Uni et États-Unis) qui, le 16 octobre dernier, ont osé voter contre un projet de texte russe qui « appelait à un cessez-le-feu humanitaire, à la libération de tous les otages, à l’accès à l’aide et à l’évacuation en toute sécurité des civils ».
Hélas pour les dirigeants occidentaux colonialistes, racistes, suprématistes, cela n’a fait qu’accroître « vertigineusement l’effondrement du sentiment jusqu’à la haine irrémédiable patinée d’un mépris sans fond de la part des foules du ‘Sud Global’, – et ils le savent, et ils s’en rendent compte » comme le formule Philippe Grasset, citant un diplomate de haut rang du G7 :
« La réaction à l’attaque du 7 octobre contre Israël par le groupe militant islamiste Hamas et à la promesse d’Israël de riposter contre Gaza a réduit à néant des mois de travail pour dépeindre Moscou comme un paria mondial pour avoir violé le droit international, ont-ils déclaré, cela expose les États-Unis, l’Union européenne et leurs alliés à des accusations d’hypocrisie (…)
« “Nous avons définitivement perdu la bataille du Sud Global”, “Tout le travail que nous avons accompli avec le Sud [à propos de l’Ukraine] a été perdu… Oubliez le gouvernement par les règles, oubliez l’ordre mondial. Ils ne nous écouteront plus jamais”.
« “Ce que nous avons dit à propos de l’Ukraine doit s’appliquer à Gaza. Sinon, nous perdons toute notre crédibilité”, a ajouté le fonctionnaire.
Ils le savent, ils s’en rendent compte, mais ils ne peuvent pas s’en empêcher… C’est ainsi qu’ils sont faits ! Ils sont sûrs d’avoir toujours raison. Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, disent-ils, et il leur en cuira…
Le bombardement de l’hôpital Maamadani
Ce qui a joué un rôle considérable dans cette décisive défaite stratégique, comme Philippe Grasset a intitulé son article, c’est le bombardement, le 17 octobre, de « la cour de l’hôpital baptiste arabe al-Ahli où des milliers de personnes avaient trouvé refuge, probablement avec un missile Hellfire de fabrication américaine » selon Moon of Alabama. « Une courte vidéo de l’après-coup immédiat montre plusieurs dizaines, voire centaines de morts et de blessés. Des médecins ont ensuite tenu une conférence de presse au milieu des blessés ».
Capture d’écran : l’Hôpital après le bombardement
Dans un article paru le 18 octobre sur Mondialisation.ca, Mouna Alno-Nakhal précise que :
« l’hôpital Maamadani, situé au sud du centre-ville de Gaza, et actuellement dirigé par le diocèse anglican de Jérusalem après avoir été créé et administré par la Mission Médicale de la Convention baptiste du Sud jusqu’en 1982, d’où son appellation signifiant «le baptiste» en arabe. Appellation que nombre de médias occidentaux réduisent à «Hôpital Ahli Arab», sans doute pour éviter de contredire la propagande qui veut que les atrocités commises par le gouvernement israélien, soutenu par les puissances occidentales, ne frappent que des terroristes islamistes et non des institutions chrétiennes et des Palestiniens chrétiens et musulmans ».
Elle relaie un article de Nasser Kandil, l’ancien député libanais et rédacteur en chef du quotidien Al-Binaa, intitulé « Ce massacre est un tournant dans la guerre » :
« Le massacre a été précédé d’un avertissement adressé à l’administration de l’hôpital pour évacuation, mais elle a refusé d’en tenir compte à partir du moment où son directeur a consulté l’administration de la Croix-Rouge internationale, laquelle a répondu que l’hôpital était protégé par le droit international et qu’il ne devait pas avoir peur.
« Il faut savoir que ce massacre est survenu alors que cet hôpital accueillait des milliers de personnes déplacées qui ont trouvé refuge dans ses cours et ses jardins et, par conséquent, qu’il abritait la collectivité civile la plus importante du nord et du centre de Gaza.
« Il est clair que les dirigeants américains, ainsi que les dirigeants de l’armée d’occupation, savent qu’ils ne peuvent pas mener à bien une invasion terrestre de la bande de Gaza et qu’un plan alternatif a été élaboré, lequel consiste à déplacer la population vers la frontière avec l’Égypte en vue de son transfert vers le Sinaï après la fin de la guerre ».
Le bombardement de l’hôpital est « Un crime de guerre en 3 actes » selon Indrajit Samarajiva :
- La propagande : « Ici, le 16 octobre, la BBC écrit : «Le Hamas construit-il des tunnels sous les hôpitaux et les écoles ?» La méthode occidentale classique pour répandre des mensonges, en «posant simplement des questions».
- La violence : Le lendemain, Israël a, comme on pouvait s’y attendre, bombardé l’hôpital arabe Al-Ahli à Gaza, en se servant d’équipements américains et de la propagande britannique comme couverture.
- Blâmer la victime : L’idée de génie – répétée après avoir dit que la Russie avait fait exploser son propre oléoduc – a été de dire que les Palestiniens s’étaient bombardés eux-mêmes. Israël veut que les gens croient que le Hamas/Djihad islamique/(ou n’importe quel autre nom musulman effrayant, au choix) se cache dans les hôpitaux et s’y bombarde également. »
Eh bien, ne se pourrait-il pas que ce crime de guerre, ajouté aux 3 800 morts et 12 000 blessés civils (dont 1500 enfants) recensés au 13e jour de bombardements selon La Croix, soit le crime de guerre de trop, tout comme la répression britannique qui a suivi la marche du sel de Gandhi a été la répression de trop ?
