Le Canada soutient l’interdiction de séjour d’un député britannique anti-guerre

Les avocats du député britannique anti-guerre George Galloway s’apprêtent à demander aux tribunaux de révoquer un ordre du gouvernement canadien qui l’empêche d’entrer au pays sous prétexte qu’il constitue une menace à la « sécurité nationale » et qu’il est complice de terrorisme.

Galloway, qui a été exclu du Parti travailliste en 2003 en raison de son opposition à la participation de la Grande-Bretagne à l’invasion et l’occupation illégales de l’Irak, a critiqué le rôle majeur du Canada dans la guerre en Afghanistan et a récemment dirigé un convoi humanitaire fournissant des médicaments, des vêtements et d’autres biens au peuple assiégé de Gaza.

Vendredi dernier Galloway a appris, par l’entremise d’un article publié dans le tabloïde britannique de Rupert Murdoch, le Sun, que les autorités canadiennes lui interdisaient de séjourner au pays. Le ministre conservateur de l’Immigration Jason Kenney a farouchement défendu l’ordre d’interdiction de séjour, qui a été officiellement donné par l’Agence des services frontaliers du Canada, et a juré qu’il n’allait en aucune circonstance user de sa prérogative de ministre pour délivrer un permis de séjour à Galloway.

Galloway doit participer à une série de rencontres intitulées « Resisting war from Gaza to Kandahar » (Résister à la guerre de Gaza à Kandahar) à Toronto le 30 mars, Mississauga le 31 mars, Montréal le 1er avril et Ottawa le 2 avril.

En réponse aux accusations provenant de groupes anti-guerres, d’organisations des libertés civiles, du NPD et même des médias de la grande entreprise qui dénoncent l’ordre d’interdiction de séjour comme étant de la censure, Kenney a insisté que « ce qui est en jeu » n’est pas le droit des Canadiens à entendre les positions de Galloway. 

L’ordre d’interdiction de séjour, a soutenu le ministre conservateur, « n’a rien à voir avec la liberté d’expression et tout à voir avec le maintien de l’intégrité de notre loi sur l’immigration, qui dit que les individus qui fournissent du matériel et soutiennent financièrement une organisation terroriste illégale ne peuvent entrer au Canada ».

La lettre envoyée vendredi dernier à Galloway par le Haut-commissariat du Canada à Londres affirme que le député britannique « ne peut être reçu » au Canada « pour raisons de sécurité » selon les clauses C et F de la Section 34 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés du Canada. Ces clauses soulignent que des ressortissants étrangers peuvent se voir interdire de séjour au Canada s’ils « se livrent au terrorisme » ou s’ils « sont membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur » de terrorisme ou « l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force ».

 « En particulier », dit la lettre du gouvernement canadien, « nous détenons des informations qui indiquent qui vous avez organisé un convoi d’une valeur de plus d’un million de livres britanniques en aide et en véhicules, et que vous avez fait don personnellement de véhicules et de financement au premier ministre du Hamas Ismail Haniya. »

L’assertion du gouvernement qu’organiser de l’aide pour la population appauvrie et assiégée de Gaza, alors qu’Israël maintient un blocus économique punitif, constitue un soutien au terrorisme est à la fois absurde et effrayante. Cela met en lumière les larges pouvoirs arbitraires que le gouvernement du Canada, avec l’appui de tous les partis du parlement canadien, s’est arrogés au nom de la lutte contre le terrorisme.

Dans une lettre écrite de façon convaincante au représentant du Haut-commissariat qui est l’auteur de la lettre envoyée vendredi dernier à Galloway, les avocats de ce dernier révèlent le caractère « pervers » de la tentative gouvernementale de le présenter comme un terroriste et qualifient correctement celle-ci d’« abus de pouvoir » politiquement motivé.

