Le cheval de Troie de Wall Street

Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a annoncé que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine «coordonnaient leurs efforts pour surmonter la crise financière.» Cette déclaration suggère que les quatre pays vont se confronter à l’alliance dominante, US-UK-UE, qui personnifiera les intérêts bancaires occidentaux, au prochain sommet de Washington.  

Nous allons coordonner nos initiatives avec les principales économies émergentes. Nous sommes en contact direct avec l’Inde, la Chine et le Brésil ; nous sommes en interaction avec les organisations BRIC et RIC [Russie-Inde-Chine et Brésil], » a-t-il ajouté.

 

Plus tôt ce mois-ci, le premier ministre Vladimir Poutine a dit que la crise montrait que les pays du BRIC pourraient devenir « la locomotive de l’économie mondiale dans les années à venir. » (The Hindu, 26 octobre 2008)

Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des pays du G-20 se réuniront à São Paulo en novembre avant les réunions au sommet à Washington.

La question cruciale : une politique alternative à celle proposée par Wall Street et le ministère des Finances étasunien pourrait-elle naître des discussions du sommet du BRIC et/ou du G-20 ?

Le BRIC constitue-t-il un « Triangle Stratégique », comme le suggère la dépêche de la presse officielle de Moscou ?

Il est fort improbable qu’une autre alternative puisse sortir de la réunion du BRIC ou du G-20.

Alors que la Chine et la Russie conservent un certain degré de souveraineté économique et financière, la politique monétaire de la plupart des pays en développement, notamment de l’Inde et du Brésil, est sous surveillance directe de Washington et de Wall Street.

Manmohan Singh, le Premier ministre indien, est un ancien fonctionnaire de la Banque mondiale. Au début des années 1990, en tant que ministre des Finances, il a mené à bonne fin les réformes macro-économiques imposées à l’Inde par le FMI, en étroite coordination avec les institutions de Bretton Woods.

L’actuel gouverneur de la Reserve Bank of India (RBI), le Dr Duvvuri Subbarao, est aussi fonctionnaire à la Banque mondiale. Il a été nommé à un moment très critique, le 5 septembre 2008, au tout début de la crise financière. Duvvuri Subbarao a passé dix ans à la Banque mondiale à Washington. (1994-2004). À peine deux semaines après le début de son mandat de gouverneur à la RBI, le marché boursier indien s’effondrait.

L’inaction du Dr Duvvuri Subbarao à la tête de la RBI à l’apogée de la crise a largement contribué à aggraver la fuite des capitaux.

Les projets de réunions de la BRIC

Sergueï Lavrov, le Ministre russe des Affaires étrangères, a dit : « La Russie coordonne ses actes avec l’Inde et la Chine pour surmonter la crise financière. » Les réunions de la BRIC se tiendront à São Paulo avant celles du G-20 :

«Lavrov a rappelé qu’une réunion des ministres des Finances du G-20 se tiendra à São Paulo, au Brésil, dans la première moitié de novembre. Au cours de cette réunion, il a aussi prévu de rencontrer le ministre des Finances chinois. Malgré l’apparition de nouveaux centres de croissance économique, de pouvoir financier et d’influence politique, a souligné Lavrov, divers pays doivent unir leurs efforts pour chercher les moyens de surmonter la crise et l’empêcher de se répéter. Il a aussi déclaré qu’une conférence se tiendra à Washington le 15 novembre. Cette conférence sera extrêmement importante, a observé Lavrov, car tous les principaux acteurs sont censés être là. Il a toutefois souligné qu’il était vital qu’ils ne fassent pas que se réunir, mais qu’ils coopèrent aussi les uns avec les autres. » (RBC News, 26 octobre 2008)

Qui assistera à ces réunions ? Quelle est la relation entre ces hauts fonctionnaires (gouverneurs de banques centrales et ministres des Finances) et les intérêts de Wall Street ?

Le président de la Banque centrale du Brésil, Hector Meirelles, jouera un rôle clef dans les séances du BRIC et du G-20 à São Paulo, ainsi que dans celle du 15 novembre à Washington.

Le Cheval de Troie

Henrique de Campos Meirelles, nommé patron de la Banque centrale du Brésil en 2003 par le président « socialiste » Luis Inácio Lula da Silva, se trouve être parmi les plus puissants financiers de Wall Street. Avant de devenir gouverneur de la Banque centrale du Brésil, il a été président de la division du « global banking » et directeur général (CEO) de Fleet Boston, la septième plus grande banque des États-Unis, qui a ensuite fusionné avec la Bank of America, formant la plus grande institution financière du monde.

 Hector Meirelles est un cheval de Troie.

La nomination de l’ancien directeur général d’une banque de Wall Street à la tête de la Banque centrale du pays équivaut à « donner la garde du poulailler au renard ».

