Le Canada de plus en plus impliqué dans la tentative de coup d’État américain au Venezuela

Si nous avons l’air assez indépendants, nous pouvons faire pour vous des choses que même la CIA ne peut pas faire – l’ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien.

À mesure que la crise politique au Venezuela s’aggrave, le rôle de premier plan que jouent le Canada et le gouvernement Trudeau dans le coup d’État orchestré par les États-Unis devient de plus en plus évident. Comme son homologue américain, l’impérialisme canadien convoite les vastes ressources pétrolières du Venezuela et est déterminé à empêcher la Russie, la Chine et d’autres «rivaux stratégiques» d’étendre leur influence dans les Amériques, même si cette poursuite nue des intérêts prédateurs menace de déclencher un sanglant conflit.

Le 25 février, le vice-président américain Mike Pence a été invité à prendre la parole lors d’une réunion à Bogota du Groupe de Lima, une coalition d’alliés des États-Unis dans la région, co-fondée et dirigée par le Canada. Dans un discours belliqueux, M. Pence a juré «qu’il n’y a pas de retour en arrière» au Venezuela et a réitéré la menace du président américain Donald Trump que «toutes les options sont sur la table» – c’est-à-dire une intervention militaire – pour forcer Nicolás Maduro et son régime nationaliste bourgeois à quitter le pouvoir.

Après le discours de Pence, le Groupe de Lima, composé du Canada et de treize pays d’Amérique latine, a publié une déclaration réitérant son soutien au président intérimaire autoproclamé Juan Guaidó et appuyant la demande de Pence que l’armée vénézuélienne achève le coup d’État mené par les États-Unis en passant de Maduro, président élu du pays, au futur dirigeant fantoche des États-Unis.

Seuls deux membres du groupe, le Mexique et l’Uruguay, ont refusé d’appuyer la déclaration. Mais le Canada travaille en coulisse, apparemment avec un certain succès, pour convaincre le Mexique d’abandonner sa position actuelle qui consiste à préconiser un règlement négocié entre Maduro et l’opposition de droite, pro-américaine, du Venezuela.

S’exprimant au nom du Groupe de Lima, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré: «Nous avons réaffirmé notre conviction que la transition vers la démocratie doit être menée par les Vénézuéliens eux-mêmes, pacifiquement, dans le cadre de la Constitution, conformément au droit international et avec le soutien de moyens politiques et diplomatiques, sans recours à la force».

C’est un subterfuge. En excluant l’intervention militaire, le Canada ne cherche pour l’instant qu’à prendre ses distances par rapport aux menaces belliqueuses de l’administration Trump, pour mieux appuyer l’opération de changement de régime dirigée par les États-Unis, tout en jetant les bases politiques d’un blocus naval ou d’une invasion totale si les sanctions économiques croissantes – qui constituent en soi un acte d’agression équivalent à un acte de guerre – s’avèrent insuffisantes.

Créé en 2017 dans le but prétendu de négocier une résolution «pacifique» de la crise sociopolitique croissante au Venezuela, le véritable objectif du Groupe de Lima – et le rôle du Canada en est un exemple – est de donner une façade «humanitaire» et «démocratique» aux intrigues impérialistes américaines dans ce pays.

Comme l’a fait remarquer le journaliste radical Yves Engler dans un commentaire récent sur le rôle du Canada dans le coup d’État orchestré par les États-Unis au Venezuela, l’ancien premier ministre libéral Jean Chrétien a fait un commentaire révélateur qui montre comment l’impérialisme canadien aide et encourage ses alliés américains. M. Chrétien a déclaré au président américain Bill Clinton: «Garder une certaine distance sera bon pour nous deux. Si nous avons l’air d’être le cinquante et unième État des États-Unis, nous ne pouvons rien faire pour vous au niveau international, tout comme le gouverneur d’un État ne peut rien faire pour vous au niveau international. Mais si on a l’air assez indépendants, on peut faire des choses que même la CIA ne peut pas faire pour vous.»

L’intervention de M. Pence à la réunion de Bogota a souligné que, bien que les États-Unis ne soient pas officiellement membres du Groupe de Lima, le Canada et ses alliés d’Amérique latine travaillent en tandem avec lui. En fait, le Groupe de Lima est directement impliqué dans les plans de guerre américains, comme l’a montré la réunion de la semaine dernière en Floride entre le chef des forces armées colombiennes, le général Luis Navarro Jiménez, et les dirigeants du commandement sud du Pentagone.

Comme les États-Unis, le Canada a blâmé le régime Maduro pour la violence qui a eu lieu le mois dernier lors de la provocation organisée par les États-Unis à la frontière entre le Venezuela et la Colombie au sujet du prétendu convoi «d’aide humanitaire». Freeland et la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, ont immédiatement publié une déclaration demandant que «les auteurs» de cette «violation inacceptable des principes humanitaires fondamentaux et de la décence humaine…» soient traduits en justice. Dans le but de légitimer le renversement du président élu du Venezuela et de justifier une action militaire future, le Canada a déjà demandé à la Cour pénale internationale d’enquêter sur le régime Maduro.

Cependant, la tentative des Etats-Unis, du Canada et de l’opposition vénézuélienne de déclencher un tollé de propagande sur le convoi «d’aide» s’est rapidement heurté à la vérité. Le week-end dernier, même le New York Times a dû admettre que c’étaient les forces loyales à l’opposition vénézuélienne qui avaient mis le feu au camion «d’aide» dans une provocation calculée.

