Le DDPS, larbin des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme

Le Département d’Etat américain publie chaque année un rapport sur le terrorisme et la lutte contre le terrorisme dans la perspective américaine. Le terrorisme y est défini, les Etats qui le soutiennent y sont cloués au pilori et ceux qui le combattent sont loués. Nous allons présenter quelques éléments de ce document.(1)

Le terrorisme international dans la perspective américaine

Bien que les différentes organisations terroristes qui agissent au plan international sont au centre de l’intérêt des Etats-Unis, elles ne sont abordées qu’à la fin du rapport. Les auteurs distinguent deux catégories: les organisations à prendre au sérieux et celles de moindre importance. L’Office of the Coordinator for Counterterrorism du Département d’Etat s’intéresse plus aux premières qu’aux secondes, qui relèvent plutôt d’autres U.S. Government counterterrorism authorities. A première vue, cette distinction paraît curieuse. Ce n’est qu’après une analyse approfondie des deux catégories qu’on en comprend les raisons.

–    A la première appartiennent des organisations comme l’organisation Abou Nidal, le groupe Abou Sayyaf, la Brigade des martyrs d’al-Aqsa, Ansar al-Sunna, al-Qaïda, al-Qaïda (en Irak).

–    Sont classés dans la seconde notamment al-Badhr Mujahedin, Il-Ittihad al-Islami, le Parti communiste indien (maoïste) et l’IRA.

Tout spécialiste sait que les organisations de la seconde catégorie sont aussi brutales et sanglantes que celles de la première. IRA en est un exemple. C’est leur description qui fait comprendre la raison de la distinction. Celles de la première ont commis par le passé des attentats dirigés contre des citoyens et/ou des installations des Etats-Unis. Beaucoup d’entre elles ont tué des citoyens américains. Les auteurs du rapport n’ont manifestement pas pu imputer aux organisations de la seconde catégorie ce genre d’attentat. Cela signifie que la raison de la distinction doit être cherché dans les objectifs des attentats. Les organisations qui tuent des citoyens américains sont considérées comme internationales et importantes, les autres sont jugées moins importantes même si leurs attentats sont très sanglants.

Les zones de refuge du terrorisme international

Un autre chapitre est consacré aux zones de refuge du terrorisme, qualifiées de safe havens. Leur liste est très instructive car elle permet d’évaluer ce que les Etats-Unis considèrent comme des dangers importants. La classification est géographique:

•    Afrique: Somalie, Algérie, Mali, Mauritanie;
•    Asie orientale et Pacifique: îles Sulu, Sud des Philippines, Indonésie;
•    Proche-Orient: Irak, Liban;
•    Asie du Sud-Ouest: frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, Pakistan, Afghanistan;
•    Amériques: zone frontalière de la Colombie, zone frontalière de l’Argentine, Brésil et Paraguay.

Une partie de ce chapitre est également consacrée à une description de la stratégie utilisée par les Etats-Unis pour éliminer ces refuges. Les mesures comprennent aussi bien une aide économique que la promotion de l’école dans ces territoires.

Les Etats qui soutiennent le terrorisme

Ce chapitre est bref bien qu’il soit très important car il devrait nous informer sur ceux qui tirent les ficelles. Ces Etats, dont certains possèdent probablement des armes de destruction massive, fournissent aux terroristes des armes et de l’argent. Il s’agit, selon les USA, de Cuba, de l’Iran, de la Corée du Nord, du Soudan et de la Syrie.

Il est intéressant de constater que ces cinq Etats coïncident avec des centres géopolitiques importants pour les Etats-Unis. Cuba est situé au centre de la plaque tournante géopolitique des Caraïbes, l’Iran et la Syrie menacent manifestement les intérêts américains dans le golfe Persique riche en pétrole, la Corée du Nord représente apparemment une menace pour la Corée du Sud et le Japon, alliés importants des Etats-Unis et fournisseurs de technologie, et le Soudan fournit du pétrole au plus important concurrent des Américains, la République populaire de Chine. Il apparaît que pour les dirigeants américains, les intérêts géopolitiques de leur pays coïncident avec la menace du terrorisme international.

Stratégie antiterroriste des Etats-Unis

Il est également intéressant de constater que le rapport contient peu d’informations sur la lutte militaire des USA contre le terrorisme en Irak et en Afghanistan qui consiste notamment à bombarder impitoyablement les villages à haute altitude. En revanche, le rapport évoque en détail l’aide économique accordée aux Etats qui risquent de tomber sous l’influence des groupes terroristes. Une autre mesure consiste dans l’activité des médias américains dans le monde islamique: il s’agit de gagner le cœur des musulmans à la cause américaine. C’est pourquoi des radios existantes ainsi que de nouvelles stations – Middle East Broadcasting Network, Radio Free Europe/Radio Liberty – ont reçu pour mission de «travailler» les musulmans d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan et d’Asie centrale, de tout le Caucase et même d’Europe.

