Le coronavirus, maladie infantile du libéralisme?

En débat - Jean Geronimo - tribunes

Bien qu’elle ne soit pas à l’origine de sa naissance, la mondialisation néolibérale a objectivement favorisé la propagation accélérée de la pandémie du coronavirus. En effet, en imposant une dérégulation a-étatique généralisée à la surface du globe, sacrifiant l’humain et la recherche sur l’autel du profit, l’idéologie libérale triomphante de la Guerre froide a commis une erreur historique. L’absence de réelle gouvernance sanitaire explique l’impasse dramatique de la gestion du virus.


Générée par les dérives incontrôlables du néolibéralisme globalisé, la crise sanitaire du coronavirus s’est muée en crise systémique impliquant l’ensemble des rouages de la société. Or, à l’origine, c’est le déclin du communisme soviétique qui a nourri le terreau idéologique du désordre mondial post-guerre froide.

En effet, avec l’accélération de la mondialisation, d’abord économique dans les années 50 puis financière dans les années 80, l’idéologie libérale triomphante de la Guerre froide a baigné dans une douce euphorie. Le 25 décembre 1991, la démission du dernier président de l’URSS, Mikhail Gorbatchev scellait la défaite idéologique finale du bloc soviétique, « avant-garde éclairée du socialisme avancé » selon la terminologie brejnévienne. Pour F. Fukuyama, idéologue libéral-droit-de-l’hommiste, avide de soigner son image-marketing au cœur de la littérature anti-communiste, c’était la « fin de l’histoire » avec désormais une seule vérité et une seule issue au bonheur humain : le capitalisme libéral. Par ricochet, cette faillite du communisme soviétique sanctionnait aussi la victoire d’une idéologie court-termiste, matérialiste et individualiste, sacrifiant l’humain sur l’autel sacré du profit. Sur le chemin allègre de la mondialisation promise, la gouvernance néolibérale (FMI, OMC, Banque mondiale, Trésor américain) pouvait, enfin, achever son œuvre – selon 3 axes, impliquant la réduction drastique des dépenses publiques : dérégulation, désétatisation et privatisation. En route pour la « mondialisation heureuse », pour reprendre le mot d’Alain Minc. Tout semblait aller de soi.

Bref, le paradis libéral – comme l’emploi – était là, en traversant la rue. Il suffisait de développer les échanges transnationaux et d’instaurer un nouvel ordre économique mondial unifié, fondé sur l’interdépendance des Etats, sous la houlette d’une gouvernance néolibérale verrouillée par le leadership américain. L’internationalisation des économies s’est réalisée d’autant plus rapidement que son obstacle géopolitique majeur, le communisme de type soviétique, épuisé par la course aux armements, piégé par la pression technologique du libéralisme global et incapable de s’adapter à un défi sociétal majeur, s’était perdu dans les oubliettes de l’histoire. La logique néolibérale pouvait enfin se propager à travers les frontières, sans obstacle majeur, à la surface du globe. Désormais, dans le cadre d’une économie mondiale de plus en plus dérégulée et donc, de moins en moins contrôlée, tout circulait plus vite et plus fort : les capitaux, les marchandises et les hommes, potentiellement porteurs de virus. Le messe – néolibérale – semblait dite. Comme une fatalité, diabolique.

Or, comme la radioactivité de Tchernobyl, les virus ne s’arrêtent pas aux frontières. Et leur circulation est accélérée par la logique interne au modèle néolibéral, fondée sur la vitesse vertigineuse des flux économiques et humains : le temps c’est de l’argent. Dans le cadre du « village global » interconnecté de Mc Luhan, déconstruisant la souveraineté des états et très permissif en matière de droits, de libertés individuelles et de circulation, tout semble aller trop vite. Faute d’une gouvernance sanitaire supranationale dotée d’un réel pouvoir de contrôle et de coercition, la moindre épidémie peut se répandre comme une trainée de poudre dans un ciel limpide. Un fait aggravant est que dans la logique libérale, la rentabilité reste la règle d’or et la recherche médicale anti-épidémique n’y échappe pas. En raison de cette contrainte financière comprimant les investissements pour l’homme – scientifiques, sanitaires et sécuritaires –, les progrès dans la lutte anti-coronavirus ont été objectivement freinés. De ce point de vue, en se trompant de priorité, le capitalisme libéral a fait une erreur historique. Prônant un libéralisme à tout va excluant toute intervention de l’état via la politique budgétaire, cette idéologie du « tout-marché » a eu tort contre le communisme qui, en dépit de ses défauts, avait placé l’homme et ses besoins vitaux au cœur de ses priorités – et de ses réformes. Avec sa Perestroïka, avide de ressusciter le « socialisme à visage humain » du Printemps de Prague, Gorbatchev avait donc raison – contre le marché. Or, en le lâchant au profit du libéral Boris Eltsine, l’Occident l’a honteusement trahi.

Au final, comme sous-produit d’une mondialisation défaillante et anti-communiste, le coronavirus apparait comme la maladie infantile d’un capitalisme libéral terriblement hautain et inconscient, unique survivant idéologique d’une hypothétique fin de l’histoire – à l’instar du modèle américain et de sa gestion hyper-politisée, donc désastreuse, du terrible virus. Loin d’une mort annoncée par l’échec de l’expérience soviétique et montrant une redoutable résilience historique encouragée par l’impasse néolibérale, l’idéologie communiste semble renaitre de ses cendres pour, sans doute, relever un formidable défi : une mondialisation régulée et recentrée sur l’homme, grâce au retour de l’Etat-providence. Pour, enfin, croire à l’impossible – et la victoire des anges.

Jean Geronimo

Docteur en économie

Enseignant-chercheur – Université de Grenoble



Articles Par : Jean Géronimo

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