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Le Boycott fait dérailler le tramway de Jérusalem
Par Jonathan Cook
Mondialisation.ca, 21 septembre 2009
Counterpunch 21 septembre 2009
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Une ligne de tramway en cours de construction à Jérusalem avait été initialement annoncée par les responsables israéliens comme un moyen de consolider l’«unification» de la ville quatre décennies après que la moitié palestinienne de la ville ait été illégalement annexée par Israël.

Mais la seule unité générée entre les résidents juifs et palestiniens, après quatre ans de perturbations du trafic et du commerce, c’est que la réalisation du projet était un luxe tout à fait superflu.


Carte : Cette première ligne de tramway est conçue pour desservir la colonie de Pisgat Zeev, au Nord, en passant par celles de Ramat Eshkol et Givat Shapira (French Hill). Elle devait être prolongée jusqu’à la colonie de Neve Yaakov

Après des problèmes d’ingénierie, des disputes entre les entrepreneurs et la municipalité et des retards causés par des découvertes archéologiques le long du parcours, l’achèvement de la première partie des voies longue de 14 kilomètres n’est pas attendu avant la fin de l’année prochaine au plus tôt soit plus de 18 mois de retard. Le dépassement budgétaire est estimé à plus de 500 millions de dollars.

Cette semaine, dans un signe d’aggravation de la crise, la compagnie de bus israélienne, Dan, a été contrainte d’intervenir pour acheter les 5% du capital de Veolia, une société française qui était censée exploiter la ligne au cours des 30 prochaines années. Dan, qui attend du gouvernement israélien l’approbation de son offre, n’a aucune expérience dans la gestion d’une ligne de tramway.

Shmuel Elgrably, un porte-parole du système de transport en commun, a déclaré au journal Haaretz la semaine dernière que la perte de Veolia avait « foutu en l’air » le projet.

Le retrait inattendu de Veolia de City Pass, un consortium privé franco-israélien soutenu en partie par des finances publiques, est revendiqué comme une victoire par des responsables et des militants palestiniens dont le boycott et les efforts de lobbying semblent avoir forcé l’entreprise à quitter le projet.

Ils ont accusé Veolia et une autre entreprise française, Alstom, qui pose les voies et fournit les wagons, de violer le droit international en travaillant sur un projet conçu pour que les colonies juives dans la partie occupée de Jérusalem en bénéficient.

Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël a installé 200.000 juifs dans des colonies illégales encerclant plus d’un quart de million de résidents palestiniens.

Malgré les pressions de Washington pour un gel de la colonisation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré cette semaine: «Jérusalem n’est pas une colonie et la construction [de maisons] se poursuivra comme prévu. »

Les autorités ont annoncé ce mois-ci que 500 nouveaux appartements seront construits à Pisgat Zeev – une colonie de plus de 40.000 Juifs qui sera reliée à Jérusalem-Ouest lors de la construction de la première phase du tramway.

La ligne, qui est censée desservir 150.000 passagers par jour et réduire la congestion des rues de Jérusalem, passera aussi par les célèbres portes de Damas et de Jaffa de la Vieille Ville.

Les futures sections de voies devraient relier d’autres colonies juives, dont Neve Yaacov, Atarot et Gilo.

Lorsque le contrat du système de transport en commun a été signé en 2005, Ariel Sharon, le Premier ministre de l’époque, avait déclaré qu’il « maintiendrait Jérusalem comme capitale des Juifs pour l’éternité».

Omar Barghouti, fondateur du Mouvement palestinien de Boycott, Désinvestissements et Sanctions, qui avait pris pour cible Veolia et Alstom pour leur participation, a écrit ce mois-ci dans le magazine trimestriel de Jérusalem que « le tramway faisait partie d’une « stratégie globale à long terme … pour consolider l’intégration de ces blocs (de colonies) dans un « Grand Jérusalem » toujours en expansion« .

M. Barghouti a affirmé que le système de transport en commun faisait partie d’un plan secret israélien, dont les grandes lignes ont été révélées par le journal Haaretz en Mai, pour créer des projets de grandes infrastructures afin d’empêcher la future séparation de Jérusalem et, ainsi faire échouer tout espoir d’un accord de paix.

