Le Canada prolonge ses missions militaires en Ukraine et au Moyen-Orient et s’allie à Trump dans la répression contre les réfugiés

Dans une série d’annonces à peine rapportées dans les médias, le gouvernement libéral du Canada a intensifié ses politiques de droite, militaristes et anti-réfugiés.

Le budget des libéraux, déposé mardi dernier, a confirmé que les opérations de formation militaire des Forces armées canadiennes (FAC) au Moyen-Orient et en Ukraine seront prolongées de deux et trois ans, respectivement. Entre-temps, le ministre de la Sécurité frontalière du premier ministre Justin Trudeau, Bill Blair, a révélé qu’il est en pourparlers avec Washington pour accélérer l’expulsion des demandeurs d’asile qui fuient la brutale répression anti-immigrante de Trump en passant au Canada.

Le budget présenté mardi engage Ottawa à investir quelque 1,39 milliard de dollars au cours des deux prochaines années pour maintenir la participation du Canada à la guerre menée par les États-Unis en Irak et en Syrie et pour promouvoir les intérêts impérialistes canadiens dans la région riche en pétrole. Depuis que le Canada s’est joint à la dernière guerre en Irak et en Syrie en 2014, sous l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper, il a joué un rôle crucial pour faciliter la mort et la destruction causée par les opérations militaires menées par les États-Unis dans les deux pays. Cela inclut notamment d’être complice de frappes aériennes meurtrières qui ont coûté la vie à des milliers de civils et de la destruction presque totale de Mossoul, la troisième ville d’Irak et de Raqqa, en Syrie.

Conscient de l’opposition généralisée à la guerre au Moyen-Orient, le gouvernement Trudeau, en février 2016, a recalibré la mission en ordonnant le retrait des chasseurs à réaction et le déploiement de troupes supplémentaires des Forces spéciales et de personnel de commandement. Déployés dans le nord de l’Irak dans le cadre d’une mission «d’entraînement», les troupes des Forces spéciales ont fourni des conseils et un soutien de première ligne aux forces peshmergas kurdes lors d’opérations menées près de Mossoul lors de l’assaut destructeur dirigé contre cette ville.

Par la suite, les libéraux ont élargi l’engagement militaire du Canada en Irak dans le cadre d’un rôle accru du Canada au sein de l’OTAN qui a vu les FAC prendre la direction d’un nouveau bataillon «de front» de l’OTAN déployé en Lettonie, à la frontière russe. Au sommet annuel de l’OTAN de 2018, le Canada a accepté de prendre le commandement d’une nouvelle mission de l’OTAN visant à former les troupes irakiennes qui combattent pour le gouvernement central à Bagdad pendant un an. Ce délai a été prolongé jusqu’à la fin du mois de mars 2021.

La mission en Ukraine, qui est promue par le gouvernement et les médias comme la défense de la «démocratie» contre «l’agression russe», doit être prolongée de trois ans, pour un coût supplémentaire de 105 millions de dollars.

Les troupes canadiennes ont d’abord été déployées en Ukraine par le gouvernement conservateur précédent dans le but de former les forces de l’armée et de la Garde nationale ukrainiennes à faire la guerre dans l’Est contre les séparatistes prorusses. Cela se déroulait après le coup d’État orchestré par l’Occident et dirigé par les fascistes à Kiev en 2014 et l’annexion ultérieure de la Crimée par la Russie.

Comme pour le déploiement au Moyen-Orient, les libéraux de Trudeau ont repris sans entrave là où les conservateurs d’Harper l’avaient laissé, prolongeant la mission de formation ukrainienne lorsqu’elle devait être renouvelée en 2016 et apportant un soutien inconditionnel aux mesures belligérantes de l’OTAN contre la Russie.

Dans des commentaires très provocateurs formulés lors d’une visite en Ukraine en 2016, Trudeau a déclaré que les 200 membres des FAC déployés là-bas préparent leurs soldats à «libérer» le «territoire» ukrainien – une référence claire à la Crimée sous contrôle russe et aux autres régions de l’est de l’Ukraine à majorité russophone qui se sont révoltées contre le gouvernement ultranationaliste de Kiev.

Derrière toute la rhétorique d’une politique étrangère «féministe» et «humanitaire», il est évident que les actions des libéraux au Moyen-Orient et en Europe de l’Est jouent le rôle de matraque dans la promotion des intérêts prédateurs mondiaux de l’élite dirigeante canadienne.

Ils soulignent également l’engagement de Trudeau à approfondir le partenariat stratégique de l’impérialisme canadien avec Washington et Wall Street, tout en poursuivant des offensives militaires stratégiques incendiaires au Moyen-Orient, contre la Russie et la Chine, et en menaçant le Venezuela d’invasion.

Dans leur politique de défense nationale de 2017 «Protection, sécurité, engagement», les libéraux se sont engagés à augmenter les dépenses militaires de plus de 70 pour cent d’ici 2026 pour atteindre près de 33 milliards de dollars par année. En prévision de la participation du Canada aux futures grandes guerres, la politique de défense prévoit l’achat de nouveaux avions de guerre et de cuirassés, de drones armés et de véhicules blindés, ainsi qu’une augmentation du personnel militaire.

En expliquant les objectifs de la politique, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a déclaré que le Canada doit faire davantage pour aider les États-Unis affaiblis à maintenir l’«ordre mondial» dirigé par l’Amérique du Nord, ce qui exigera une «puissance dure» et une volonté de mener des guerres, ce que le Canada a fait à plusieurs reprises au XXe siècle, a-t-elle souligné. Dans son discours de juin 2017, Freeland a dénoncé la Russie comme un rival stratégique et a identifié la Chine comme une «menace mondiale».

