Le cauchemar de Vasily Goloborodko
En tant que fan de la série télévisée ukrainienne Servant of the People, je ne peux m'empêcher d'être frappé par l'ironie du sort qui a voulu qu'un acteur incarnant un président finisse par devenir président. Mais les scénarios sont une chose, la réalité en est une autre. Et le dernier acte de Volodymyr Zelensky, contrairement au personnage de Vasily Goloborodko incarné dans la série, ne connaîtra pas de fin heureuse, bien au contraire.

En mars 2018, après trois saisons en tant que star de la très populaire série télévisée ukrainienne Servant of the people [Serviteur du peuple], les collaborateurs de Zelensky ont entamé les démarches officielles pour créer un nouveau parti politique en Ukraine, ‘Serviteur du peuple’, en réalité un stratagème visant à politiser le rôle joué par Zelensky dans la série, un Ukrainien ordinaire nommé Vasily Goloborodko, qui allait devenir président de l’Ukraine, afin que le nouvel “homme du peuple” ukrainien, Zelensky, puisse faire de la fiction une réalité.
Le stratagème a fonctionné et, en avril 2019, Zelensky a été élu face à l’impopulaire président sortant, l’oligarque ukrainien de l’industrie du chocolat Petro Porochenko.
Bien qu’ayant essentiellement fait campagne sur un programme prônant la paix avec la Russie plutôt que la poursuite des combats dans la région séparatiste du Donbass, Zelensky, quelques semaines après son entrée en fonction, a pris un virage à droite, promettant de déclarer la guerre à la Russie pour les territoires contestés.
Et en février 2022, l’acteur devenu président a vu son souhait exaucé.
Il s’est immédiatement glissé dans le rôle qu’on lui avait attribué, suivant un scénario spécialement écrit pour lui par ses maîtres occidentaux (c’est la CIA qui a inventé la désormais célèbre réplique : “c’est la guerre, ici. J’ai besoin de munitions, pas d’aller me promener”), rejetant une offre présumée des États-Unis de l’évacuer de Kiev, alors attaquée par la Russie.
Il s’avère que l’offre d’évacuer et la réplique cinglante de Zelensky n’étaient que des fictions. Rien de tout cela ne s’est produit, mais ces événements ont été réinventés par des médias complaisants publiant mot pour mot le récit élaboré par des responsables américains du renseignement travaillant à l’ambassade des États-Unis à Kiev.
Mais les scénaristes de la CIA ne pouvaient pas escamoter la pression militaire exercée sur l’Ukraine par l’opération militaire spéciale russe, et moins d’une semaine après l’assaut russe, Zelensky a été contraint d’envoyer une délégation à Gomel, en Biélorussie, pour entamer des négociations visant à mettre fin au conflit. Ces négociations ont finalement été déplacées en Turquie où, fin mars, les deux parties ont conclu un accord de paix global, le “Communiqué d’Istanbul”, qui aurait mis fin au conflit à des conditions qui, rétrospectivement, étaient extrêmement favorables à l’Ukraine.
Mais la nouvelle production occidentale de Zelensky a décidé que la perspective d’un conflit russo-ukrainien était bien trop rentable pour ne pas en faire une série, et Boris Johnson, le Premier ministre britannique, s’est donc envolé pour Kiev et a convaincu l’acteur devenu président que le feuilleton devait continuer.
Et il a continué.
L’Occident, qui soutenait désormais pleinement la nouvelle série Zelensky, un drame d’action, a investi des milliards de dollars dans la production, transformant une simple histoire de survivants en une épopée à la David contre Goliath.
Zelensky lui-même a été réinterprété en personnage à la Churchill, un homme plus grand que nature dont les exhortations à “se battre sur les plages” ont rapidement captivé les imaginations du monde entier.
La première saison a été un énorme succès, avec Zelensky menant ses troupes assiégées à la victoire, reprenant les territoires perdus à Kharkov et Kherson, et préparant une deuxième saison décisive qui verrait l’Ukraine remporter la victoire.
