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Le départ de Bolton aura un impact sur la politique étrangère américaine, et voici comment
Par M. K. Bhadrakumar
Mondialisation.ca, 01 octobre 2019
Indian Punchline 11 septembre 2019
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Lors d’un point de presse mardi après-midi à Washington, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a mis en garde contre toute estimation précipitée que la sortie du Conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, indiquerait un changement sismique dans la politique étrangère de l’administration Trump.

Pompeo a déclaré : « A mon avis, aucun dirigeant dans le monde ne devrait présumer que, parce que certains d’entre nous s’en vont, la politique étrangère du Président Trump changera de façon concrète. »

On peut aller plus loin et dire qu’il est futile d’attribuer la logique aux actions du président Donald Trump. Très certainement, le POTUS et sa NSA partagent le même dédain pour le multilatéralisme, les Nations Unies, le droit international, l’Union européenne et même le système d’alliance occidentale.

En effet, Trump et Bolton ont une grande foi dans la force militaire.

Là où les deux diffèrent se réduit à l’alchimie de leur agressivité : si Bolton est un dur à cuire, Trump est un dur à cuire réticent.

Trump voit l’Amérique comme un pays qui veut simplement être laissé seul. Il s’intéresse peu au projet wilsonien d’expansion de la démocratie et de la liberté à travers le monde. Il s’oppose à l’édification de nation (nation building). Il se fiche de savoir si les autres pays sont démocratiques, mais quand les « animaux » attaquent les États-Unis, Trump rejette virtuellement toute limite morale à la riposte des États-Unis.

Les armes nucléaires ? Eh bien, Trump ne l’écarte pas. En comparaison, Bolton a toujours cru à l’utilité de la force militaire comme outil proactif pour réorganiser le monde selon l’intérêt des États-Unis. Il était un fervent défenseur de la guerre en Irak, et aujourd’hui, une décennie plus tard, il continue à la défendre les mêmes arguments envers l’Iran. De même, il a défendu l’idée de frappes préemptives sur la Corée du Nord.

Ceci dit, Trump n’est pas un pacifiste, de son côté. Il a augmenté le budget de la défense des États-Unis, déchiré le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire passé avec la Russie, militarise l’espace et déclenche sans état d’âme une course aux armements. Mais là où il diffère de Bolton, c’est que son « agressivité » (hawkishness) est d’un type différent.

Dans un essai de 2016 intitulé Donald Trump’s Jacksonian Revolt, le célèbre analyste stratégique américain Walter Russell a comparé les perspectives de politique étrangère de Trump avec celles du Président américain Andrew Jackson au XIXème siècle, en ce sens que Trump croit fermement à l’utilité de la force, mais seulement si la sécurité nationale des États-Unis est menacée ; par contre il reste instinctivement sceptique à l’idée que les États-Unis doivent renverser des régimes dans des pays lointains afin de protéger cette sécurité nationale.

Fondamentalement, les instincts jacksoniens de Trump et la volonté désinvolte de Bolton de déployer la force pour remodeler le monde se sont neutralisés. Des situations comme la Corée du Nord, l’Iran et le Venezuela les ont trouvés à croiser le chemin de l’autre, et Trump profondément réticent à être entraîné dans la guerre.

De même, Trump apprécie vraiment les trophées diplomatiques (et les séances de photos) et se vante d’être un négociateur de premier plan et de forger des accords. Malgré son agressivité, Trump se lance instinctivement dans la diplomatie à la recherche d’un coup de maître, même sans boussole pour le guider, et Bolton l’irrite souvent en troublant les eaux.

Pour être juste envers Trump, il priorise ses décisions de politique étrangère en fonction de sa réélection en 2020, or Bolton n’avait pas de telles contraintes politiques. Bolton n’avait rien à perdre dans une nouvelle guerre du Moyen-Orient, alors qu’il serait inopportun qu’elle ait lieu dans le schéma de Trump.

Bolton avait trop d’un faucon pour les calculs de Trump. Les divergences sur l’Iran et les négociations avec les talibans ont probablement abouti à leur rupture.

Cela dit, Bolton n’est pas non plus totalement inapte à saisir les nuances de la diplomatie. Kommersant, l’influent quotidien de Moscou, a écrit que Bolton laissait un souvenir mitigé dans l’esprit russe.

Un expert de haut niveau moscovite a déclaré au quotidien : « Une chose qui a fait tourner la tête [lors des visites de Bolton dans la capitale russe] est que Bolton ne considérait pas la Russie comme l’adversaire « naturel » des États-Unis. Il considérait la Russie comme le partenaire potentiel de Washington dans la lutte contre des ennemis communs, et mentionnait l’Iran et la Chine parmi eux. » Est-ce que ça ne sonne pas presque comme du Kissinger ?

Cependant, le Ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov, qui connaît assez bien Bolton depuis son passage à New York comme représentant permanent de la Russie auprès de l’ONU, a déclaré :

« À propos des opinions politiques de Bolton, nous étions en désaccord avec lui sur la plupart des questions. Il a un style rude, et il s’appuie sur des méthodes musclées, y compris des options militaires. Comme vous le savez, il a favorisé un certain nombre des crises actuelles, comme au Venezuela, en Iran et ailleurs. »

Lavrov a souligné :

« Comment [le renvoi de Bolton] influencera-t-il les relations russo-américaines ? Vous savez, c’est difficile à dire. C’est le Président [Donald Trump] qui définit la politique des États-Unis, et il s’est prononcé à maintes reprises en faveur de la normalisation des liens commerciaux et économiques, humanitaires et politiques entre nos pays et du renforcement de la coopération sur la scène internationale. »

« La position des États-Unis sur certaines questions de politique étrangère changera-t-elle ? Hier, j’ai entendu Mike Pompeo dire à une conférence de presse que la politique étrangère des États-Unis resterait intacte. Alors, restons simplement pragmatiques. Nous saurons alors s’il y a des changements ou non. » (Tass)

En comparaison avec l’expectative russe, l’éviction de Bolton recueille les faveurs des commentateurs chinois. Un analyste du Global Times a fait la remarque suivante : « Bolton n’a jamais non plus été très utile à la Chine. Et il est clairement l’un des acteurs qui ont poussé les relations entre la Chine et les États-Unis dans une impasse profonde. »

Le seul pays qui regrettera la décision de Trump sera certainement Israël. Bolton était le « cheval de Troie » d’Israël à la Maison-Blanche. Israël observe avec inquiétude Trump qui se prépare à engager l’Iran dans des négociations.

Par exemple, le Premier ministre Netanyahu s’est empressé d’en réclamer le prix à Trump en déclarant, au moment où le départ de Bolton était annoncé à Washington, qu’il annexerait la vallée du Jourdain, qui représente environ un tiers de la Cisjordanie occupée.

La perspective d’une rencontre entre Trump et le président iranien Hassan Rouhani s’est nettement améliorée après l’éviction de Bolton. Téhéran a constamment distingué l’équipe B des extrémistes qui manipulent les politiques iraniennes de Trump (Bolton, Netanyahou et les princes de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis).

Le départ de Bolton de la Maison-Blanche accentuera la flexibilité de la politique étrangère étasunienne. Comme l’a déclaré le sénateur Rand Paul, « la menace de guerre mondiale diminue de façon exponentielle. » On peut s’attendre à ce que la Maison-Blanche mette davantage l’accent sur la diplomatie dorénavant.

M. K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : Bolton’s exit impacts US foreign policy. This is how, Indian Punchline, le 11 septembre 2019.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

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