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Le droit à l’eau menacé par le pompage massif
Par Marc Bouchard
Mondialisation.ca, 11 mai 2006
11 mai 2006
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Au début des années 2000, le Conseil mondial de l’eau (CME) a initié un processus de commercialisation de l’eau.  Regroupant plusieurs compagnies d’exploitation de l’eau ainsi que plusieurs banques, le CME a pris position quant à la stratégie mondiale de commercialisation de l’ « or bleu ».  Mais une question aussi importante doit être débattue publiquement afin que l’on puisse mesurer les conséquences de la commercialisation de l’eau sur l’accessibilité, la quantité et la qualité de la ressource pour la consommation humaine.

En Abitibi-Témiscamingue, plusieurs municipalités sont situées sur ce que l’on appelle un esker.  Les eskers ont été formés il y a 100 000 ans lors de la fonte des glaciers.  Il s’agit de dépôts de sables, de graviers et de blocs de roches variant tant par leur forme que par leur grosseur et transportés par les masses d’eau.  L’eau qui est filtrée naturellement par l’esker se nomme « eau de source ».

Située à dix kilomètres d’Amos, la municipalité de St-Mathieu-de-l’Harricana, qui compte à peine plus de 600 âmes, est située sur l’esker Berry-Lamotte et jouit de ce fait d’un potentiel hydrique considérable.  Malgré l’abondance en eau de source, les citoyens et citoyennes de St-Mathieu-de-l’Harricana ne peuvent avoir accès à une eau potable de qualité, puisqu’ils puisent l’eau de puits artésiens et que certains de ces puits ont une concentration élevée d’arsenic et d’hydrocarbures, selon une étude de la Régie régionale de la santé, en 1997.

Il est contre nature qu’une municipalité possédant une eau potable de très grande qualité, ne puisse alimenter l’ensemble de sa population.  Pourquoi en est-il ainsi?  À cause d’une usine d’embouteillage d’eau sur le territoire.

Peu avant le départ de l’ex-premier ministre du Québec Lucien Bouchard, le gouvernement québécois a facilité l’implantation d’une usine d’embouteillage d’eau dans mon village.  À cette époque, cette usine était détenue majoritairement par l’ancien géant de l’alimentation Parmalat.  Les activités de l’usine d’embouteillage ont causé un profond malaise au sein de la petite communauté.  En effet, la population s’est vue aliéner sont droit à l’accessibilité à une eau potable, au profit de la commercialisation de « l’or bleu ».  En 2003, le Groupe Parmalat, dont le siège social est en Italie, a été accusé de blanchiment d’argent et de fraude fiscale par le gouvernement italien, laissant derrière lui une dette accumulée d’environ 100 millions de dollars pour l’usine de St-Mathieu-de-l’Harricana.

En septembre 2005, un juge de la Cour supérieure du Québec a accepté la vente de l’usine d’embouteillage d’eau à une filiale de la banque américaine Morgan Stanley, au montant de 18 millions de dollars.  De ce fait, les Américains ont pris le contrôle de la ressource hydrique dans la petite municipalité et par le fait même, ont acquis le droit d’exploiter cette ressource sans en payer de redevances, pour ainsi créer une réserve d’eau pour certains États américains se trouvant devant une problématique d’épuisement de nappes phréatiques.

Les réserves en matière de ressource hydrique se font de plus en plus rares aux États-Unis.  Une des masses d’eau la plus connue au monde est l’aquifère d’Ogallala, qui alimente une grande partie du sud-ouest américain.  Selon des études, cette aquifère s’épuise 14 fois plus vite qu’elle ne se régénère.  Ce constat vient éclairer l’interprétation que l’on doit faire des intentions des Américains. 

Dans une entrevue à la radio anglaise de Radio-Canada et reprise par la Presse canadienne le 29 décembre 2005, l’ex-ambassadeur des États-unis, Paul Celluci trouvait bizarre que les Canadiens ne soit pas enclins à vendre leur eau, une ressource renouvelable, mais à vendre leur pétrole, une ressource non-renouvelable.  Les propos de monsieur Celluci démontrent une évidence : les pressions sont de plus en plus fortes sur le Canada pour qu’il commercialise sa ressource hydrique. 

Mais, pourquoi vendre l’eau aux Américains, alors qu’ils la possèdent déjà gratuitement à St-Mathieu-de-l’Harricana?  Plusieurs ont cru, à tort ou à raison, que l’implantation d’une usine d’embouteillage aurait dynamisé l’économie de la municipalité.  Mais, à quel prix?  La population de la petite localité d’Abitibi verra sa qualité de vie se détériorer, sans l’accessibilité à une eau de qualité.

Il devient impératif que le gouvernement québécois intervienne devant le nouveau paradigme qui semble orienter les investisseurs étrangers vers le « mercantilisme de l’eau ».  Il faut que le gouvernement mette de l’avant un projet de loi-cadre sur le droit à l’accessibilité à l’eau pour la consommation humaine.  Cette loi décrèterait que l’eau est un bien collectif essentiel à la vie de chaque individu.  Il faut insister pour que le gouvernement acquiesce à cette demande et qu’il ne succombe pas aux activités mercantiles des « magnats de l’eau », mettant ainsi en péril la qualité de vie des citoyens et des citoyennes.

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