Les producteurs ont tout mis en œuvre pour promouvoir la deuxième saison, avec des bandes-annonces illustrant la victoire de l’armée ukrainienne sur la Russie dans ce qui était alors présenté comme la “Contre-offensive de l’été 2023”.
Mais la production s’est heurtée à des obstacles insurmontables. Le budget de la “contre-offensive de l’été 2023” dépassait ce que les souscripteurs étaient prêts à débourser, et puis il y a eu une grève des scénaristes qui a entraîné des changements majeurs dans le scénario : plutôt qu’une victoire spectaculaire, le drame a dégénéré en blocage sanglant.
Le public avait été séduit par le scénario original, visible dans les bandes-annonces. Privés de leur victoire, les spectateurs ont commencé à se désintéresser de la série, et les recettes publicitaires ont diminué.
Incapables de renverser la vapeur, les scénaristes ont alors décidé de transformer le drame d’action en une série centrée sur les personnages. Zelensky, habitué à incarner un personnage de style Churchill, a dû se métamorphoser en un héros plus tragique, qui voit s’envoler ses rêves de gloire.
La troisième saison a tenté de tirer le meilleur parti possible de cette approche, mais en vain.
Les producteurs ont été bombardés de contre-propositions de nouveaux scénarios, dont un concept à gros budget autour d’une histoire de réconciliation entre des frères autrefois amis, mais désormais radicalement divisés.
Le Serviteur du peuple de la vie réelle avait perdu de son attrait.
Ses souscripteurs ont décidé de lui couper les vivres.
Les producteurs et scénaristes ont quitté le navire pour rejoindre l’équipe en charge de la réconciliation fraternelle.
L’équipe de production en place s’est alors retrouvée face à un défi de taille : boucler non seulement la saison 3, mais aussi la série toute entière.
En 2018, les producteurs de Serviteur du peuple ont résolu leur problème en passant de l’écran à la réalité, transformant Vasily Goloborodko en Volodymyr Zelensky.
Ils ont écrit des scénarios cauchemardesques, créant des scènes dépeignant l’ascension et la chute du personnage de Zelensky, avant de terminer la série sur une victoire.
Mais aucun scénariste au monde ne peut transformer le drame que vit Voldymyr Zelensky dans la vraie vie en happy end.
Le cauchemar de Goloborodko, amorcé lors de la troisième saison de la version télévisée de Serviteur du peuple, est devenu la réalité de Zelensky, cerné de toutes parts par des forces qui cherchent à le renverser, sans possibilité d’échappatoire.
Plutôt que de suivre un scénario soigneusement planifié, Zelensky s’est lancé dans des improvisations sous l’emprise du dopage, faisant de la tragédie un véritable vaudeville.
Alors que le monde entier acclamait le héros churchillien qu’incarnait Zelensky, il n’éprouve aujourd’hui que le plus grand désintérêt pour le personnage méprisable qu’il incarne aujourd’hui.
Nous en sommes maintenant à la saison quatre.
On peut encore s’attendre à un dernier acte avant de pouvoir clore la série, et les producteurs envisagent des scénarios contradictoires.
L’un d’eux voit le héros tragique fuir vers une vie d’exil, où il pourra méditer sur les origines de sa chute.
L’autre, écrit par des aficionados de la série Les Soprano de HBO, réserve une fin des plus dramatiques, fatale à l’homme du peuple devenu dictateur.
Et le fait est que la quatrième saison de la version réelle de Servant of the People se termine mal pour Zelensky.
De plus, ceux qui l’ont autrefois présenté comme le nouveau Churchill s’en ficheront comme de leur première liquette.
Scott Ritter
Article original en anglais : Vasily Goloborodko’s Nightmare, le 18 février 2025.
Traduction : Spirit of Free Speech, le 23 février 2025.
Image en vedette : Volodymyr Zelensky dans le rôle de Vasily Goloborodko dans Servant of the People