Le Chili en noir et blanc

Le couvre-feu est établi dans sept régions du pays: Antofagasta, Metropolitana, Coquimbo, Valparaiso, O’Higgins, Biobío et Valdivia. | Photo: EFE

Après de nombreuses années de rejet du système, l’autocuiseur a finalement éclaté.

Le modèle chilien, si admiré par les médias, a finalement rencontré la patience des citoyens qui ont éclaté en une vague de protestations exprimées dans des manifestations pacifiques et des casseroles, mais aussi dans une série d’actes de vandalisme d’une  extrême violence. Il est difficile, quelques heures avant les événements, d’élaborer une hypothèse plus ou moins précise sur la situation dans laquelle se trouve le pays sud-américain, après une journée qui s’est terminée par un couvre-feu et sous contrôle militaire dans deux des villes les plus importantes car elles sont le siège de deux pouvoirs de l’Etat, comme Santiago et Valparaiso.

Le fait que les protestations aient commencé en réaction à l’augmentation du tarif du métro de Santiago – une décision qui aurait finalement dû être suspendue par le président Piñera – ne signifie nullement la fin du conflit ; cette mesure disproportionnée contre une population qui a constamment perdu sa capacité économique pendant des décennies de gouvernements néolibéraux n’était qu’une goutte dans l’océan qui a fait couler beaucoup plus de demandes que ces 30 pesos de différence tarifaire. Ni les gouvernements de la « Concertación » , ni ceux de l’extrême droite de Sebastián Piñera n’ont pu comprendre dans toutes ses dimensions l’urgence d’équilibrer leurs politiques publiques en donnant une juste place aux demandes des citoyens.

Il est significatif que la plupart des actes de violence se sont concentrés précisément sur les entreprises qui suscitent de vifs ressentiments parce qu’elles sont le symbole d’un système qui marginalise la majorité : banques, bureaux de l’AFP, pharmacies, supermarchés, postes de péage et stations de métro ; la majorité du vandalisme, dans de nombreux cas avec destruction totale de leurs infrastructures, s’est concentré dans différents endroits du pays. Il semble donc qu’il ne s’agissait pas simplement d’une protestation contre le tarif de transport de la capitale, mais des abus systématiques d’un système conçu par et pour le groupe économique le plus privilégié, qui laisse la grande majorité en marge des bénéfices de la richesse, acculant ceux qui exigent des changements fondamentaux avec des ressources légales.

Dimanche, le Chili s’est réveillé avec une forte gueule de bois, mais les manifestations n’ont pas pris fin malgré la répression policière et la présence de l’armée dans ses villes les plus importantes. Les citoyens ne semblent pas intimidés par le fantôme de la dictature ou par les menaces explicites des autorités militaires qui ont pris le pouvoir. Il y a eu de nombreuses années de revendications et de manifestations en faveur du droit à la santé et à l’éducation, de l’élimination des privilèges des entreprises, de la déprédation systématique de leurs ressources naturelles accordées aux groupes d’affaires, de l’agression soutenue contre le peuple mapuche, de la privatisation de l’eau et de la précarité de l’emploi.

Les jours de protestations ont mis en lumière la dure réalité d’un pays qui semble prospère, mais qui est profondément affaibli par un système injuste et totalement déshumanisé. C’est le Chili en noir et blanc où l’image heureuse de l’exportation contraste avec une réalité de plus en plus précaire pour la classe ouvrière, qui vit dans la dette perpétuelle pour survivre, et pour une grande partie des jeunes dont les perspectives académiques et professionnelles sont de plus en plus étroites. Mais le gouvernement de Piñera a réagi par la répression et, loin de comprendre la nécessité du dialogue et du consensus, il agit contre la raison en appliquant la force : une faille stratégique aussi profonde et étendue que celle qui traverse la géographie de ce beau pays.

LES CITOYENS CHILIENS EXIGENT DES RÉPONSES POLITIQUES ET NON UNE RÉPRESSION MILITAIRE.

Carolina Vásquez Araya

 

Article original en espagnol : Chile, en Blanco y Negro, El Quinto Patio, le 21 octobre 2019.

Traduction Bernard Tornare

 



Articles Par : Carolina Vásquez Araya

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