Le Corbusier, Godard : la chasse aux sorcières va-t-elle trop loin ?
Certains médias américains et israéliens dénoncent le choix de l’Académie des oscars de récompenser le cinéaste rollois, taxé d’antisémitisme
Image © Keystone
Le 18 novembre prochain, le réalisateur de «Pierrot le fou» doit se voir décerner un oscar honorifique à Los Angeles.
«L’Académie des oscars va-t-elle récompenser un antisémite notoire?» C’est Haaretz, l’un des principaux quotidiens israéliens, qui soulève la question dans son édition de lundi. En cause: la décision de remettre un trophée honorifique à Jean-Luc Godard, le 18 novembre prochain à Los Angeles. Un choix jugé discutable par certains, en raison des déclarations tenues dans le passé par le réalisateur franco-suisse.
Depuis peu, la polémique enfle outre-Atlantique. «Hollywood honore un déshonoré», s’insurge l’hebdomadaire new-yorkais Forward, qui dénonce «l’obsession malsaine de Godard pour les Juifs» et rapporte certains dérapages douteux du cinéaste. A commencer par le «sale Juif» lancé à la figure du producteur Pierre Braunberger, dans les années 1960, en présence d’un François Truffaut scandalisé.
Deux biographies
Antisémite, Godard? La question a été remise au goût du jour par la parution récente de deux biographies, l’une américaine, l’autre française. Parue en 2008, celle de Richard Brody, journaliste au New Yorker, montrait un Godard incapable d’évoquer les Juifs autrement que de manière négative. «Godard n’a jamais été publiquement antisémite», nuance pour sa part l’historien français Antoine de Baecque, auteur d’une biographie parue en mars dernier. Certains témoignages, ajoute-t-il, montrent tout de même que le réalisateur a parfois dérapé. Comme en 1973, lorsqu’il reçoit un coup de téléphone du réalisateur Jean-Pierre Gorin, juif, qui lui réclame sa part de droits sur un film qu’ils ont tourné ensemble: «Ah, c’est toujours la même chose, les Juifs vous appellent quand ils entendent le bruit du tiroir-caisse», répond-il ironiquement.
Les déclarations les plus controversées de Godard lui ont été inspirées par le conflit israélo-palestinien: «Les attentats suicides pour parvenir à faire exister un Etat palestinien ressemblent à ce que firent les Juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’Etat d’Israël», aurait-il déclaré lors d’un tournage en 2006. Pour Johann Gurfinkiel, secrétaire général de la coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad), c’est dans cette phrase que réside l’essentiel du problème: «Elle avait déjà fait couler beaucoup d’encre, mais le dossier ressort aujourd’hui avec la perspective de l’oscar. Aux Etats-Unis, cela commence à faire du bruit, et ce n’est qu’un début. Des ONG se mobilisent déjà, qui nous demandent des informations au sujet de Godard.»
Privé d’oscar
Après Le Corbusier, rayé d’une campagne d’UBS pour ses penchants antisémites ( lire encadré), le cinéaste rollois doit-t-il se voir privé d’oscar? Johann Gurfinkiel avoue ne pas avoir de position tranchée: «Savoir s’il faut récompenser un artiste en dépit de ses positions personnelles, c’est une question ancienne et complexe. Mais il est clair qu’il serait préférable qu’un individu honoré d’un oscar soit au-delà de tout soupçon.»
Le Corbusier et agassiz avant lui
Fin septembre, l’architecte chaux-de-fonnier Le Corbusier (1887-1965) a disparu d’une campagne publicitaire d’UBS, en raison de la polémique autour de ses sympathies envers Vichy, de son admiration pour Hitler et de son antisémitisme. Une semblable controverse a visé ces dernières années le naturaliste suisse Louis Agassiz (1807-1873): en 2007, un comité s’est créé pour débaptiser le sommet des alpes bernoises qui porte le nom du Fribourgeois, célèbre pour ses travaux sur les glaciers, mais également théoricien du racisme «scientifique».