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Le climat ou le profit ?
Par Daniel Tanuro
Mondialisation.ca, 13 mars 2007
J8 summit 28 février 2007
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/le-climat-ou-le-profit/5066

Le tabac ayant été identifié comme cause de cancer, que dirait-on d’un médecin qui, découvrant une tumeur au poumon chez un patient, lui prescrirait la cigarette ? On dirait que c’est un charlatan, ou un assassin.

On ne soigne pas le mal par le mal, mais en s’attaquant au mal.

La même logique s’applique à la lutte pour le climat. Le changement climatique « est un échec sans précédent du marché », selon le « rapport Stern » (1). Croire qu’un phénomène dû au marché pourrait être combattu par l’extension du marché est absurde. C’est pourtant ce que propose Stern, et c’est dans ce sens que va le G8 : plus de marché, plus de croissance, plus de mondialisation,… Or, il faut aller dans le sens opposé : moins de marché, plus de public ; moins de concurrence, plus de collaboration ; moins de « liberté d’entreprendre », plus de planification ; moins de mondialisation économique, plus de localisation. Une politique pour les besoins n’a pas besoin de produire toujours plus.

Pourquoi l’économie de marché est-elle responsable du réchauffement ? Parce qu’elle est basée sur la concurrence et l’accumulation. Les décisions de production ne sont pas prises en fonction de l’utilité et de l’écologie, mais en fonction des profits. Des choses inutiles ou nuisibles sont réalisées dans le seul but de satisfaire l’avidité des actionnaires. Des campagnes publicitaires coûteuses servent à écouler les marchandises. La concurrence aveugle pousse à la surproduction, une partie va au rebut. Des objets sont conçus pour s’user rapidement, ou consommer trop d’énergie. On fabrique dans les pays pauvres, puis on transporte dans les pays riches,… Bref : le gaspillage des ressources est inhérent à l’économie de marché.

L’usage des combustibles fossiles est lui-même le résultat de cette logique du profit. On sait depuis 1839 que la lumière naturelle génère de l’électricité en rencontrant certains matériaux (« effet photovoltaïque »).

Si la recherche scientifique avait été orientée prioritairement vers l’exploitation de l’énergie solaire, l’atmosphère aujourd’hui ne serait pas saturée en carbone. Or, pourquoi cette orientation n’a-t-elle pas été prise ? Notamment parce que personne ne peut être propriétaire du flux solaire illimité, tandis qu’on peut être propriétaire des stocks limités de charbon, de pétrole, de gaz,… et que cela procure d’énormes profits.

Vente des produits pétroliers : 2000 milliards d’Euros par an. Coûts : 500 milliards. Le profit 1500 milliards/an à l’échelle mondiale ! – est empoché par quelques multinationales et (sauf au Venezuela) par les super-privilégiés au pouvoir dans les pays producteurs (2). Le pétrole, c’est leur poule aux œufs d’or. Ils souhaitent qu’elle ponde le plus longtemps possible. Ce souhait est partagé par les secteurs annexes : automobile, fabrication navale, aéronautique, pétrochimie… Ce sont des milieux puissants, avec beaucoup d’influence politique. Résultat : alors que les scientifiques mettent en garde depuis plus de trente ans contre le danger du réchauffement, rien n’a été fait, ou presque.

Responsable du gâchis, le marché fait tout pour retarder les mesures à prendre. Quand elles sont prises, il tente de les atténuer. Ou de les déformer à tel point qu’elles méritent à peine d’être qualifiées de « premier pas dans la bonne direction ». Le Protocole de Kyoto est tellement truffé de « mécanismes flexibles » qu’il réduira au mieux les émissions globales des pays industrialisés de 1,7% en 2012(3). Or, elles doivent diminuer de 70% environ d’ici 2050…

70% d’ici 2050 : une telle diminution est-elle possible dans des délais aussi brefs ? Oui, le climat peut encore être sauvé. Le rayonnement reçu du Soleil représente 8000 fois la consommation mondiale d’énergie. Les technologies actuelles permettraient d’en utiliser un millième : huit fois les besoins actuels de l’Humanité. La recherche scientifique augmentera ce potentiel. Il faut certes faire des économies, supprimer les gaspillages – cela concerne aussi chacun de nous. Mais nous ne sommes pas condamnés à choisir entre le climat et le bien-être, ou entre le climat et le développement des pays du Sud !

Jusqu’à présent, les effets du réchauffement touchent quasi exclusivement les pauvres (y compris dans les pays riches : le cyclone Katrina – New Orleans 2005 – a fait plus de 1000 morts, presque tous pauvres et Noirs).

Pourtant, en fin de compte, le marché devra bien faire quelque chose pour stabiliser la situation. Le moment de cette décision approche inexorablement, mais cela ne marquera pas la fin de nos problèmes. Car le marché agira en fonction du profit, pas en fonction des besoins. Quand le sauvetage de ce qui restera de notre climat deviendra rentable pour les actionnaires – pas avant – il nous le fera payer par toutes sortes de procédés. Tant pis pour ceux qui n’ont pas les moyens

Sauver le climat avant qu’il soit trop tard – le sauver au maximum du possible, pour tous, dans la justice et la solidarité – implique tout faire pour que la hausse de température ne dépasse pas 2° par rapport à 1790. Le rapport Stern estime le coût des mesures à prendre entre 1050 et 1200 milliards de dollars par an… et trouve que c’est trop cher. Trop cher, alors que les budgets des armées engloutissent annuellement 1037 milliards de dollars (4), que les profits pétroliers « pèsent » 1500 milliards d’Euros ? Trop cher, alors que 200 millions de gens devraient fuir la montée des océans d’ici 2080, que le réchauffement ajouterait trois milliards d’hommes, de femmes et d’enfants à la liste de ceux qui souffrent déjà de pénurie d’eau ?

« Là où est le danger, il y a place aussi pour le salut » (Hölderlin). Face au danger climatique, il faut choisir : le climat ou le profit ? C’est un choix de société à trancher par la société, pas par les « experts ».

Notes

(1) Rapport rédigé par sir Nicholas Stern à la demande du gouvernement britannique, octobre 2006.

(2) Jean-Marie Chevalier, « Les grandes batailles de l’énergie », Gallimard 2004

(3) Agence Européenne de l’Environnement, rapport N°8/2005, p.9

(4) Chiffre 2004 du SIPRI, Stockholm TANIAU Léon

Rédigé pour le J8 par Daniel Tanuro, février 2007.

Daniel Tanuro est ingénieur et environnementaliste écosocialiste. Il analyse la politique climatique notamment sur www.europe-solidaire.org , www.legrandsoir.info , www.mondialisation.ca , ainsi que dans le mensuel « Inprecor » www.inprecor.org

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