Tout comme l’administration Trump, le Canada se sert du blocage par le gouvernement vénézuélien du «convoi d’aide» (qui sert de cheval de Troie) pour justifier l’imposition de sanctions plus sévères contre les fonctionnaires du gouvernement vénézuélien. Freeland a déclaré que le Canada a «mis bon nombre des hauts dirigeants du régime Maduro sur la liste des sanctions et qu’il discute actuellement avec ses partenaires des moyens d’élargir cette liste afin qu’elle soit encore plus mordante».

Depuis 2018, plusieurs responsables vénézuéliens ont été la cible de sanctions américaines et canadiennes. Inutile de dire que de telles mesures ne sont pas prises contre des régimes alignés sur Ottawa et Washington qui ont des antécédents bien pires en matière de violations des droits de la personne, comme la dictature Al-Sisi en Égypte ou la monarchie absolutiste saoudienne.

L’exigence de Pence que les États membres du Groupe de Lima transfèrent la propriété de tous les actifs vénézuéliens à l’intérieur de leurs frontières, y compris ceux de la compagnie pétrolière d’État PDVSA, au «gouvernement intérimaire» dirigé par Guaidó est une idée élaborée conjointement par le groupe de réflexion du Dialogue interaméricain de Washington et le Centre canadien pour l’innovation en gouvernance internationale, basé à Waterloo en Ontario.

La tentative actuelle d’évincer le régime de Maduro est l’aboutissement d’une campagne de déstabilisation impérialiste américaine de longue date, y compris un coup d’État manqué orchestré par les États-Unis contre le prédécesseur de Maduro, Hugo Chávez, en 2002.

Un rapport de la Presse canadienne publié à la fin de janvier a révélé que les diplomates canadiens ont travaillé systématiquement pendant plusieurs mois avec leurs homologues latino-américains à Caracas pour préparer l’opération actuelle de changement de régime, pressant les opposants de droite de Maduro de mettre de côté leurs différends et de lancer un défi commun au gouvernement. «Le moment clé» a déclaré la presse canadienne, a été «le 4 janvier, lorsque le Groupe de Lima a rejeté la légitimité de la victoire électorale de Maduro aux élections de mai 2018 et son investiture imminente le 10 janvier, tout en reconnaissant l’Assemblée nationale « légitimement élue »». Selon le rapport, un représentant canadien anonyme a déclaré que l’opposition «était vraiment à la recherche d’un soutien international, pour pouvoir s’accrocher à une raison de s’unir et pousser quelqu’un comme Juan Guaidó».

Un jour avant l’investiture de Maduro, Freeland s’est entretenue par téléphone avec Guaidó, le président nouvellement élu de l’Assemblée nationale, pour lui demander instamment de défier le président vénézuélien élu.

Comme Washington, l’impérialisme canadien est déterminé à mettre en place un régime fantoche au Venezuela afin de faire progresser ses ambitions prédatrices en Amérique latine et de contrer la présence croissante de la Russie et de la Chine dans la région.

Les sociétés financières et minières canadiennes sont très actives en Amérique latine et dans les Caraïbes (ALC), une région qui possède environ 25% des forêts du monde et environ 35% du potentiel hydroélectrique de la planète, ainsi que 85% de toutes les réserves connues de lithium et un tiers des ressources de cuivre, bauxite et argent. La région est également riche en charbon, pétrole, gaz et uranium, et des réserves de pétrole sous-marines sont régulièrement découvertes le long de ses côtes.

Dans leur livre de 2016 Blood of extraction: Canadian Imperialism in Latin America, Todd Gordon et Jeffrey Webber décrivent en détail l’expansion du capital canadien en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi que les crimes des entreprises canadiennes pour assurer l’accès aux ressources de la région et au vaste bassin de main-d’œuvre bon marché.

En 1990, les capitaux canadiens en Amérique latine, sous forme d’investissements étrangers directs cumulatifs (IED), s’élevaient à 2,58 milliards de dollars canadiens. En 2000, ils s’élevaient à 25,3 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation de 800%, et en 2013, à 59,4 milliards de dollars canadiens, soit une augmentation de 134% par rapport à 2000 et de 2198% depuis 1990. De 2007 à 2012, le Canada a été la deuxième source d’IED dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, derrière les États-Unis seulement.

Plus de la moitié des actifs miniers canadiens détenus à l’étranger, soit quelque 72,4 milliards de dollars canadiens, sont en Amérique latine et les Caraïbes. Il n’y avait que deux mines canadiennes en exploitation dans la région en 1990. En 2012, ce nombre était passé à quatre-vingts, et 48 autres étaient en développement ou prospection. Les mines en exploitation ont généré des revenus combinés de 19,3 milliards de dollars canadiens en 2012 pour les entreprises canadiennes. En 2014, 62% de toutes les mines actives dans la région appartenaient à des sociétés ayant leur siège social au Canada.

Derrière la rhétorique «humanitaire» bidon, ce sont ces investissements de plusieurs milliards de dollars et l’espoir d’un pillage encore plus important qui poussent le gouvernement du Canada à jouer un rôle de premier plan dans l’opération de changement de régime menée par les États-Unis au Venezuela, le pays qui abrite les plus importantes réserves prouvées de pétrole au monde. Le gouvernement Trudeau et les grandes entreprises canadiennes sont déterminés à s’emparer de la plus grande part du gâteau possible en Amérique latine, même si cela signifie la dictature et la guerre sans fin pour la classe ouvrière de la région.

 

Article paru en anglais, WSWS, le 14 mars 2019



Articles Par : Laurent Lafrance

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