Le « complot terroriste » de l’aéroport JFK : encore une menace grandement exagérée

Les informations du week-end aux Etats-Unis ont été dominées par les gros titres racoleurs et les reportages sensationnalistes d’un soi-disant complot terroriste à New York visant à faire sauter les réservoirs de kérosène et les pipelines d’approvisionnement de l’aéroport international John F Kennedy. L’attentat aurait été, à en croire de nombreux reportages, « plus dévastateur que le 11 septembre. »

Quatre hommes ont été arrêtés et font l’objet d’une mise en accusation révélée dimanche dans lequel le gouvernement fait apparaître des éléments qui sont à présent quasiment les mêmes dans chaque affaire de « terrorisme » similaire de ces dernières années. En premier lieu, les suspects n’ont, non seulement, pas commis d’actions terroristes, mais apparemment ils n’avaient aucun moyen de réaliser de tels attentats. Deuxièmement, une figure centrale de ce soi-disant complot était un informateur secret payé par le FBI.

Les chaînes de radio et de télévision ont parlé de la pire menace depuis les attentats de New York et de Washington en 2001, tandis que des reporters étaient envoyés pour faire des interviews de passagers pris au hasard se trouvant à l’aéroport JFK ainsi que d’habitants vivant aux abords des pipelines, leur demandant ce qu’ils ressentaient après être soi-disant passés à deux doigts de la mort.

Comme d’habitude, la presse à sensation a excellé dans ce sensationnalisme. Le New York Post de Rupert Murdoch a qualifié dans ses gros titres ce prétendu complot de « projet d’un enfer » et publié un éditorial déclarant que le projet prévu « de causer des dégâts désastreux à l’aéroport international JFK et ses abords résidentiels souligne une fois de plus l’extrême menace que le terrorisme islamiste pose à l’Amérique. »

Le Daily News de New York a publié lundi cinq pages sur le « complot » avec en première page le gros titre « Le Mal a dîné à la table 8 », mettant en avant une interview de la serveuse de Brooklyn qui avait servi le repas de Russell Defreitas que le journal décrit comme le « cerveau » de ce prétendu complot, juste avant qu’il ne soit arrêté par les agents fédéraux et la police.

Et pourtant, le profil de Defreitas, citoyen américain de 63 ans qui émigra du Guyana il y a 25 ans, est loin de suggérer un « cerveau » terroriste. Un ancien ami le décrit comme quelqu’un qui, avant de se convertir à l’islam, s’était déclaré Rasta et s’était laissé pousser des dreadlocks. Il a rappelé qu’il s’était lancé dans divers projets commerciaux d’exportation de climatiseurs et de réfrigérateurs au Guyana, mais qu’ils avaient tous capoté.

« Il n’était même pas capable de réparer des freins, a dit l’ancien ami. Il n’a jamais construit de bombes. »

D’autres reportages le décrivent comme un ouvrier à la retraite vivant dans un quartier pauvre de Brooklyn, qui à divers moments s’était retrouvé SDF. Le Newsday de New York, par exemple, a écrit, « Depuis qu’il a été licencié de son travail de manutentionnaire il y a de cela plusieurs années, Russell Defreitas mène une vie frugale, dormant parfois dans les trains, cherchant à survivre grâce à de petites combines, vendant de l’encens au coin des rues et recevant des allocations, d’après les dires de connaissances. »

Ont aussi été mis en cause sous le même chef d’accusation Abdul Kadir, ressortissant guyanais et ancien député du Guyana, et Kareem Ibrahim, ressortissant du Trinidad, tous deux en état d’arrestation au Trinidad et en attente d’une audition concernant une requête d’extradition des Etats-Unis. Leurs avocats ont dit qu’ils s’opposeraient à l’extradition, en soulevant vraisemblablement la question du bilan américain de torture de personnes suspectées de terrorisme. Un quatrième accusé, Abdel Nur, lui aussi ressortissant guyanais, n’a pas encore été arrêté.

Une figure clé de ce prétendu complot, n’est cependant identifiée dans cette mise en accusation que par le terme de « source ». Il a été identifié comme un trafiquant de drogue déjà condamné, qui en échange d’un avis favorable sur une peine de prison en attente ainsi que d’un paiement, a accepté d’infiltrer cette soi-disant cellule terroriste.

Le plus gros des preuves contenues dans la mise en accusation consiste en des enregistrements de conversation entre « la source » et les accusés. Mais ce qui apparaît clairement, c’est le rôle considérable joué par « l’informateur » dans ce prétendu complot. On rapporte les paroles de Defreitas disant qu’ils le voyaient comme quelqu’un « envoyé par Allah » pour les guider.

