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Le génocide guatémaltèque de Ronald Reagan
Par Robert Parry
Mondialisation.ca, 21 avril 2013
consortiumnews.com
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Le Guatemala est enfin en train de juger l’ex-dictateur Efrain Rios Montt pour génocide lors de l’extermination de centaines de villages mayas dans les années 80, mais Ronald Reagan demeure l’icône américaine malgré de nouvelles preuves sur sa complicité dans ce crime historique.

Le premier mois du procès pour génocide de l’ancien dictateur Efrain Rios Montt a suscité des témoignages poignants de survivants mayas qui ont assisté – encore enfants – au massacre de leurs familles par les militaires d’extrême-droite soutenus et armés par le président des Etats-Unis, Ronald Reagan.

Selon le New York Times de lundi, « d’après la logique tordue des documents militaires conçus sous le règne de 17 mois de M. Rios Montt entre 1982 et 1983, toute la population maya Ixil était devenue une cible militaire, enfants inclus. Les officiers ont écrit que les guérilleros de gauche qui combattaient le gouvernement avaient réussi à endoctriner les Ixils et à « obtenir 100% de leur soutien » »

C’est ainsi que toute la population devint la cible lors d’opérations de terre brûlée qui éradiquèrent plus de 600 villages indiens dans les hautes terres du Guatemala. Mais ce génocide ne fut pas simplement l’œuvre d’une idéologie anticommuniste tordue qui prédominait au sein des élites militaires et politiques guatémaltèques. Ce génocide fut aussi l’œuvre de l’administration Reagan.

Un document que j’ai récemment découvert dans les archives de la Bibliothèque Reagan de Simi Valley, Californie, révèle que Reagan et son équipe chargée de la Sécurité Nationale en 1981 a accepté de fournir une aide militaire au régime brutal d’extrême-droite au Guatemala dans le but d’exterminer non seulement des « guérillas marxistes » mais aussi tous ceux associés à leurs « réseaux civils de soutien »

Cette aide au régime brutal du Guatemala a pris corps au printemps de 1981 lorsque le Président Reagan a tenté de faire lever une partie des restrictions imposées par le Président Jimmy Carter et le Congrès à majorité Démocrate à la fin des années 70 sur les aides militaires au Guatemala pour cause d’atteintes aux droits de l’homme.

Parmi les initiatives visant à assouplir ces restrictions, le Département d’Etat de Reagan « a informé nos ambassades en Amérique centrale que des moyens pour rétablir des mesures de coopération plus étroites avec le Guatemala étaient à l’étude, » selon un compte-rendu de réunion à la Maison Blanche daté du 8 avril 1981. Le document ajoute :

« Le Département d’Etat pense que nombre de changements ont eu lieu qui pourraient rendre les dirigeants guatémaltèques plus réceptifs à la nouvelle initiative US : la perception guatémaltèque que la nouvelle administration est plus sympathisante de leurs problèmes et moins réticente quant au rôle des Etats-Unis au Salvador, » où l’administration Reagan était en train d’élargir son soutien à un autre régime d’extrême-droite tristement célèbre pour le massacre de ses opposants politiques, dont les prêtres catholiques.

« Le Département d’Etat est arrivé à la conclusion que toute tentative pour rétablir le dialogue (avec le Guatemala) demanderait un geste de bonne volonté de notre part. Cependant, cela ne pourrait pas se faire sous la forme d’une aide militaire, qui provoquerait une forte critique de la part de l’opinion publique US et du Congrès. Le Département d’Etat prendra une série de mesures destinées à rétablir la confiance, sans conditions préalables, qui minimiseraient le risque de violer la législation en vigueur. »

Le document « checklist » ajoutait que le Département d’Etat « avait aussi décidé que l’administration devra engager le dialogue au plus haut niveau du gouvernement guatémaltèque, sur les relations bilatérales et les initiatives que nous pourrions prendre pour les améliorer. Le Secrétaire d’Etat (Alexander) Haig a désigné le Général (à la retraite) Vernon Walters comme son émissaire personnel pour amorcer ce processus avec le Président (Fernando Romeo) Lucas (Garcia).