Les Palestiniens réclament Jérusalem-Est comme capitale de leur Etat tant espéré.

Cependant, les partisans du projet soulignent que cinq des 23 stations de la première ligne seront situés dans des quartiers palestiniens, dont le défavorisé camp de réfugiés de Shuafat.

Pour être rentable, dit City Pass, le tramway doit répondre aux demandes des importantes communautés ultra-orthodoxes et Palestiniennes de la ville, qui sont toutes de grands utilisateurs des transports publics, mais qui utilisent actuellement des lignes de bus différentes.

Pourtant, il y a peu de signes que l’un ou l’autre groupe veuille utiliser le tramway.

Les Palestiniens risquent d’être hésitants à utiliser un tramway dominé par les colons, et il pourrait y avoir d’importantes restrictions à leur accès au service.

Shir Hever, un économiste basé à Jérusalem, a déclaré de nombreux juifs israéliens ne seraient pas disposés à partager les trams avec les habitants palestiniens de la ville, surtout après une série d’attentats terroristes l’été dernier à Jérusalem-Est, principalement avec l’utilisation de bulldozers.

« Les véritables questions sont, dit-il, combien de secteurs palestiniens de Jérusalem-Est seront oubliés par le système de tramway et, même là où il y a des arrêts, quelles exigences de sécurité seront imposées aux Palestiniens, comparé aux Juifs israéliens, avant de pouvoir monter dans le train?« 

Certains observateurs soupçonnent qu’après la première attaque qui suivra l’ouverture du tramway, celui-ci sera fermé aux voyageurs palestiniens.

Les ultra-orthodoxes semblent tout aussi méfiants. Leurs rabbins ont condamné le système de transport en commun, car il encourage les hommes et les femmes à se mélanger et à remplacer les propres bus modestes et « non mixtes » de la communauté. L’année dernière, sept rabbins ont écrit à la municipalité pour se plaindre que leurs fidèles devraient traverser des quartiers laïcs «où toute personne craignant Dieu n’oserait mettre les pieds« .

Les urbanistes aussi semblent se préparer à des troubles. Les 42 wagons – coûtant chacun plus de 3 millions de dollars – sont conçus pour résister aux jets de pierres et de cocktails Molotov.

Mais la survie même du projet est maintenant en cause après un lobbying réussi du mouvement de boycott. Une banque néerlandaise, ASN, a retiré ses investissements de Veolia en 2006, et l’entreprise a perdu un important contrat en Suède cette année.

Alstom est également sous pression. Le fonds de pension national suédois, AP7, a exclu la société française de son portefeuille d’investissements cette année et des militants cherchent maintenant à forcer son retrait d’un consortium qui a obtenu un contrat de 1.8 milliards de dollars en Arabie Saoudite pour construire l’Express Haramain entre La Mecque et Médine.

En outre, Veolia et Alstom se battent contre l’Organisation de Libération de la Palestine devant les tribunaux français pour leur implication dans City Pass.

Les malheurs de ce consortium n’ont fait qu’augmenter avec l’élection l’an dernier de Nir Barkat comme maire de Jérusalem, un homme d’affaires d’Extrême-Droite qui est un fort adversaire du projet. Les coûts ont déjà dépassé 1,1 milliard de dollars, soit le double des prévisions initiales, et le gouvernement israélien a versé lui-même 200 millions de dollars.

Plus tôt cette année, M. Barkat avait menacé de mettre fin au contrat de City Pass après l’achèvement de la première ligne. Il pense que d’autres routes pourraient être desservies par une flotte de bus qui coûterait cinq fois moins.

Article original en anglais : Boycott Derails Jerusalem Rail Line, Counterpunch, 18-20 septembre 2009.

Traduction : MG pour ISM.

Jonathan Cook est écrivain et journaliste basé à Nazareth, en Israël. Ses derniers livres sont : «Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East» (Pluto Press) et « Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair  » (Zed Books). Son site web est www.jkcook.net.

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