Le bouclier offensif

Le bouclier anti-missiles, que les Etats-Unis veulent installer en Europe, est-il un système défensif ou offensif ? Pour le comprendre, il suffit de penser à deux guerriers antiques qui s’affrontent, l’un armé d’une épée, l’autre d’une épée et d‘un bouclier. Le second est avantagé parce qu’il peut attaquer et toucher, en parant de son bouclier les coups de son adversaire. Si un jour les Etats-Unis arrivaient à réaliser un « bouclier » anti-missiles fiable, ils disposeraient d’un système non pas de défense mais d’offensive : ils seraient en mesure de lancer une first strike contre un pays doté lui aussi d’armes nucléaires, en se fiant à la capacité du « bouclier » de neutraliser les effets d’éventuelles représailles. C’est justement pour cela que les Usa et l’URSS avaient signé en 1972 le Traité Abm qui interdisait ces systèmes, mais l’administration Bush  l’a enterré en 2002.

A Washington, on continue à répéter  que le « bouclier » en Europe n’est pas dirigé vers la Russie, mais qu’il servira à faire face à la menace des missiles balistiques iraniens. A Moscou on considère au contraire que c’est une tentative de prendre un avantage stratégique décisif sur la Russie. Et de fait il est clair que, dans les plans du Pentagone, ce qui est prévu en Pologne et en République tchèque n’est que le début d’une série d’installations de missiles et radars qu’on veut déployer dans toute l’Europe. En outre, comme ils seraient contrôlés par les USA, personne ne pourrait savoir si les missiles installés sur le flanc du territoire russe seraient intercepteurs ou des missiles pour l’attaque nucléaire. Et, avec le réseau radar du « bouclier », le Pentagone pourrait surveiller le territoire russe plus efficacement que ce qu’il n’est en mesure de le faire aujourd’hui. Comme le confirme le fait  que Washington a refusé la proposition russe de co-gérer, avec la Russie, le radar de Qabala en Azerbaïdjan, au lieu d’installer le radar en République tchèque. De plus, le directeur de l’Agence Usa de défense balistique a parlé d’ « un radar à déploiement avancé que nous voudrions installer quelque part dans la région du Caucase ». C’est le Forward-Based X-Band Radar-Transportable (FBX-T) : un système très mobile, qui peut être transporté par avion ou par bateau et rapidement monté sur son lieu de destination.

  

Moscou a déjà annoncé que pour faire face à ce plan, elle adoptera « des méthodes adéquates et asymétriques » : elle a à cet effet effectué des tests de missiles conçus en fonction  « anti-bouclier ». Le premier est le missile balistique  intercontinental (ICBM) Rs-24 : il peut être armé de dix têtes nucléaires indépendantes qui, une fois lancées, rentrent dans l’atmosphère en se dirigeant chacune vers leur propre objectif. Elles sont probablement aussi en mesure de manœuvrer dans la phase de retour, de façon à éviter les missiles intercepteurs. Le traité Start II, conclu entre Usa et URSS en 1993, interdisait les ICBM à têtes multiples indépendantes mais, après que Washington se soit retiré du traité en 2002, Moscou a déclaré ne plus se sentir liée par les obligations établies par le Traité. Le deuxième est un missile à courte portée du système Iskander, que la Russie pourrait  installer dans l’enclave de Kaliningrad, à guère plus de 200 Kms des missiles USA en Pologne. Le plan a été suspendu, en attente d’une décision de l’administration Obama. Mais si celle-ci devait poursuivre dans l’installation  du « bouclier », le plan russe aussi pourrait reprendre. Faisant ainsi sauter le traité Inf de 1987, qui a permis d’éliminer les missiles à moyenne portée en Europe.

Article reçu de l’auteur et traduit par Marie-Ange Patrizio.

Publié par il manifesto, édition de vendredi 6 mars 2009

http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20090306/pagina/03/pezzo/243922/

Voir aussi l’interview de Jan Tamas par Tommaso di Francesco :

http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20090306/pagina/02/pezzo/243919/



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]