Le discours de l’état de l’Union d’Obama et l’effondrement de la démocratie américaine

« De nos jours, le discours politique est en grande partie la défense de l’indéfendable. Des choses comme le maintien de l’autorité britannique en Inde, les purges russes et les déportations, le lancement des bombes atomiques sur le Japon, peuvent en effet être défendues, mais seulement par des arguments qui sont trop brutaux pour la plupart des gens et qui ne cadrent pas avec les buts déclarés des partis politiques. Le langage politique doit donc être en grande partie composé d’euphémismes […] Une masse de mots latins tombe sur les faits comme une neige molle, brouillant les contours et dissimulant tous les détails. »

George Orwell, La politique et la langue anglaise, 1946

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Le discours de l’état de l’Union de ce mardi soir, le dernier prononcé par le président Barack Obama, était une litanie de mensonges, de banalités et de menaces militaires. Il a souligné l’incapacité de l’establishment politique américain à répondre honnêtement à la moindre question sociale qui se pose à la majorité de la population.

Ce discours a été généralement saluée par les médias comme une déclaration de confiance dans l’avenir de l’Amérique. En fait, il a combiné des fanfaronnades sur la force de l’économie américaine en contradiction jusqu’à l’absurde avec la réalité économique et sociale et des auto-congratulations pour avoir « descendu » les ennemis de l’impérialisme ainsi que des assurances qu’encore plus de ravages militaires sont à venir.

Dans la mesure où Obama a abordé en passant la croissance de l’inégalité sociale, la domination toujours plus complète de l’élite patronale et financière, la baisse des salaires et la hausse de la pauvreté, ces caractéristiques omniprésentes de la vie sociale en Amérique ont été attribuées à des forces cosmiques de « changement » entièrement déconnectées des politiques gouvernementales en général et de celles poursuivies par son administration au cours des sept dernières années en particulier.

Il y a une signification objective à la réduction de du discours de l’état de l’Union, une tradition politique américaine qui remonte à George Washington, à un spectacle médiatique vide et cynique. Ce processus n’a pas commencé avec Obama. C’était en cours depuis des décennies, en contrepoint du tournant, toujours plus loin, de l’élite dirigeante et des deux partis des grandes entreprises vers la droite et le gouffre qui se creuse entre l’ensemble du système politique et la grande masse des travailleurs.

Bien qu’il n’y ait jamais eu d’âge d’or de la politique bourgeoise américaine, le discours annuel sur l’État de l’Union devant une session conjointe du Congrès avait par le passé un certain contenu démocratique. Il fut un temps où le président cherchait par ce discours à faire une évaluation réaliste de l’état réel de la vie économique, politique et sociale de la nation et de l’état de ses relations avec les autres nations. C’était à la fois un moyen de communication interne au sein des cercles dirigeants et un rapport à la population en général.

En décembre 1862 dans son message au Congrès, Abraham Lincoln, le grand émancipateur, a parlé en faveur de l’abolition. « Concitoyens », a-t-il déclaré, « nous ne pouvons pas échapper à l’histoire […] En donnant la liberté à l’esclave, nous assurons la liberté à ceux qui sont libres comme à ceux qui sont honorables par ce que nous donnons et ce que nous préservons. Nous allons noblement conserver ou bassement perdre le dernier espoir de la terre pour un avenir meilleur. »

Dans une période plus tardive, Franklin D. Roosevelt a promis une « Deuxième déclaration des droits » qui comporte des dispositions garantissant la « libération du besoin. » (La proposition était lettre morte presque aussitôt qu’elle a été faite.) En 1963, John F. Kennedy a averti que « la simple absence de guerre n’est pas la paix. »

Même certains des présidents les plus réactionnaires d’une période antérieure pouvaient sérieusement reconnaître l’existence de problèmes sociaux. En 1922, Warren G. Harding a commencé son discours de l’état de l’Union en déclarant : « Alors que nombreux problèmes demandent des solutions, le récital de chacun d’eux, face aux limitations connues d’une courte session du Congrès, semble manquer d’un but sincère. »

L’immense croissance de l’inégalité sociale en parallèle avec le démantèlement d’une grande partie de l’industrie américaine, le déclin de la position économique mondiale du capitalisme américain et la domination croissante d’une élite financière parasitaire et quasi-criminelle ont fait une impossibilité politique de toute analyse objective de « l’état réel de l’union ». Tous ceux qui étaient présents mardi soir étaient bien conscients que les décisions politiques importantes à la fois sur le plan intérieur et international ne sont prises ni par le président ni par le Congrès, mais par la hiérarchie militaire, l’establishment des renseignements et Wall Street. La même conviction se développe de plus en plus dans de larges couches de la population qui sont de plus en plus aliénées et dégoûtées par l’ensemble de l’organisation politique et économique.