La mise en accusation fait aussi état de rencontres et de conversations enregistrées entre Defreitas, « la source » et des individus au Guyana qui ne sont identifiés que par « Individus de A à F. »

On cite ces six hommes non nommés, proposant une grande variété d’actions terroristes, dont celle de faire entrer illégalement « des moudjahidines d’Asie au Guyana puis ensuite aux Etats-Unis, » de « faire sauter des hélicoptères américains à l’aéroport guyanais et le projet de faire sauter le système de ravitaillement en kérosène de JFK. Sur cette dernière proposition, ces individus non nommés suggèrent aussi l’utilisation de dynamite et d’explosifs chimiques et donnent des conseils sur la manière de s’en procurer. L’un de ces individus propose aussi que les comploteurs se fassent aider par un groupe islamiste du Trinidad, Jamaat al Muslimeen. Dans le compte-rendu de ces conversations, il n’y a aucune prise de parole de la part de Defreitas. 

La question évidente qui se pose est de savoir pourquoi ces six « individus » non nommés n’ont pas été accusés. Une explication possible est qu’eux aussi, d’une manière ou d’une autre, seraient les participants d’une tentative élaborée de prendre au piège un infortuné retraité parfois SDF, ainsi que d’autres dans un complot qui a été, à la base, monté de toutes pièces par le gouvernement américain à ses propres fins.

Les reportages médiatiques à faire froid dans le dos reflètent largement le langage très chargé des procureurs et policiers américains présentant la mise en accusation. Roslynn Mauskopf, procureur à Brooklyn, New York, a dit en annonçant les charges, « si ce complot avait été mis à exécution, il aurait pu avoir des conséquences insondables, des morts et la destruction. » Elle a ajouté, « La dévastation que cela aurait occasionnée si ce complot avait réussi est tout simplement impensable. »

Les termes « insondables » et « impensables » ont été à n’en pas douter choisis avec soin, étant donné que le type de réaction en chaîne d’explosions décrites dans la mise en accusation est tout simplement impossible.

Les responsables de la sécurité aéroportuaire tout comme les experts en pipelines ont rejeté la soi-disant désastreuse catastrophe qui se serait déclenchée par l’explosion d’un pipeline de kérosène ou de réservoirs d’approvisionnement. Alors que le chef d’accusation du gouvernement fédéral suggérait qu’une telle explosion pourrait parcourir les pipelines joignant les réservoirs de Linden, (New Jersey) jusque Brooklyn (New York) et traverser le quartier de Queens, c’est en fait impossible, à la fois parce que les pipelines sont équipés de soupapes de sécurité qui arrêtent le flux de kérosène en cas de fuite et parce qu’il n’y a pas suffisamment d’oxygène dans les pipelines pour alimenter un incendie.

Le New York Times, dont le scepticisme quant à la mise en accusation fédérale est apparu clairement dans le fait que le journal a relégué les reportages sur le « complot » à JFK dans ses pages Metro, citait Neal Sonnett, avocat de la défense et ancien procureur fédéral, « Il est regrettable qu’il y ait une tendance à crier un peu trop fort dans de telles affaires. »

L’article du Times disait aussi que Sonnett, ancien président de l’Association nationale des avocats de la défense dans les affaires criminelles, « faisait remarquer qu’il y a un risque plus grand à exagérer la sophistication d’un complot terroriste. A une époque où de nombreux Américains vivent avec la peur justifiée d’un attentat, le risque est que les battements de tambours créent un climat de peur et deviennent la force motrice de la politique publique. »

Il y a tout lieu de croire que la succession d’affaires « terroristes », chacune un peu moins crédible que la précédente et quasiment toutes conduites par des « informateurs » qui semblent davantage jouer le rôle d’agent provocateur, a précisément cela pour objectif. Cela sert de moyen d’intimidation de l’opinion publique par la peur, et à justifier les attaques sur les droits démocratiques et à détourner l’attention de la débâcle en train de se produire en Irak.

Le problème auquel est confronté le gouvernement est que la population devient de plus en plus sceptique sur ces affaires, avec une proportion non négligeable étant arrivée à la conclusion qu’elles sont montées de toutes pièces pour des raisons politiques.

Dans ces conditions, le danger est que ceux qui tiennent les rênes du pouvoir à Washington en viennent à conclure que quelque chose de plus tangible est nécessaire.

Le jour même où « le complot terroriste » de JFK faisait les gros titres, Le Democrat-gazette de l’Arkansas publiait une interview révélatrice du nouveau leader du Parti républicain de cet état qui se décrivait comme étant à « 150 pour cent pour Bush. »

« Au bout du compte », disait ce leader de parti Dennis Milligan, propriétaire de l’entreprise de traitement des eaux, « je suis entièrement convaincu que le président fait ce qui est juste, et je pense qu’on a juste besoin de quelques attentats sur le sol américain comme on en a eu [le 11 septembre 2001] pour que ceux qui s’opposent à nous nous rejoignent très vite… »

La question est de savoir si l’entourage de Bush est en train de parvenir aux mêmes conclusions et de se préparer à monter de toutes pièces, ou bien à laisser-faire, une autre série d’attentats terroristes « sur le sol américain » pour servir de prétexte à la suppression de l’opposition populaire écrasante à l’égard de sa politique.

Article original en anglais paru le 5 juin 2007.



Articles Par : Bill Van Auken

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