Un abus de pouvoir car les clauses de « sécurité nationale » incluses dans la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés n’avaient pas pour but de permettre au gouvernement de censurer et faire taire ceux dont il n’apprécie pas les positions politiques. Un abus de pouvoir car interdire Galloway de séjour au Canada privent les Canadiens de leur droit constitutionnel d’entendre ses positions et car, par cette interdiction, l’Etat tente d’imposer de nouvelles et vastes réinterprétations de ce qui constitue une menace à la sécurité nationale, un soutien et une participation au terrorisme.

Il vaut la peine de citer une bonne partie de la lettre rédigée par les avocats Barbara Jackman et Hadayt Nazami :

« Nous sommes surpris (et franchement choqués) » écrivent-ils « que c’est la position du gouvernement du Canada que M. Galloway soit considéré comme un membre d’une organisation terroriste qui s’est livré au terrorisme. Alors que les tribunaux canadiens ont appliqué une définition large au concept de « membre » et ont inclus les « sympathisants » et d’autres associés, la clause n’a jamais, à [notre] connaissance, été si largement interprétée pour aller jusqu’à inclure un membre élu d’un Parlement, provenant d’un pays démocratique, parce qu’il soutient symboliquement un peuple sévèrement opprimé, les Palestiniens de Gaza. L’implication dans le terrorisme n’a de plus jamais été interprétée de manière aussi large. Ces interprétations sont nouvelles et ont une portée considérable. »

« Pour le dossier, comme vous le savez sans doute déjà, M. Galloway n’est pas un membre du Hamas. Il est un membre élu du parlement britannique. Il est un membre du parti Respect. … [ce qui] le caractérise comme étant un socialiste. »

« Même si l’adhésion à un parti spécifique n’empêche pas l’adhésion à un autre parti, l’adhésion de M. Galloway à Respect est une indication claire qu’il n’est pas probable qu’il soit membre du Hamas. En fait, il s’est pendant 30 ans décrit comme un partisan de l’ancien président Arafat.

« La détermination [de l’Agence des services frontaliers du Canada d’empêcher Galloway d’entrer] est basée sur une inférence faite à partir de son implication dans le convoi d’aide Viva Palestina. Ce n’est pas une inférence raisonnable. C’est évident que ce convoi était bien ce qu’il était destiné à être : un geste symbolique venant d’un bon nombre d’organisations et d’individus dans le but de soutenir les Palestiniens isolés et bloqués à Gaza. Le passage du convoi à Gaza était simplement une reconnaissance que les Palestiniens de Gaza, qui avaient élu le Hamas dans une élection démocratique, ne devaient pas être punis en leur retirant leurs moyens de survie. »

Après avoir fourni de l’information montrant le caractère charitable et humanitaire du convoi d’aide Viva Palestina, la lettre continue :

« La deuxième partie de la justification d’interdiction d’entrée est qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Galloway est impliqué dans le terrorisme. Il semble que cela soit aussi basé sur le convoi, sous-entendant que l’envoi d’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza est un acte de terrorisme. Tout comme l’inférence d’une adhésion, cela est pervers. Ça signifierait que l’UNWRA, la Société de la Croix-Rouge et d’autres organisations d’aide sont des organisations terroristes et que les individus qui les soutiennent sont des terroristes. … »

« La clause d’interdiction d’entrée sur le terrorisme dans la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] n’était pas faite pour permettre aux responsables canadiens de sanctionner des individus parce qu’ils ne partagent pas leurs croyances. M. Kenney, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, ainsi que plusieurs autres membres du gouvernement Harper ont des positions claires sur Israël et sur ses pratiques en rapport avec les territoires qu’il occupe depuis 1967. Leurs sympathies sont invariablement avec le gouvernement israélien, peu importe comment il se comporte. […] La décision d’exclure M. Galloway du Canada parce qu’il participe au geste symbolique d’envoyer de l’aide humanitaire au peuple palestinien de Gaza est une décision politique. C’est pervers et nous croyons que cela constitue un abus de pouvoir. » (Le texte complet de la lettre rédigée par les avocats de Galloway peut être lue, en anglais, sur ce lien : http://www.defendfreespeech.ca/PDFs/Galloway-HC.pdf)