Depuis le 14 février 2004, il existe également une chaîne de télévision particulière pour le monde arabe, Alhurra Television. Ses émissions couvrent l’ensemble du monde arabe, y compris l’Egypte. Alhurra doit avant tout influencer la population irakienne. Elle est soutenue avant tout par la Maison Blanche, le Congrès, le Département d’Etat et le Pentagone.

A l’époque de la guerre froide, la guerre psychologique menée par l’URSS en Europe a été condamnée à maintes reprises. Apparemment, la guerre psychologique menée par les Etats-Unis est considérée comme bonne puisqu’elle n’est pas critiquée par les médias occidentaux. On oublie d’ailleurs qu’elle est à double tranchant puisque les victimes se rendent rapidement compte qu’elles sont manipulées et que leur colère se retourne vers ceux qui tirent les ficelles.

Les Etats louables

A l’opposé des cinq Etats qui soutiennent le terrorisme se trouvent ceux que l’Amérique soutient dans leur lutte antiterroriste. En principe, c’est le monde entier. Les Etats particulièrement louables sont ceux qui ont signé, ratifié, voté toutes les conventions et lois destinées à aider les Etats-Unis dans leur lutte. Ici aussi, le rapport en dresse la liste. Un coup d’œil aux Etats particulièrement louables est très instructif:

•    Afrique: Libéria (présidente Ellen Johnson Sirleaf);
•    Asie orientale et Pacifique: Australie (ex-Premier ministre John Howard);
•    Europe: République turque (président réélu Abdullah Gul, ex-ministre des Affaires étrangères);
•    Proche-Orient et Afrique du Nord: Arabie saoudite (prince Saud al-Faisal, ministre des Affaires étrangères);
•    Asie méridionale et centrale: Afghanistan (président Hamid Karzai);
•    Amériques: Canada (Premier ministre ­Stephen Harper).

Cette liste est très parlante: il s’agit d’Etats vassaux qui font tout pour plaire aux Etats-Unis. Le fait que certains sont de sinistres dictatures qui, comme l’Arabie saoudite, violent notoirement les droits de l’homme, ne joue manifestement aucun rôle dans la lutte contre le terrorisme.

Le DDPS à la remorque de la lutte contre le terrorisme

Quel est le rôle joué par la Suisse dans la lutte américaine contre le terrorisme? Elle fait partie des pays actifs dans ce domaine. En effet, elle a signé presque toutes les conventions et tous les protocoles internationaux sur la lutte contre le terrorisme, comme cela apparaît dans un tableau dans le rapport.(2) A noter que d’autres Etats l’ont fait également. Mais le chapitre du rapport consacré à la Suisse est instructif. Il décrit en détail tout ce que fait la Suisse pour satisfaire aux demandes des Etats-Unis. A cet égard, le paragraphe suivant est intéressant: «En septembre [2006], la Suisse et les Etats-Unis ont organisé conjointement l’exercice de lutte contre le bioterrorisme «Black Ice» à Montreux, qui a été un succès et auquel ont assisté des hauts responsables de nombreuses organisations multilatérales. Les Suisses ont également organisé, dans le cadre du Partenariat pour la paix de l’OTAN, plusieurs conférences sur la protection civile et le financement du terrorisme.»

Ce passage n’évoque pas seulement la collaboration entre le DDPS et les Etats-Unis mais également le mode de financement de l’exercice de Montreux. Il a apparemment été financé par l’Amérique et par la Suisse. Etrange comportement de la part d’un pays neutre. Il semble que le DDPS n’accorde aucune valeur au maintien de la neutralité. La collaboration avec l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme est également problématique dans une perspective de politique étrangère. La signature de l’Accord de Partenariat pour la Paix ne prévoyait pas ce genre d’extension de la coopération.

Elle correspond en grande partie à la voie où a commencé de s’engager la nouvelle Réforme de l’Armée 08/11 qui conduira à la mise sur pied d’une police auxiliaire au service de la lutte américaine contre le terrorisme. Le DDPS est vraiment un larbin des USA. Mais ce qu’on ignore, consciemment ou non, c’est que la lutte contre le terrorisme n’est qu’un prétexte utilisé par les Américains pour atteindre leurs objectifs géopolitiques.  

Article original: www.strategische-studien.com

Traduction et publication en français: Horizons et débats: http://www.horizons-et-debats.ch/ 14 janvier 2008.

1    Country Reports on Terrorism 2006, Office of the Coordinator for Counterterrorism, U.S. Departement of State, 2006.
2    Country Reports on Terrorism 2006, International Conventions and Protocols in Terrorism.

Albert Stahel, Institut d’études stratégiques, Wädenswil



Articles Par : Albert Stahel

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