Le Costa Rica et le mythe du pays « le plus heureux du monde »

Le Costa Rica est arrivé en tête du classement des 149 pays les plus heureux du monde, publié par la New Economics Foundation (NEF) (Happy Planet Index, 2009). Nic Marks, l’éditeur anglais de cette étude, s’est donc rendu dans ce pays d’Amérique du Sud, et là-bas, il s’est déclaré « très ému de comprendre les raisons de ce record ». Il a ajouté : « comment faire pour que d’autres pays suivent l’exemple du Costa Rica ? »
Le voyageur britannique a eu droit à une visite guidée par les autorités, aux anges, du « pays le plus heureux du monde ». Cependant, on s’est bien gardé de lui présenter la jeune Lineth Campos. L’histoire remonte à deux ans : lors d’une cérémonie officielle à Nicoya (dans la province de Guanacaste, au nord-ouest du pays), cette jeune fille s’était attiré les foudres du président Óscar Arias et de ses ministres, en récitant les vers d’un poème d’Alvaro Villegas :
L’enquête de la NEF semble répondre aux attentes des agences de « tourisme d’aventure » et aux intérêts des promoteurs immobiliers qui ciblent les retraités d’Europe et des États-Unis. C’est sans doute pourquoi la NEF bénéficie du soutien d’institutions telles que l’« Université de la Paix ». Cet établissement, dont le président d’honneur est le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, compte notamment parmi ses membres l’ancien président « démocrate » d’Uruguay, Julio María Sanguinetti, et le technocrate chilien Francisco Rojas Aravena…
Les enquêtes menées dans le cadre du programme « Étude de la nation » présidé par Jorge Vargas Curell, font entendre un tout autre son de cloche. Les chiffres obtenus sont en effet moins optimistes : plus d’un million de pauvres ont été recensés au Costa Rica, soit 25 % de la population, dont 7 % se trouvent dans des conditions d’extrême pauvreté (avec des revenus de 80 dollars par mois dans les villes et 63 dollars par mois dans les campagnes) ; et 40 % des enfants et des adolescents vivent dans la pauvreté.
En résumé, le Costa Rica est un pays où, selon le politologue Andrés Mora Ramírez, « la résignation prend le masque du bonheur ». Depuis 2010, avec la mise en place des politiques néolibérales, le chômage n’a cessé d’augmenter et le fossé entre les plus riches et les plus pauvres de se creuser. Les inégalités ont atteint leur plus haut niveau « depuis un quart de siècle ».
Mora Ramírez fait ici allusion à l’échec de l’impopulaire Parti de libération nationale (PLN — au pouvoir). Ce parti, né des idéaux socio-démocrates de José Figueres en 1948, s’est converti selon lui au fil des années « …en un mouvement de droite et un vrai cheval de Troie du grand capital international et de ses groupes dominants ».
Considérer comme un privilège d’être un « pays sans armée », celle-ci ayant été abolie par la Constitution de 1949, relève également du mythe costaricien. Selon certaines fondations allemandes réactionnaires, comme la Konrad Adenauer (démocrate-chrétienne), cette singularité institutionnelle aurait fait du Costa Rica l’un des pays les « plus démocratiques et les plus sûrs d’Amérique Latine ». Cette affirmation est vraie jusqu’à un certain point, si l’on compare le Costa Rica avec ses pays voisins, où la situation sociale est dramatique.
Cependant, les blessures du peuple restent ouvertes. En effet, beaucoup de Costariciens sentent bien que ces soi-disant « démocratie », « sécurité », et ce prétendu « bonheur » du pays sont en contradiction avec le sens profond des vers déclamés par Lineth ; ces vers qui ont été écrits pour célébrer l’esprit patriote et anti-impérialiste qui mit en déroute le flibustier yankee William Walker lors de la bataille de Santa Rosa, dans la province de Guanacaste, le 20 mars 1856.
En fait, plutôt qu’un « pays heureux », le Costa Rica est aujourd’hui un protectorat virtuel des États-Unis, et la pierre angulaire des plans de domination du Pentagone en Amérique Centrale et dans les Caraïbes. Par exemple, en juillet 2010, l’Assemblée législative a approuvé à l’unanimité l’entrée sur le territoire national de 7 000 Marines et de 46 navires de guerre, équipés d’hélicoptères et d’avions de combat ; ce qui est une violation flagrante de la Constitution.
L’autorisation d’entrée avait été demandée par l’ambassade des États-Unis à San José, au moyen d’une lettre sans traduction officielle. Le gouvernement de Laura Chinchilla l’avait immédiatement transmise à l’Assemblée législative. L’accord stipulait que le pays « le plus heureux du monde » renonçait à formuler la moindre réclamation « …pour tout dommage, destruction de la propriété d’autrui, blessures ou décès du personnel des deux pays qui pourraient résulter de ces activités ». En bref, les troupes yankees ne relevaient pas de la juridiction du Costa Rica.
À l’encontre des politiciens néolibéraux du PLN et des sociaux-chrétiens du PUSC (Parti unité sociale-chrétienne), et à l’écart de ces prétendus « libertaires » (la version créole et ultra-néolibérale du Tea Party), une personnalité commence à s’imposer : celle du jeune député José María Villalta, actuellement en tête des sondages et qui se présente comme candidat du Front Large (Frente Amplio — FA), la coalition des forces progressistes et de la gauche.
Les élections présidentielles, prévues le dimanche 2 février, pourraient réserver une agréable surprise : qu’une victoire du FA réussisse à faire sortir le pays du cercle vicieux des gouvernements costariciens au service des intérêts étrangers. Ce résultat électoral permettrait de rompre avec un demi-siècle d’aliénation, de défaitisme et de perte de la souveraineté nationale. Pour cela, il suffirait que Villalta passe au second tour.
En attendant, les vers clamés par Lineth redonnent courage :
« Réveille-toi, frère du Guanacaste, et réveille ton esprit insoumis / ôte ta muselière, retire ta bride, et sois digne de l’audace et de la fierté du peuple chorotega, prends en main les rênes du poulain sauvage et dompte le taureau féroce de l’impérialisme… »
José Steinsleger
La Jornada. Mexico, 15 janvier 2014.
Article original en espagnol : Costa Rica y el mito del país » más feliz del mundo « , publié le 15 janvier 2014.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par Jessica Pagazani, le 29 janvier 2014
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