Durant son mandat antérieur de directeur général, Bank Boston (qui a plus tard fusionné pour former Fleet Boston) fut l’une des diverses banques de Wall Street à avoir spéculé contre le real brésilien en 1998-99, entraînant l’effondrement spectaculaire de la bourse de São Paulo le « mercredi noir » du 13 janvier 1999. On estime que Bank Boston a fait 4,5 milliards de dollars de bénéfices inattendus au Brésil au cours du Plan Real, lancé avec un investissement initial de cent millions de dollars. (Latin Finance, 6 août 1998.)

Dans la crise financière actuelle, la perte des réserves de devises étrangères du pays a été spectaculaire. Hector Meirelles a servi les intérêts de Wall Street. En moins d’un mois, quelque 22,9 milliards de dollars des réserves de change de la Banque centrale ont été perdus sous la forme de fuites de capitaux. (Bloomberg, 26 octobre 2008.) Imposé par le Consensus de Washington, il n’existe au Brésil aucun contrôle des changes qui pourrait protéger le real des attaques spéculatives :

Les ventes de réserves pour acheter des reals sur le marché ont atteint 3,2 milliards de dollars entre le 8 et le 20 octobre, a déclaré Henrique Meirelles, président de la Banque centrale, lors d’un témoignage devant le Congrès hier soir. Les autres types d’intervention, notamment les prêts et les échanges de devises, n’affectent pas le niveau des réserves…

 Les décideurs politiques brésiliens ont été contraints de faire appel à des réserves records – plus de 200 milliards dollars – après que des investisseurs prudents ont retiré de l’argent des marchés émergents, causant la pire chute du real brésilien depuis sa dévaluation de 1999.

Le real a perdu un tiers de sa valeur face au dollar depuis le 1er août après neuf ans d’apogée, provoquant des pertes de plus de 5 milliards de reais (2,2 milliards de dollars) chez certaines grandes compagnies, à cause de mauvais paris sur la monnaie. L’indice boursier de référence a baissé de 32 pour cent durant la période.

Dans un décret publié aujourd’hui, le président Luiz Inácio Lula da Silva a permis à la Banque centrale de s’engager dans des opérations d’échange de monnaie avec les banques centrales étrangères. Les fonctionnaires de la Banque centrale à Brasilia ne sont pas immédiatement disposés à faire des commentaires, selon le bureau de presse. (Bloomberg, 26 octobre 2008.)

En outre, le gouvernement brésilien a imité le ministère des Finances étasunien en organisant le renflouage des institutions bancaires brésiliennes, dont la plupart sont en réalité contrôlées par des banques étasuniennes et européennes.

Le ministre des Finances du Brésil, Guido Mantega, sera à la présidence de la réunion du Groupe des 20 (G-20).

  

Le président de la Réserve fédérale US, Ben Bernanke (à gauche), le ministre des Finances US, Henry M. Paulson Jr. (2ème à gauche), le ministre des Finances du Brésil, Guido Mantega (2ème à droite), le président de la Banque centrale du Brésil, Henrique Meirelles (à droite) et le président US, George W. Bush (au centre), assistent à la réunion du Comité International Monétaire et Financier au siège du FMI, le 11 octobre 2008 à Washington. Les Ministres des Finances et les patrons des institutions financières sont à Washington pour les réunions annuelles.

L’union des pays du G-20 inclut le G-8 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie, États-Unis) plus le G-11 (Argentine, Australie, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Corée du Sud, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Turquie) et l’Union européenne.

La plupart des pays du G-11 pays sont lourdement endettés envers les créanciers occidentaux. Le consensus néolibéral prédomine. A l’exception de l’Australie et de l’Arabie Saoudite, ces pays obéissent aux diktats des institutions de Bretton Woods et de Wall Street.

De nombreux chevaux de Troie de la Banque mondiale et de Wall Street sont dispersés dans les banques centrales et les ministères des finances des quatre coins du monde. 
 

Les réunions du G-20 et les négociations font partie d’un rituel.

Le cartel des créanciers, Wall Street et les institutions de Bretton Woods, préfère les débats et les discussions à huis clos, avec ses collègues et amis du G-20. Il s’agit du « réseau des copains » (« old boys network ».

Il est peu probable qu’une alternative différente du consensus Washington-Wall Street ne naisse lors des réunions du G-20 ou du BRIC.

 

Article original en anglais, Wall Street`s Trojan Horse, 26 octobre 2008. 

La version française de cet article a été révisée le 30 octobre 2008.

Traduction Pétrus Lombard. Révisé par Nicolas Gourio pour Mondialisation.ca.

Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur d’économie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 11 langues).    



Articles Par : Prof Michel Chossudovsky

A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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