Le déclin économique de l’Europe s’accélère, les exportations allemandes en chute libre

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Les chiffres les plus récents d’Eurostat, l’Office des publications officielles des Communautés européennes, révèlent l’ampleur du déclin de l’économie européenne en raison de la crise économique et financière.

Selon les chiffres publiés par Eurostat au début du mois d’avril, l’économie des 16 pays européens faisant partie de la zone euro a rétréci de 1,6 pour cent au cours des trois derniers mois de 2008 par rapport au trimestre précédent. En comparaison avec la période de 2007, le PIB de la zone euro s’est contracté de 1,5 pour cent.

Les économies combinées de l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne se sont aussi contractées, accusant une baisse de 1,5 pour cent à la fin de 2008 par rapport au trimestre précédent, et de 1,4 pour cent rapport aux trois derniers mois de 2007.

La principale raison de ce déclin des économies de la zone euro en 2008 fut une grosse chute des recettes d’exportation des principaux exportateurs européens. De par la zone euro, les exportations ont baissé de 6,7 pour cent alors que les investissements des entreprises ont baissé de 4.0 pour cent. L’Allemagne tout particulièrement a connu un déclin économique supérieur à la moyenne au cours du dernier trimestre de 2008, de 2,1 pour cent.

Les exportations allemandes en chute libre

Les chiffres les plus récents de l’Allemagne, le premier exportateur européen et de loin l’économie la plus importante du continent, révèlent que son déclin est en train de s’accélérer au moment où un nombre de rapports constatent que les exportations du pays se trouvent « en chute libre ».

Les chiffres publiés mardi par l’Office fédéral allemand de la statistique révèlent que les exportations ont reculé de 23 pour cent en février par rapport à l’année précédente. Les exportations à destination des pays communautaires (deux tiers des exportations totales) ont baissé de 24,4 pour cent, contre un recul de 20,6 pour cent des exportations vers des pays non communautaires. La baisse brutale des exportations allemandes durant les deux premiers mois de 2009 représente la baisse la plus spectaculaire depuis les années 1950.

En raison de la chute des exportations, la balance extérieure de l’Allemagne a presque été réduite de moitié en passant de 17,1 milliards d’euros il y a un an à 8,9 milliards d’euros en février 2009.

Cette baisse des exportations en février est pratiquement identique au déclin enregistré en janvier indiquant clairement une dégringolade de la demande mondiale pour nombre de produits allemands de qualité, mais chers, tel les voitures, les machines et les produits manufacturés. La fédération du commerce de gros et du commerce extérieur allemand (Bundesverband des deutschen Groß- und Außenhandels, BGA) a déclaré que les plus récents chiffres reflétaient une récession mondiale massive et qui entraînerait pour ses membres des pertes énormes de profit.

L’économie allemande est fortement tributaire des recettes dues à l’exportation. Ses exportations correspondaient en 2008 à plus de 47 pour cent de son PIB. Ce qui est plus du double de la valeur totale de ses principaux concurrents. Le chiffre comparable du Japon est moins de 20 pour cent et environ 13 pour cent pour les Etats-Unis.

Les chiffres émanant du ministère allemand de l’Economie montrent que les entrées de commandes de produits manufacturés avaient reculé de 38 pour cent en février par rapport au même mois en 2008.

Les problèmes auxquels l’économie allemande est confrontée ont été soulignés par les chiffres que vient de publier le constructeur automobile Daimler.

Mercredi, lors de la réunion des actionnaires, le président du groupe Daimler Benz, Dieter Zetsche, a révélé que les ventes mondiales du groupe avaient plongé de 23 pour cent durant les trois premiers mois de cette année. Alors que certains constructeurs automobile allemands produisant des voitures meilleur marché ont été en mesure de bénéficier du généreux plan de la prime à la casse, subventionné par le gouvernement allemand au profit de l’industrie automobile, la demande pour des voitures Mercedes-Benz, Smart deux places et camions gros tonnage, a chuté considérablement. Le groupe n’a vendu que 244 800 véhicules contre 318 000 il y a un an.

Zetsche a déclaré que l’entreprise réagirait au recul des ventes de ses produits par un programme d’austérité draconien. Un grand nombre de salariés de l’entreprise ont déjà été mis au chômage partiel sans compensation de salaire et l’entreprise n’écarte plus des suppressions d’emploi obligatoires.

Le même jour où Daimler faisait son annonce, la société Karmann d’Osnabrück, annonçait qu’elle demandait l’ouverture d’une procédure de dépôt de bilan. Karmann est un équipementier automobile indépendant et un fournisseur de services qui existe depuis 1901. L’entreprise est poussée à la faillite en raison du recul des demandes de ses produits, notamment de la part de Daimler et d’Audi.

Considéré autrefois comme le « fleuron » de son économie, la confiance de l’Allemagne dans les exportations se transforme de plus en plus dans son talon d’Achille. Les banques allemandes ont amassé moins de « crédits toxiques » que les banques américaines et britanniques et le pays n’a pas été exposé autant à la bulle immobilière et au boum de la consommation que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les pays communautaires, tel l’Espagne, mais plus la récession mondiale se prolonge et se creuse et plus douloureuses seront les conséquences pour l’économie allemande orientée vers l’exportation.