Kenney et son assistant, Alykhan Velshi, ont donné des entrevues et échangé des courriels avec des journalistes vendredi après que l’annonce de l’interdiction d’entrée de Galloway au Canada fut rendue publique. Ils ont clairement affirmé que le gouvernement n’exercerait pas sa prérogative de casser la décision prise par son agence.  Cela n’a pas empêché Kenney, un des lieutenants les plus loyaux du premier ministre conservateur Harper, de maintenir qu’il n’avait joué aucun rôle dans la décision d’interdire Galloway de séjour. La décision, a-t-il affirmé, appartient entièrement à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui est officiellement sous la juridiction du ministre de la Sécurité publique.

C’est une tentative transparente de couvrir les agissements du gouvernement. Non seulement l’interdiction imposée à Galloway est-elle un geste de censure politique, mais elle fait partie d’une campagne internationale contre lui dans laquelle sont impliqués le gouvernement britannique, l’empire médiatique de Murdoch et les groupes de pression sionistes.

Il est impensable que l’agence des douanes canadiennes ait pu prendre la décision d’interdire un parlementaire britannique de séjour sans le consentement de ses maîtres politiques dans le gouvernement Harper. Kenney lui-même a admis qu’il était au courant que l’ASFC considérait imposer une interdiction contre Galloway et que ce sujet « avait été discuté dans mon bureau ».

Décrire Galloway comme un « terroriste » et le coulage de la décision d’interdire son entrée au Canada sont caractéristiques des campagnes de salissage des conservateurs. Harper lui-même a accusé plusieurs parlementaires dans l’opposition d’être des pro-talibans pour simplement soulever en Chambre des questions sur l’intervention militaire canadienne en Afghanistan. Et même si l’opposition officielle libérale tout comme les conservateurs a claironné son soutien à la récente invasion de Gaza par Israël, allant aussi loin que déclarer que le Hamas « terroriste » portait seul la responsabilité des morts civiles palestiniennes, Harper a accusé les libéraux d’être « mous » sur la question du terrorisme et mitigés quant à leur appui à l’Etat sioniste.

La visite de Galloway a attiré l’attention des partisans de droite des conservateurs. Le vendredi 20 mars, le quotidien néo-conservateur National Post a publié dans sa page éditoriale une tirade réactionnaire dénonçant Galloway intitulée « Visite au Canada : un ami des terroristes ». Il y a aussi le fait que le réseau médiatique de Murdoch a annoncé la décision du gouvernement canadien de bloquer Galloway avant même que le député en soit informé. Il n’y a que deux sources possibles pour la fuite dans les médias : le gouvernement canadien et le gouvernement britannique.

Tout de suite après que le gouvernement canadien eut annoncé l’interdiction de séjour de Galloway, la commission sur les organismes caritatifs du gouvernement britannique a annoncé qu’elle mènerait une large enquête sur Lifeline for Gaza : Viva Palestine.

« Le choix du moment parle de lui-même, a dit Galloway lundi. La BBC empêche la diffusion d’un appel à l’aide en faveur de Gaza ;  vendredi passé, la presse de Murdoch m’informe qu’un ministre du gouvernement canadien soutenant George Bush m’empêche d’entrer au pays à cause de mes positions sur le Moyen-Orient ; le jour suivant, il y a la nouvelle que le gouvernement britannique demande la démission du secrétaire général adjoint du Conseil musulman de Grande-Bretagne parce qu’il reconnaît le gouvernement de Palestine ; lundi, quelques heures avant que je fasse parvenir une lettre importante de la campagne Viva Palestina à la commission sur les organismes caritatifs, un des ses responsables fait des déclarations aux journalistes qui sont remplis de sous-entendus.

« Tout cela fait beaucoup trop pour être une simple coïncidence.

« Ce que nous avons ici, c’est une tentative dangereuse et sinistre pour criminaliser les tentatives de construire un mouvement de solidarité en défense du droit du peuple assiégé de Palestine à choisir son propre gouvernement. »

Article original anglais paru le 26 mars 2009.

© WSWS.



Articles Par : Keith Jones

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