Le fait que les médias contrôlés par la grande entreprise n’aient rien dit ou presque sur la prolongation des missions militaires au Moyen-Orient et en Ukraine et que le soi-disant Nouveau Parti démocratique de «gauche» n’ait pas émis une seule critique ne fait que souligner que l’empreinte militaire mondiale croissante de l’impérialisme canadien bénéficie du soutien universel au sein de l’establishment politique.

Ce dont les médias ont été remplis ces derniers jours, ce sont des articles de propagande déplorant une présumée frénésie de dépenses du gouvernement libéral à l’approche des élections fédérales de cet automne. Les mesures citées comme «preuve» de ces revendications, dont un pitoyable 4,5 milliards de dollars sur cinq ans pour améliorer les conditions de vie des peuples autochtones du Canada et un allégement fiscal de 1,8 milliard de dollars pour les aînés à faible revenu qui demeurent sur le marché du travail, ne sont même pas une goutte d’eau dans l’océan face à l’austérité financière imposée depuis des décennies par les gouvernements fédéraux et provinciaux libéraux, conservateurs, NPD et du Parti québécois.

Travailler avec Trump pour accélérer l’expulsion des réfugiés

La véritable mesure de la position «progressiste» du gouvernement Trudeau est donnée par sa coopération étroite avec l’administration Trump sur les questions de politique intérieure et de politique étrangère.

L’annonce faite par Blair au cours d’une entrevue accordée au Globe and Mailqu’il cherche à combler une lacune de l’Entente Canada-États-Unis sur les tiers pays sûrs est très importante à cet égard.

L’accord permet au Canada de renvoyer immédiatement les demandeurs d’asile arrivant des États-Unis à un point d’entrée officiel au motif que les États-Unis sont un «pays sûr», dont les institutions «démocratiques» veilleront à ce qu’ils bénéficient de toutes les protections du droit international. Toutefois, une lacune de l’accord signifie que les réfugiés qui franchissent des points d’entrée officiels le long de la longue frontière terrestre canado-américaine peuvent demander l’asile.

Sous les conditions de la répression brutale de Trump à l’endroit des réfugiés et des immigrants – dont notamment la séparation des familles, les violences infligées aux enfants et le confinement des réfugiés dans des camps aux conditions ressemblant à celles des camps de concentration – des dizaines de milliers de personnes ont profité de cette échappatoire au cours des deux dernières années, sont entrées au Canada et ont demandé l’asile. Malgré la propagande officielle des médias, ils ont été accueillis avec une froide hostilité de la part des autorités, beaucoup d’entre eux laissés à languir dans des logements insalubres et survivants grâce aux dons des banques alimentaires.

Jusqu’à maintenant, le gouvernement Trudeau a insisté sur le fait qu’il n’était pas nécessaire de réviser l’Entente sur les tiers pays sûrs, puisque, à ses ordres, l’Agence des services frontaliers du Canada expulse la grande majorité des demandeurs d’asile vers leurs pays pauvres et, dans bien des cas, déchirés par la guerre.

Les libéraux cherchent maintenant à conclure avec Trump une entente qui condamnera des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants désespérés à la détention, à la maltraitance et peut-être pire aux mains du personnel de Trump, l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) et le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP), avant d’être finalement déportés.

Blair, qui a supervisé la répression brutale infligée à des milliers de manifestants anti-G20 à Toronto en 2010, a tenté de justifier cette situation en dénonçant ceux qui «sont entrés au Canada de façon irrégulière» pour avoir miné «l’équité et l’efficacité du système d’octroi de l’asile du Canada». En réalité, les libéraux s’inclinent devant le chauvinisme anti-immigrant attisé par les sections les plus réactionnaires de l’establishment, dont le premier ministre de l’Ontario Doug Ford.

L’escalade des libéraux dans leurs politiques militaristes et xénophobes s’inscrit dans un virage radical vers la droite au sein de la bourgeoisie canadienne. Au cours de la dernière année, il a porté au pouvoir des gouvernements populistes de droite en Ontario et au Québec, les deux provinces les plus populeuses du pays. La semaine dernière, de nouvelles révélations ont été faites au sujet des liens du Parti conservateur uni, qui, au grand plaisir de l’élite corporative, semble sur le point de remporter les élections d’avril en Alberta, avec les forces d’extrême droite et les forces carrément fascistes. L’une des candidates vedettes du parti, Caylan Ford, a dû démissionner après qu’un reportage a révélé qu’elle avait fait des commentaires favorables sur Facebook au sujet de manifestants fascistes à Charlottesville en août 2017, où un néonazi a tué une contre-protestante en la frappant avec sa voiture.

Dans ce contexte, une fraction importante et croissante de la bourgeoisie s’inquiète du fait que le gouvernement Trudeau n’avance pas assez loin et assez vite dans la mise en œuvre de son programme de lutte des classes. Cette faction craint que Trudeau ne tergiverse dans ses attaques impitoyables contre la classe ouvrière, nécessaires pour financer le réarmement du Canada et l’agression étrangère et améliorer la «position concurrentielle» du capital canadien. Elle envisage la possibilité de forcer Trudeau à démissionner en faveur d’un «faucon» comme Freeland ou de porter au pouvoir les conservateurs aux prochaines élections.

Au cours des dernières semaines, cette faction a intensifié ses attaques contre Trudeau dans le cadre du scandale SNC-Lavalin, qui a révélé à quel point le gouvernement libéral a agi à la demande de l’une des plus grandes entreprises canadiennes, réécrivant et contournant la loi pour la protéger des poursuites au criminel.

Roger Jordan

 

Article paru en anglais, WSWS, le 23 mars 2019

 



Articles Par : Roger Jordan

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