L’on estime déjà que l’économie allemande souffrira d’un déclin économique bien plus fort que ce ne sera le cas cette année pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Les chiffres les plus récents provenant de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) anticipent une contraction de 5,3 pour cent de l’économie allemande en 2009, contre 4 pour cent pour les Etats-Unis et 3,7 pour cent pour le Royaume-Uni. Certaines sources allemandes considèrent qu’un déclin encore plus prononcé est possible. « Notre destin dépend des exportations », a dit Jörg Krämer, le chef économiste de la Commerzbank de Francfort, qui pense que le PIB allemand pourrait chuter de jusqu’à 7 pour cent en 2009.

Les implications sociales et politiques d’un tel déclin économique sont soulignées par le fait que depuis la Seconde Guerre mondiale, l’économie allemande ne s’est jamais contractée de plus de 1 pour cent par an.

La récession des économies allemande et européenne a inévitablement conduit à une hausse significative du chômage. Aux dires de l’économiste Howard Archer d’IHS Global Insight : « Une contraction économique prolongée et sévère maintenant, plus une confiance extrêmement basse et une rentabilité qui se dégrade sont en train de peser de plus en plus lourdement sur les marchés de l’emploi. »

Jusqu’à présent, l’Allemagne a pu dans une certaine mesure contrôler une hausse massive du chômage parce que de nombreuses usines ont recouru au chômage partiel. Et pourtant le taux de chômage en Allemagne est passé d’un niveau bas record en seize ans de 7,6 pour cent en septembre dernier à 8,1 pour cent en mars parce que de nombreuses entreprises ont soit mis la clef sous la porte soit ont réduit considérablement leur personnel.

Le président de la Banque centrale allemande (Bundesbank), Axel Weber, a prévenu la semaine passée que la gravité de la récession avait continuellement été sous-estimée et que « le marché du travail pourrait être sérieusement touché si les attentes des entreprises continuent d’être anéanties ».

Le chômage en Union européenne

La hausse du chômage en Allemagne va de pair avec la hausse du chômage en Europe. Après avoir baissé progressivement ces dernières années à un niveau record bas et inférieur à 7 pour cent au début de 2008, le taux de chômage officiel dans l’Union européenne des 27 nations (qui exclut diverses formes de chômage cachées) a augmenté pour atteindre 7,9 pour cent en février, soit une hausse de plus d’un pour cent par rapport à février 2008 (6,8 pour cent).

Selon Eurostat le nombre de chômeurs en UE était évalué en février à 19,2 millions, dont 13,5 millions pour la zone euro. Ce dernier chiffre représente 8,5 pour cent de l’ensemble de la population active des pays membres de la zone euro.

L’on s’attend à ce que les chiffres du chômage approchent un taux à deux chiffres dans les mois à venir lorsque des pays tels l’Allemagne abandonneront leurs formes de chômage technique pour imposer des licenciements en masse.

Jennifer McKeown chez Capital Economics s’attend à ce que « compte tenu du retard habituel existant entre les développements du marché de l’emploi et ceux de l’économie dans son ensemble, le taux de chômage augmente de 10 pour cent d’ici le milieu de cette année. »

La combinaison entre le ralentissement économique, le faible niveau de dépenses des consommateurs et un taux de chômage croissant risque d’attiser des confrontations politiques explosives partout en Europe. Comme le montre clairement le cas de l’Allemagne, la crise qui a démarré l’année dernière avec l’effondrement des principales banques et institutions financières s’est étendue depuis longtemps à « l’économie réelle » en ayant des conséquences catastrophiques pour de vastes couches de la population laborieuse.

La crise économique a déjà eu raison des gouvernements de Lituanie, d’Islande et de Belgique et a déjà produit de graves soubresauts en Hongrie ainsi que d’importantes manifestations ou émeutes dans un nombre d’autres pays, y compris la Bulgarie, la Grèce, l’Irlande, la Lituanie et pour l’heure, la Moldavie. La France et l’Italie ont connu des protestations et des manifestations de masse et une série de grèves se sont déroulées récemment en France.

Compte tenu des élections européennes qui vont avoir lieu début juin et des élections législatives allemandes de septembre, des politiciens allemands influents mettent d’ores et déjà en garde contre les menaces pesant sur la paix sociale et le danger « de conflits politiques massifs ».

Ce sont là les paroles du président du syndicat allemand IG Metall, Berthold Huber, prononcées dans une interview accordée cette semaine au Stuttgarter Zeitung et dans laquelle il précise clairement que la bureaucratie syndicale fera tout son possible pour stabiliser la situation. Dans la même interview, Huber a réclamé une collaboration plus étroite entre les syndicats et le Parti social-démocrate (SPD) en appelant les travailleurs à faire des sacrifices en ces temps de crise.

La bureaucratie syndicale peut compter sur une réponse de la part des principaux partis politiques allemands. Dans un rapport paru récemment, le magazine économique hebdomadaire Wirtschaftswoche a écrit : « Dans l’année électorale 2009 particulièrement chargée pour l’Allemagne, les syndicats sont recherchés comme jamais auparavant. Quiconque veut gagner des élections, choisit de se positionner cette année aux côtés des permanents syndicaux, plutôt que des patrons. Depuis des mois le SPD et La Gauche n’ont cessé de courtiser le lobby syndical. Entre-temps, les partis conservateurs et le Parti libéral démocrate (FDP, partisan du libre-échange) sont aussi infectés. »

Article original, WSWS, paru le 10 avril 2009.



Articles Par : Stefan Steinberg

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