La marche du sel (12 mars – 6 avril 1930)
Le Mahatma avait beau « multiplier les manifestations non-violentes et les grèves de la faim en vue d’obtenir pour l’empire des Indes un statut d’autonomie analogue à celui dont bénéficient les colonies à population européenne telles que le Canada ou l’Australie », rien n’y faisait.
Alors « certains membres de son parti, le parti du Congrès, s’impatientent et menacent de déclencher une guerre en faveur de l’indépendance.
« Gandhi, pour ne pas être débordé par les extrémistes de son parti, avertit le vice-roi des Indes que sa prochaine campagne de désobéissance civile aura pour objectif l’indépendance. C’est ainsi qu’il quitte son ashram (monastère) des environs d’Ahmedabad, au nord-ouest du pays, accompagné de quelques dizaines de disciples et d’une meute de journalistes.
« À sa sortie de l’ashram et tout le long du parcours, des foules de pèlerins lui font une double haie d’honneur et tapissent le sol de pétales de fleurs. Un certain nombre se joignent au cortège.
« Le monde entier a les yeux fixés sur Gandhi.
Aux premières loges, le colonialiste raciste suprématiste Winston Churchill, alors dans l’opposition parlementaire, ironise avec mépris sur le « fakir séditieux qui grimpe à moitié nu les marches du palais du vice-roi ».
« Après un parcours à pied de 300 kilomètres, le cortège arrive le 6 avril à Jalalpur, au bord de l’océan Indien.
« Gandhi s’avance dans l’eau et recueille dans ses mains un peu de… sel. Par ce geste dérisoire et hautement symbolique, il encourage ses compatriotes à violer le monopole d’État sur la distribution du sel.
« Ce monopole oblige tous les consommateurs indiens, y compris les plus pauvres, à payer un impôt sur le sel et leur interdit d’en récolter eux-mêmes. Il est analogue à l’impôt de la gabelle sous l’Ancien Régime, en France.
Alternatives non violentes donne quelques précisions intéressantes :
« Gandhi a choisi 79 personnes expérimentées pour un itinéraire de 350 km en 25 jours, de la ville d’Ahmedabad à Dandi au bord de l’Océan Indien. Il est prévu que cette action déclenche par la suite un mouvement de masse et, à cet effet, il a élaboré des consignes très précises découlant du principe de non-violence et très rigoureuses particulièrement concernant la discipline.
« Une équipe de 18 étudiants précède les marcheurs pour préparer dans les villages les endroits pour cuisiner (ce que feront les marcheurs eux-mêmes), dormir, prier et creuser des latrines. Pendant les haltes, les marcheurs poursuivent les objectifs concernant la société : information au sujet de l’hygiène, conscientisation pour améliorer le statut de la femme et pour abolir l’intouchabilité, la prohibition de l’alcool et de l’opium, l’union entre Musulmans et Hindous, promotion de l’autonomie économique (filage et tissage) et propager le message politique de Gandhi :
« C’est un devoir pour ceux qui ont conscience du mal terrifiant fait par le système de gouvernement de l’Inde d’être déloyaux et de prêcher ouvertement la déloyauté. Vraiment, la loyauté envers un Etat aussi corrompu est un péché et la déloyauté est une vertu.
« Le gouvernement britannique le fait arrêter après le geste spectaculaire où il brandit une poignée de sel devant des journalistes du monde entier, imité dans les semaines qui suivent par des millions d’Indiens à travers tout le pays :
« Aujourd’hui, tout l’honneur de l’Inde est symbolisé par une poignée de sel dans la main des résistants non-violents. Le poing qui tient ce sel pourra être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement.
« Le sel dans la main, c’est le geste qui fait relever la tête aux soumis et rend la dignité à ceux qui essaient d’avoir la maîtrise de leur vie, même si les matraques de la répression s’abattent sur eux. Plus rien ne pourra plus empêcher l’indépendance, mais le chemin sera encore long de 17 ans. »
Lors des premières négociations avec le gouvernement britannique après une année entière de violente répression, Gandhi fait de larges concessions qui lui valent des critiques auxquelles il répond :
« Pendant douze mois, nous avons développé une mentalité de guerre (…) nous n’avons pensé qu’à la guerre et nous avons cru qu’aucun compromis n’était possible. Mais ce n’était pas une position convenable pour un vrai non-violent. Celui-ci, tandis qu’il est toujours prêt à lutter, doit également désirer ardemment la paix. »
Les concessions, la paix, nos maîtres occidentaux ne savent plus ce que c’est. Ils ne connaissent que le profit, le pouvoir, la guerre, la trahison et le mensonge. Il faudra compter pour cela sur la véritable communauté internationale réunie, selon Mikhail Gamandiy-Egorov, « au Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale organisé par la Chine, auquel ont pris part les chefs d’État et représentants de 130 pays et dont Vladimir Poutine était l’invité d’honneur ».
Mais j’ai bon espoir, ça ne va pas tarder, car l’Occident, tel qu’il est, tel qu’il se croit, tel qu’il se veut, est fini. Place au monde multipolaire ! Les dirigeants occidentaux vont devoir s’adapter à la nouvelle réalité ou disparaître dans les poubelles de l’histoire.
Et en attendant qui c’est qui va fournir 27 tonnes d’aide humanitaire aux Gazaouis ? La Russie, bien sûr!
Dominique Muselet
A Montreuil, le 20 octobre 2023