Le Canada de Trudeau : la mort de la diplomatie

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada, a congédiéson ambassadeur en Chine, John McCallum. Apparemment, la raison de cette décision serait que John McCallum s’employait à l’une des tâches centrales du rôle de tout diplomate. Parmi les rôles clés joués par les ambassadeurs figurent l’aide et la contextualisation du discours politique de son pays, des politiques et des choix de la nation, de façon à ce que son pays hôte comprenne les nuances qui résident derrière les feux de la rampe politique. L’ancien professeur d’art dramatique de lycée qu’est Justin Trudeau a un penchant pour les feux de la rampe, si bien que les ambassadeurs du Canada un peu partout dans le monde ont du avoir du pain sur la planche dernièrement.

Un bon diplomate réussit à minimiser les probabilités de querelles par suite d’un différend ou désaccord, en expliquant à ses interlocuteurs que « ça va aussi mal que ça en a l’air », en leur amenant des assurances qu’il existe une sortie d’impasse possible, légale et bien définie.

Malgré le côté herculéen de cette tâche en l’occurrence, John McCallum, l’ancien ambassadeur du Canada en Chine, y était parvenu, en déclarant ce qui suit à un journaliste chinois, au sujet de la détention ininterrompue de Meng Wanzhou par le Canada. Quand le journaliste le questionna sur la possibilité que le Canada accepte la demande d’extradition étasunienne, McCallum répondit que Meng avait de bonnes chances de l’emporter si elle contestait la demande d’extradition devant un tribunal canadien, sur les bases suivantes :

D’une part, cette affaire a des implications politiques avec les commentaires de Donald Trump lui-même sur son cas. D’autre part, il y a des enjeux d’extraterritorialité dans cette affaire. Et enfin, il y a le sujet des sanctions iraniennes impliquées dans cette affaire, et le Canada ne s’associe pas aux sanctions contre l’Iran.

Aussi, je pense qu’elle a de bons arguments à faire valoir devant un juge.

En faisant ces déclarations, McCallum faisait son travail de diplomate canadien, apaisant la colère chinoise face au traitement inquiétant de cette ressortissante du pays sur le territoire canadien. Tout d’abord, en déclarant que les chances étaient bonnes qu’un juge canadien puisse donner raison à Meng, McCallum usait de langage diplomatique, pour essayer de convaincre la Chine que le système judiciaire canadien n’est pas aussi corrompu qu’il apparaît de l’extérieur ; il apparaît en effet clairement que les conditions de kidnapping, d’arrestation, et de détention de Meng en ont rendu plus d’un en Chine sceptique quant à la différence entre un tribunal canadien et un tribunal fantoche. McCallum a fait de son mieux pour dépeindre une autre image de la justice canadienne, et a ainsi agi en ambassadeur responsable et compétent de son pays.

Deuxièmement, en faisant référence à l’ingérence auto-proférée de Trump sur cette affaire, McCallum a dit à ses amis chinois une réalité que Justin Trudeau n’a pas encore comprise – l’épreuve que subit Meng n’est pas seulement politisée ; il serait plus juste de dire qu’elle constitue l’une des arrestations les plus lourdement politisées du XXIème siècle. L’énoncer n’est pas à proprement parler contredire le premier ministre canadien : c’est plutôt réaffirmer de manière diplomatique une vérité connue de tous, et que Trudeau ne semble pas vouloir admettre, pour des raisons clairement politiciennes. Les diplomates ne sont pas des politiciens, et c’est précisément pour cette raison qu’il fait partie du travail d’un diplomate de faire des déclarations basées sur le réalisme, en tous cas bien plus que ce qui sort de la bouche d’un dirigeant élu, souvent en quête de bulletins de vote, un peu comme une créature mythique [un bisounours, peut-être, NdT] chasserait l’arc-en-ciel.

Enfin, en déclarant qu’a contrario des USA, le Canada s’était rallié au reste du vaste monde et était resté du côté des signataires du JCPOA (l’accord nucléaire iranien), toute connexion supposée entre les activités d’affaires de Meng et l’Iran est complètement nulle et non avenue du point de vue légal canadien, Ottawa n’ayant pas signé les sanctions ré-imposées par Donald Trump contre l’Iran. Dans ce sens, le Canada, la Chine, la Russie et l’Union Européenne sont alignés. En mentionnant cet alignement, McCallum aidait à illustrer une zone de consensus géopolitique entre Pékin et Ottawa, à un moment où ce consensus apparaissait comme inexistant.

Fondamentalement, la diplomatie est l’art de développer une compréhension mutuelle à la fois honnête et flexible, dans le but de travailler avec un partenaire étranger à résoudre les litiges de la manière la plus amiable possible – y compris dans les circonstances les plus sombres. Aussi, la tâche confiée à John McCallum était plutôt difficile, vu comme le premier ministre et le ministre des affaires étrangères avaient foulé aux pieds des relations jusque là normales entre leur pays et la Chine, en obéissant de manière éhontée comme des vassaux aux ordres de leur maître, et en acceptant de retirer à une femme d’affaire et à une mère chinoise ses droits humains les plus fondamentaux.

La diplomatie n’implique pas l’apprentissage des danses folkloriques d’une culture étrangère, ni de porter ses habits traditionnels. La diplomatie consiste à garder son calme quand la pression monte, à donner des garanties qui peuvent être tenues, afin de résoudre un problème, et à pratiquer un discours honnête plutôt qu’évasif en temps de crise. À la lumière de toute ceci, il est clair que John McCallum sait ce qu’est la diplomatie, et que Justin Trudeau n’en a pas la moindre idée. Franchement, le parti libéral qui gouverne le Canada ferait bien mieux de se débarrasser de Trudeau à sa tête, plutôt que de laisser Trudeau destituer McCallum de son poste d’ambassadeur en Chine.

Adam Garrie


Article original en anglais : Trudeau’s Canada: Where Diplomacy Goes to Die, Eurasia Future, le 27 janvier 2019.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone



Articles Par : Adam Garrie

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