« Si Lucas est disposé à nous garantir qu’il prendra des mesures pour faire cesser l’implication du gouvernement dans les assassinats aveugles d’opposants politiques et instaurer un climat favorable à l’organisation d’élections, les Etats-Unis seraient disposés à approuver immédiatement quelques ventes de matériel militaire. »

Mais le mot clé dans ce paragraphe est « aveugles ». L’administration Reagan n’exprime aucune réserve sur l’assassinat de civils si ces derniers sont considérés comme des soutiens aux guérillas en lutte contre les oligarques et généraux au pouvoir depuis les années 50 après que la CIA ait organisé le renversement du président guatémaltèque réformiste Jacobo Arbenz.

Sympathie pour les Généraux

La distinction fut explicitée dans un document « Points de Discussion » rédigé en avril 1981 à la Maison Blanche à l’intention de Walters, en prévision de sa réunion en tête-à-tête avec le Général Lucas. Le document précisait : « Le Président et le Secrétaire Haig m’ont désigné comme leur émissaire personnel pour discuter d’urgence des relations bilatérales ».

« Le Président et le Secrétaire reconnaissent que votre pays est engagé dans une guerre contre une guérilla marxiste. Nous sommes profondément préoccupés par une subversion marxiste soutenue de l’étranger et autres pays de la région. Comme vous le savez, nous avons déjà pris des mesures pour aider le Honduras et le Salvador à résister à cette agression.

« Le Secrétaire m’a envoyé ici pour déterminer si nous pouvions trouver un moyen pour fournir une aide matérielle à votre gouvernement. (…) Nous avons fait réduire au maximum les déclarations négatives d’officiels US envers la situation au Guatemala (…) Nous avons fait en sorte que le Département du Commerce autorise la vente de $3 millions de camions et jeeps militaires à l’armée guatémaltèque.

« Avec votre accord, nous proposons de vous fournir à vous et à tout officier que vous désignerez un rapport de nos services de renseignement sur les développements régionaux. Néanmoins, notre désir est d’aller encore plus loin que des mesures que je viens de vous présenter. Nous désirons reprendre le plus rapidement possible notre assistance et formation militaires habituelles.

« Comme nous le savons tous les deux, ceci est encore impossible à cause des restrictions légales et des questions de politique intérieure en relation avec l’assassinat aveugle par certains éléments de vos forces de sécurité de personnes qui ne sont engagées ni dans la guérilla ni dans les réseaux civils de soutien. Je ne parle pas ici du regrettable mais inévitable mort d’innocents dans les zones de combats, mais de ce qui paraît être un emploi calculé de terreur contre des gens non politisés ou des opposants potentiels…

« Si vous pouviez m’assurer que vous prendrez des mesures pour faire cesser toute implication officielle dans les assassinats de personnes non engagées dans les forces de guérilla ou les réseaux civils de soutien… nous serions en bien meilleure position pour obtenir du Congrès une décision nous autorisant à reprendre nos fournitures militaires à votre gouvernement. »

En d’autres termes, bien que le document « Points de Discussion » ait été rédigé pour donner l’impression d’un appel à cesser les assassinats « aveugles » contre des « gens non politisés », en réalité il entérinait la politique de la terre brûlée contre ceux engagés dans les guérillas ainsi que leurs « réseaux civils de soutien ». Des termes qui se sont traduits sur le terrain, au Guatemala comme au Salvador voisin, par le massacre des paysans de la région considérés comme des insurgés de gauche.

Les documents découverts récemment – et d’autres documents déclassifiés dans les années 90 – ont clairement révélé que Reagan et son administration étaient tout à fait au courant du massacre en cours au Guatemala et ailleurs en Amérique centrale.

Selon un câble « secret » daté d’avril 1981 – et déclassifié dans les années 90 – au même moment où Reagan manœuvrait pour assouplir l’embargo sur l’aide militaire au Guatemala, la CIA confirmait les massacres perpétrés par le gouvernement guatémaltèque. Le 17 avril 1981, un câble de la CIA décrivait le massacre perpétré par l’armée à Cocob, près de Nebaj dans le territoire indien Ixil, parce que la population était soupçonnée de soutenir les guérillas de gauche.