Arrivé au pouvoir en se posant comme un adversaire de la guerre en Irak et du militarisme des années Bush, Obama pourrait difficilement faire une évaluation honnête de sa politique étrangère, qui a ajouté à la guerre en Afghanistan de nouvelles guerres en Libye, en Syrie et en Irak, une expansion des assassinats par drones et une politique de provocation militaire contre la Russie et la Chine qui a amené le monde au plus proche de la guerre mondiale qu’à tout autre moment depuis 1945.

Une grande partie de son discours mardi fut consacrée à vanter la puissance militaire destructrice de l’Amérique et affirmer qu’il était prêt à l’utiliser. Répondant à ses détracteurs au sein de la droite républicaine, il a proclamé : « Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la Terre. Point final. Point final. Ce n’est même pas proche. Ce n’est même pas proche. Ce n’est même pas proche. Nous dépensons plus pour notre armée que les huit pays suivants combinés. Nos troupes sont la force de combat la plus aboutie de l’histoire mondiale. Aucune nation ne s’attaque directement à nous ou à nos alliés, parce qu’ils savent que ce chemin-là mène à la ruine. »

S’étant posé en critique de l’accumulation antidémocratique de pouvoirs policiers par l’État sous Bush dans le but de se faire élire, Obama n’était pas en mesure de discuter de son extension et de son institutionnalisation des mesures d’État policier telles que l’espionnage par le gouvernement qui est omniprésent ; de l’emprisonnement et de la persécution des lanceurs d’alertes comme Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden ; de la protection des auteurs et des organisateurs des programmes de torture ; de la militarisation de la police et de la défense des policiers assassins.

L’un des mensonges les plus flagrants dans le discours d’Obama était l’affirmation : « Pour les sept dernières années, notre objectif a été d’une économie en croissance qui fonctionne mieux pour tous les gens. » Si Obama avait ajouté « qui comptent » à la fin de cette phrase, il aurait été plus près de la vérité.

Des milliers de milliards de dollars pour les banques et les spéculateurs dont l’insouciance, l’anarchie et la cupidité avaient déclenché le krach de Wall Street et la dépression qui s’en est suivies sans un seul « banquier véreux » poursuivi en sept ans – tout cela d’un côté. De l’autre, des coupes radicales dans les salaires pour les travailleurs de l’automobile, imposées par l’« Auto Task Force » d’Obama, et l’austérité, les fermetures d’écoles, les coupes dans les retraites et les attaques sur les prestations de santé pour des millions de travailleurs qui n’ont que l’« Obamacare ».

Le résultat : 95 pour cent de toutes les augmentations de revenu au cours de la présidence Obama vont aux 1 pour cent des ménages les plus riches.

Dans ce qui est devenu une caractéristique de la rhétorique politique américaine, Obama a conclu son discours par une chute du sublime au ridicule : « Je vois [la voix de l’Amérique] dans le travailleur sur la ligne d’assemblage qui a fait des heures supplémentaires pour garder son entreprise ouverte, et le patron qui le paie plus au lieu de le licencier […] Le manifestant déterminé à prouver que la justice vaut quelque chose – et le jeune flic faisant sa tournée, traitant tout le monde avec respect, faisant l’accolade, le travail calme de nous protéger. »

Un système politique qui doit recourir à de telles postures stupides et transparentes est un système politique en crise terminale. L’indignation et le militantisme montant des masses vont chercher de nouveaux moyens de lutte en dehors et en opposition à l’ensemble de l’édifice pourri de la politique officielle.

Eric London et Barry Grey

Article paru d’abord en anglais , WSWS,le 14 janvier 2016



Articles Par : Eric London

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