Une source de la CIA a écrit « la population civile semblait être totalement acquise à la guérilla » et « les soldats ont été obligés de tirer sur tout ce qui bougeait ». Le câble ajoutait que « les autorités guatémaltèques ont admis que « de nombreux civils » ont été tués à Cocob, dont beaucoup à l’évidence n’étaient pas des combattants. » [beaucoup de documents guatémaltèques déclassifiés dans les années 90 sont consultables sur le site National Security Archive]

Walters, envoyé spécial

En mai 1981, malgré les atrocités qui se déroulaient, Reagan a envoyé Walters pour dire aux dirigeants guatémaltèques que la nouvelle administration US désirait lever l’embargo sur le matériel militaire instauré par Carter et le Congrès pour cause de violations des droits humains.

Le document « Points de Discussion » a aussi annoncé l’alignement de l’administration Reagan avec les régimes férocement anticommunistes du continent, où des « escadrons de la mort » agissaient en totale impunité pour liquider non seulement les guérillas armées pour aussi tout civil considéré comme sympathisant de causes progressistes, comme la promotion d’une plus grande justice économique et sociale.

Malgré son style affable, Reagan justifiait toute action anticommuniste, quel que soit son degré de brutalité. Pendant ses huit années de mandat à la Maison Blanche, il n’a jamais montré le moindre signe de trouble devant le bain de sang et même de génocide qui se déroulait en Amérique centrale tandis qu’il faisait livrer des centaines de millions de dollars d’aide militaire aux forces armées.

Le nombre de morts était vertigineux – 70.000 ou plus d’assassinats politiques au Salvador, peut-être 20.000 par les Contras au Nicaragua, environ 200 « disparitions » politiques au Honduras et environ 100.000 personnes physiquement éliminées au cours d’une vague de violence au Guatemala. Le point commun entre tous ces massacres était leur justification, tirée de la Guerre Froide et formulée en grande partie par la Maison Blanche de Reagan.

Malgré toutes leurs dénégations, il est désormais prouvé par leurs propres documents internes que Reagan et ses conseillers étaient parfaitement au courant des brutalités commises au Guatemala et ailleurs.

Selon un câble du Département d’Etat du 5 octobre 1981, lorsque des dirigeants guatémaltèques ont rencontré de nouveau Walters, ils n’ont laissé planer aucun doute quant à leurs objectifs. Le câble indique que le Général Lucas « a fait clairement savoir que son gouvernement allait poursuivre ses actions comme avant – que la répression continuerait. Il a réaffirmé sa conviction que la violence était efficace et que la guérilla serait éradiquée. »

Les organisations de défense des droits de l’homme brossaient un tableau similaire. La Commission inter-Américaine des Droits de l’Homme, dans un rapport daté du 15 octobre 1981, accuse le gouvernement guatémaltèque de « milliers d’exécutions sommaires ». [Washington Post, 16 oct 1981]

Mais l’administration Reagan s’était attelée à nettoyer la scène du crime. Un « papier blanc » du Département d’Etat publié en décembre 1981 rejetait la violence sur les « groupes extrémistes » de gauche et leurs « méthodes terroristes » provoqués et encouragés « par Cuba et Fidel Castro ».

Ce que ces documents de la Bibliothèque Reagan révèlent clairement est que l’administration n’était pas simplement en train d’essayer en vain de freiner les massacres – version colportée par les grands médias US – mais qu’elle était en réalité de tout cœur avec l’assassinat des membres du « réseau civil de soutien » à la guérilla.

Les milieux de renseignements US continuaient de faire état de massacres couverts par le gouvernement. Un rapport de la CIA daté de février 1982 décrit un opération de l’armée dans le dénommé triangle Ixil, dans la province centrale de Quiche.

« Les officiers en commande des unités engagés ont reçu l’ordre de détruire tous les villages et hameaux qui coopèrent avec la guérilla de l’Armée des Pauvres [EGP] et éliminer toute source de résistance, » indique le rapport. « Depuis le début des opération, plusieurs villages ont été incendiés et un grand nombre de guérilleros et de collaborateurs ont été tués. »

Le rapport de la CIA décrit le mode opératoire de l’armée : « Lorsqu’une patrouille de l’armée rencontre une résistance ou reçoit des tirs à partir d’un village ou hameau, elle assume que tout le village est hostile et par conséquence celui-ci est détruit. » Lorsque l’armée tombe sur un village déserté, elle présume que le village « soutient l’EGP, et le village est détruit. Il y a des centaines, peut-être des milliers de réfugiés qui errent dans les collines avec nulle part où aller… »

« Le haut commandement militaire est très satisfait des premiers résultats de l’opération, et pense qu’elle réussira à détruire la zone principale de soutien à l’EGP et réussira à chasser l’EGP du triangle Ixil… La conviction bien fondée que la totalité de la population Ixil soutient l’EGP a créé une situation où l’armée est susceptible de ne faire aucun quartier, combattants ou civils. »

Le 2 février 1982, Richard Childress, un des assistants à la Sécurité Nationale de Reagan, a rédigé une note « secrète » à l’attention de ses collègues pour résumer la situation sur le terrain :

« Alors que nous progressons dans nos relations avec l’Amérique latine, nous devons soigneusement examiner les problèmes très particuliers posés par le Guatemala. Marqué par l’un des pires bilans en matière des droits de l’homme de la région…. ce cas représente un dilemme politique pour nous. Le bilan catastrophique des droits de l’homme font que ce pays n’est pas digne du soutien du gouvernement des Etats-Unis…

« Contrarié par une insurrection incessante depuis 15 ans, la direction actuelle s’est totalement engagée dans un programme impitoyable d’éradication. Il n’y a pratiquement pas un seul soldat qui n’a pas déjà tué un « guérillero » ».

La montée de Rios Montt

Néanmoins, la détermination de Reagan à fournir une aide militaire au régime brutal du Guatemala n’a pas faibli. Le gouvernement a donc salué le coup d’état de mars 1982 du général Efrain Rios Montt contre le Général Lucas, tâché de sang de la tête aux pieds.

Chrétien intégriste, Rios Montt a impressionné ceux du Bureau Ovale où le gouvernement de Reagan a immédiatement mobilisé sa machine de propagande pour redorer l’image de ce nouveau dictateur dont le statut très « chrétien » était présenté comme un gage de son profond respect pour la vie humaine. Reagan a salué Rios Montt comme « un homme d’une grande intégrité. »

En juillet 1982, Rios Montt déclencha une nouvelle campagne de terre brûlée, baptisée « politique de fusils et haricots ». Le slogan voulait dire que les indiens pacifiés recevraient des « haricots », tandis que les autres se retrouveraient au bout du canon des « fusils » de l’armée. En octobre, Rios Montt a secrètement donné carte blanche à l’unité « Archivos » des services de renseignements d’étendre leurs opérations d’escadrons de la mort » aux villes. Basés au sein même du Palais Présidentiel, les « Archivos » ont été les auteurs des assassinats les plus notoires au Guatemala.

L’Ambassade US n’allait pas tarder à entendre de nouveau parler d’opérations de massacres menées par l’armée contre les Indiens, mais les diplomates aveuglés par l’idéologie retransmettaient au gouvernement Reagan la propagande la plus avantageuse pour leurs carrières. Le 22 oct 1982, le personnel de l’ambassade US qualifiait les rapports sur les massacres de « campagne de désinformation » d’inspiration communiste, et concluait que « une campagne concertée de désinformation est actuellement menée aux Etats-Unis contre le gouvernement guatémaltèque par des groupes qui soutiennent l’insurrection communiste au Guatemala. »

Reagan lui-même s’est joint à la campagne visant à discréditer les enquêteurs et autres dont les comptes-rendus sur la situation étaient tout à fait précis et fiables, chose que le gouvernement US ne savait que trop bien.

Le 4 décembre 1982, après une rencontre avec Rios Montt, Reagan a salué le général comme « quelqu’un de totalement dévoué à la démocratie » et a ajouté que le gouvernement de Rios Montt avait été « faussement accusé » de violations des droits de l’homme. Reagan n’a tenu aucun compte des rapports qui s’accumulaient sur la destruction de centaines de villages indiens.

En février 1983, un câble secret de la CIA a signalé une recrudescence « suspecte de la violence d’extrême-droite » sous forme d’enlèvements d’étudiants et d’enseignants. Les cadavres des victimes apparaissaient dans les fossés et les ravins. Les sources de la CIA faisaient remonter l’origine de ces meurtres à l’ordre donné par Rios Montt aux « Archivos » en octobre d’ « arrêter, emprisonner, interroger et de disposer des présumés guérilleros comme bon leur semblait. »

Malgré ces faits sordides, le rapport annuel sur les droits de l’homme publié par le Département d’Etat saluait la soi-disant amélioration de la situation au Guatemala. «  Le comportement global des forces armées s’était amélioré à la fin de l’année » 1982, déclarait le rapport.

Le tableau brossé par les enquêteurs indépendants – et bien plus proche des informations cachées par le gouvernement US – était très différent. Le 17 mars 1983, Americas Watch a condamné l’armée guatémaltèque pour les atrocités commises contre la population indigène.

L’avocat new-yorkais Stephen L. Kass a dit que ces enquêtes ont révélé que le gouvernement menait « des assassinats aveugles contre les hommes, femmes et enfants de toute ferme considérée par l’armée comme un possible soutien à la guérilla. »

Les femmes soupçonnées de sympathies envers la guérilla étaient violées avant d’être exécutées, a dit Kass, et les enfants « étaient jetés dans les maisons en feu. Ils étaient jetés en l’air et empalés sur des baïonnettes. Nous avons recueilli beaucoup, beaucoup de témoignages sur des enfants attrapés para les chevilles et jetés contre des poteaux pour leur fracasser le crâne. » [AP, 17 mars 1983]

Garder le sourire

Publiquement, les hauts-officiels de Reagan continuaient d’afficher un sourire. En juin 1983, l’envoyé spécial Richard B. Stone a salué les « changements positifs » du gouvernement de Rios Montt, et Rios Montt a fait pression sur les Etats-Unis pour obtenir 10 hélicoptères UH-1H et six navires de patrouille, le tout pour améliorer la chasse aux guérilleros et leurs sympathisants.

Comme le Guatemala ne pouvait pas bénéficier des lignes de crédit et financements octroyés par le ministère des affaires étrangères, l’équipe de Reagan a cherché des moyens détournés pour livrer le matériel qui donnerait à l’armée guatémaltèque un meilleur accès aux régions montagneuses où se cachaient la guérilla et leurs partisans civils.

Le 1er août 1983, Oliver North et Alfonso Sapia-Bosch, assistants auprès du Conseil de Sécurité Nationale, ont rapporté à P. Clark, conseiller auprès du Conseil de Sécurité Nationale, que son adjoint Robert « Bud » McFarlane prévoyait d’exploiter ses contacts israéliens pour obtenir les hélicoptères pour le Guatemala.

«  En ce qui concerne le prêt de 10 hélicoptères, il semblerait que Bud va s’arranger avec les Israéliens, » ont écrit North et Sapia-Bosch. « Cela devrait pouvoir se faire. Une autre possibilité serait d’organiser des exercices militaires avec les Guatémaltèques. Nous mécaniciens pourraient ensuite les ré-assembler avec des pièces détachées guatémaltèques et ils auraient ainsi leurs hélicoptères dernier-cri ».

Mais d’autres changements politiques étaient en cours au Guatemala. L’intégrisme chrétien vengeur de Rios Montt avait tellement échappé à tout contrôle, même selon les standards guatémaltèques, que le Général Melia Victores se saisit du pouvoir lors d’un nouveau coup d’état, le 8 août 1983.

Malgré le changement de pouvoir, les forces de sécurité guatémaltèques ont poursuivi leurs massacres en toute impunité, allant si loin que même l’ambassade des Etats-Unis a fini par protester. Lorsque trois Guatémaltèques qui travaillaient pour l’US-AID ont été assassinés en novembre 1983, l’ambassadeur Frederic Chapin a soupçonné que les escadrons de la mort des « Archivos » voulaient envoyer un message aux Etats-Unis qu’aucune pression même mineure sur la question des droits de l’homme ne serait tolérée.

A la fin de novembre, lors d’une courte manifestation de mécontentement, l’administration US a suspendu la vente de pièces détachées pour hélicoptères d’un montant de $2 millions. Cependant, les pièces furent livrées dès le mois suivant. En 1984, Reagan a réussi aussi à faire pression sur le Congrès pour faire approuver $300 000 de formations pour l’armée guatémaltèque.

Au milieu de l’année 1984, Chapin, rendu amer par la brutalité systématique de l’armée, quitta son poste d’ambassadeur et fut remplacé par un personnage d’extrême-droite, Alberto Piedra, partisan d’une augmentation de l’assistance au Guatemala. En janvier 1985, Americas Watch publiait un rapport qui faisait remarquer que le Département d’Etat de Reagan « est apparemment plus occupé à améliorer l’image du Guatemala qu’à améliorer la situation des droits de l’homme. »

Ce n’est qu’en 1999, dix ans après le départ de Ronald Reagan, que toute l’étendue des atrocités commises au Guatemala a été publiquement révélée par la Commission Vérité qui s’est largement appuyée sur les archives du gouvernement US dont le Président Clinton avait ordonné la dé-classification.

Le 25 février 1999, la Commission de Clarification Historique a estimé que la guerre civile de 34 ans avait coûté quelques 200.000 vies, la période la plus violente étant les années 80. La commission a estimé que l’armée était coupable de 93% des morts et la guérilla de 3%. 4% étaient indéterminés.

Le rapport décrit comment, dans les années 80, l’armée avait commis 626 massacres contres des villages indiens. « Les massacres qui ont éliminé des villages indiens entiers … ce n’est ni une calomnie ni une invention, mais une réalité de l’histoire du Guatemala, » conclut la Commission.

L’armée « a totalement exterminé des communautés mayas, détruisant leurs troupeaux et récoltes,  » indique le rapport. Dans les montagnes du nord, le rapport qualifie le massacre de « génocide ». [Washington Post, 26 février 1999]

A part de se livrer à des assassinats et à des « disparitions forcées », l’armée se livrait régulièrement à la torture et au viol. «  Le viol des femmes, pendant les séances de torture ou avant leur assassinat, était une pratique courante » des forces militaires et paramilitaires, révèle le rapport.

Le rapport ajoute que « le gouvernement des Etats-Unis, à travers différentes agences dont la CIA, a fourni un soutien direct et indirect à certaines de ces opérations. ». Le rapport conclut que le gouvernement US a fourni aussi argent et formation à une armée guatémaltèque coupable d’ « actes de génocide » contre les Mayas. [New York Times, 26 février 1999]

Lors d’une visite en Amérique centrale, le 10 mars 1999, le Président Clinton a demandé pardon pour le soutien passé des Etats-Unis aux gouvernements du Guatemala depuis 1954. « Pour les Etats-Unis, il est important que je déclare clairement que le soutien aux forces militaires et services de renseignement qui se sont livrées à la violence et à la répression généralisée a été une erreur que les Etats-Unis ne répéteront pas, » a déclaré Clinton. [Washington Post, 11 mars 1999]

Impunité pour l’équipe de Reagan

Cela dit, à Washington, personne ne semblait intéressé à tenir quelqu’un responsable pour assistance et promotion de génocide. L’histoire de la boucherie guatémaltèque et de la complicité du gouvernement de Reagan a rapidement disparu dans le Grand Puits de l’Oubli américain.

Pour des crimes contre les droits de l’homme commis aux Balkans ou en Afrique, les Etats-Unis ont demandé à des tribunaux internationaux l’arrestation et le jugement des coupables et de leurs chefs, pour crimes de guerre. En Irak, le Président George W. Bush a salué le procès et l’exécution du dictateur irakien Saddam Hussein, coupable d’assassinats politiques.

Même Rios Montt, âgé de 86 ans, après avoir pendant des années échappé à la justice, a finalement été inculpé au Guatemala en 2012 pour génocide et crimes contre l’humanité. Au cours du premier mois de son procès, on a entendu des témoignages oculaires sur les atrocités commises par l’armée guatémaltèque et la complicité de Ronald Reagan.

Lundi, le New York Times a publié certains de ces témoignages, mais – comme pratiquement toujours dans ce cas – le quotidien a omis de mentionner le rôle de Reagan et de son gouvernement. Mais ce que le Times n’omet pas fait dresser les cheveux sur la tête, dont des témoignages de ceux, enfants à l’époque, qui ont réussi à s’enfuir dans les montagnes et les forêts pour échapper aux assassins :

« Pedro Chavez Brito a raconté à la Cour qu’il avait six ou sept ans lorsque les soldats ont tué sa mère. Il s’était caché dans le poulailler avec sa sœur aînée et son nouveau-né, et son frère cadet, mais les soldats les ont découverts et les ont traînés dehors et les ont obligés à rentrer dans la maison qu’ils ont ensuite incendié. »

« M. Chavez a dit qu’il est le seul à avoir réussi à s’échapper. « Je me suis glissé sous un gros tronc d’arbre, j’étais comme un animal, » a raconté M. Chavez. « Au bout de huit jours je suis parti vivre dans les montagnes. Il n’y avait que des racines et de l’herbe à manger. »

Les avocats de Rios Montt et de son co-accusé, l’ancien chef des services de renseignement José Mauricio Rodríguez Sánchez, insistent qu’aucun des deux n’avait ordonné de massacres et qu’il s’agissait d’initiatives isolées prises sur le terrain par des commandants zélés.

Cependant, le Times écrit que

« des témoins ont déclaré que les militaires considéraient les civils Ixils, y compris les enfants, comme des cibles légitimes. « l’objectif de l’armée avec les enfants était d’éliminer les graines d’une future guérilla, » a témoigné Marco Tulio Alvarez, ancien directeur des Archives pour la Paix au Guatemala. « Ils les utilisaient pour obtenir des informations et pour attirer les parents dans les centres militaires où ils étaient ensuite arrêtés. » »

« Lors d’une étude de 420 cadavres exhumés dans la région Ixil et présumés datant de la période de Rios Montt, les experts ont découvert que près de 36 % des tués avaient moins de 18 ans, dont certains nouveaux-nés. »

« Jacinto Lupamac Gomez a raconté qu’il avait huit ans lorsque les soldats ont tué ses parents et ses frères et sœurs aînés. Ils l’ont ensuite emporté avec ses deux frères cadets dans un hélicoptère. Comme certains des enfants qui ont eu la vie épargnée, ils ont été adoptés par des familles hispanophones et ont oublié la langue Ixil. »

Si une certaine justice est encore envisageable au Guatemala, il n’y a aucune indication que les Etats-Unis cherchent à faire rendre des comptes à ceux du gouvernement Reagan qui ont fourni assistance à ce génocide moderne ou qui ont aidé à cacher les atrocités commises.

Les médias n’ont accordé aucune attention aux nouveaux documents qui révèlent que le gouvernement Reagan a donné le feu vert au massacre de Guatémaltèques considérés comme faisant partie des « réseaux civils de soutien » aux guérillas mayas qui opposaient une résistance à la répression de l’extrême-droite.

Ronald Reagan, l’officiel US le plus coupable d’aide et d’assistance au génocide guatémaltèque, demeure un héros aux yeux d’une majorité d’Américains, et l’aéroport national de Washington et d’autres sites officiels du gouvernement portent son nom. Apparemment, ni les officiels américains ni le public américain ne souhaitent ternir le souvenir d’une période heureuse.

Robert Parry

http://consortiumnews.com/

Article original en anglais :

reaganUS Sponsored Dictators: Tales of Reagan’s Guatemala Genocide, 18 avril 2013

Traduction  par VD pour le Grand Soir.

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