Le genou canadien brouillon et trouble

Le lynchage immonde de George Floyd, lors duquel son bourreau, le policier blanc Derek Chauvin, l’a froidement assassiné en lui écrasant la nuque et le larynx avec le plein poids de son genou et de son corps a mis le feu à l’échelle des États-Unis et de par le monde entier. Dans le sillage de cette horreur, la dure réalité du racisme systémique au Canada a été placé sous les projecteurs. L’émail emblématique d’un Canada défenseur des droits de la personne s’est effondré. Au cours des deux petites semaines depuis l’assassinat de M. Floyd par un robocop le 25 mai 2020, d’horribles crimes policiers à consonance raciste ont été commis contre des Canadiens noirs et indigènes.

À Toronto, Regis Korchinski-Paquet, 29 ans, est inexplicablement « tombée » du balcon de son appartement pour mourir au sol lorsque cinq policiers sont « intervenus » dans son appartement. Mystère et bouches cousues! Au Nouveau-Brunswick, Chantel Moore, 26 ans, a été abattue de cinq balles dans ce qui était censé être une intervention policière de bien-être. Un homme du Nunavut a été délibérément percuté par la portière d’une voiture de police mouvement alors qu’il marchait aux abords de la route, incident suite auquel il fut mis en cellule puis sévèrement battu par un autre occupant, et ce, sans être accusé d’une infraction. Nous venons tout juste d’apprendre qu’en mars dernier, le chef de la Première nation Athabasca Chipewyan, Allan Adam, a été sauvagement tabassé et blessé par la police alors que son épouse, durement atteinte de l’arthrite, fut douloureusement malmenée et projetée contre un véhicule; tout ça pour une plaque d’immatriculation expirée. Les belles promesses de relation Nation-à-Nation et de Société juste en sont à ce point au Canada.

Statistiquement, 36,5 % des personnes tuées par la police de Toronto sont noires, alors qu’elles ne représentent que 8,3 % de la population. Des données statistiques similaires s’appliquent aux femmes et aux hommes noirs et indigènes dans l’ensemble du Canada. Les femmes et les filles des Premières nations sont assassinées et « disparues » à un rythme effrayant. Ces derniers temps, au moins trois hommes noirs canadiens de différentes régions du pays ont subi le traitement George-Floyd du genou sur la nuque; heureusement, ils ont survécu. Le Canada, fondé sur des assisses colonialistes et génocidaires a constamment appliqué des politiques visant à « faire disparaître » les Premières nations. Jusqu’à présent, la majorité des Canadiens et les dirigeants politiques qu’ils élisent n’ont pas accepté que les vies des Noirs comptent (Black Lives Matter), que les vies des Premières nations comptent, au même droit que la leur.

Curieusement, les Canadiens ont été tellement aveuglés par la certitude qu’ils ne sont pas racistes qu’ils ont été beaucoup moins enclins à descendre dans la rue que le sont les Américains lorsque ces monstruosités policières se produisent. L’exécution extrajudiciaire de M. Floyd a peut-être changé la donne. Même le Premier ministre Justin Trudeau a « fléchi le genou » lors d’une récente manifestation de Black Lives Matter à Ottawa. Les leaders noirs et indigènes s’époumonent depuis des années contre le racisme-suprématisme au Canada. Ces derniers jours, un nombre croissant de Blancs se joignent à ces voix que les médias obstruaient de la vue et de l’ouïe des Canadiens. Il n’est pas encore acquis que la somme de ces voix atteindra la masse critique politique nécessaire pour forcer des changements structuraux réels et suffisamment amples. 

Sur le plan intérieur, le Premier ministre Trudeau maîtrise le symbolisme public, protestant parfois contre lui-même comme il l’a fait lorsqu’il s’est agenouillé. Dans les faits, il a été excessivement lent à adopter les mesures qui permettront de transformer le système. De plus, il a pris un certain nombre de décisions et d’actions qui ont aggravé la situation. Parmi celles-ci, on peut citer les agressions policières contre la nation Wet’suwet’en en 2019-2020 pour avoir osé protester contre le passage destructeur du gazoduc Coastal GasLink sur leur territoire, et une gamme d’autre actes ou omissions du gouvernement qui dégradent fragilisent les communautés noires et les Premières nations. En dépit de son discours à résonnance noble, Trudeau n’a pas retiré le genou collectif du Canada du cou des peuples noirs et des Premières nations. Les politiques de son gouvernement et des gouvernements provinciaux continuent d’écraser, et de menacer l’espace vital de leurs familles et de leurs communautés.

Source : PC Sean Kilpatrick. 985fm.ca

Sur le plan international, le Canada n’essaie même plus de camoufler le genou qu’il maintient inexorablement sur le cou des peuples d’autres pays. Dans de nombreux cas, il s’est mis à vanter son comportement comme le ferait un fanfaron abuseur dans une basse-cour d’école. Toujours inféodé à sa chef d’orchestre Chrystia Freeland et à ses parrains Trumpiens, Trudeau continue de tenir à la gorge de millions de Vénézuéliens, d’étrangler des Palestiniens à bout de souffle, d’étouffer des Haïtiens et de dissimuler la mise en famine et le meurtre de masse de Yéménites. Par leurs actions, leurs déclarations, leurs silences et leurs alliances, Freeland et Trudeau soutiennent et fournissent une légitimité fort trompeuse aux principaux voyous du meurtre d’État, de l’oppression et du génocide. Parmi ces parangons de la justice, on trouve Netanyahou d’Israël, Bolsonaro du Brésil, Sissi d’Égypte, Duque de Colombie, Duterte des Philippines et, bien sûr, Trump. Les gens sont définis par les gens qu’ils courtisent; cette maxime s’applique à Freeland et à Trudeau.

L’un des déterminants communs profondément enracinés des actions de tous ces parias est leur racisme sans bornes. Les Canadiens qui prennent la peine de s’informer peinent à concilier les absurdités et les atrocités commises en leur nom à la perception bon enfant qu’ils ont de leur pays. Ils ne comprennent pas pourquoi Freeland et Trudeau ont attelé le Canada à cette bande de truands assoiffés du sang qui devraient tous être traînés devant la Cour pénale internationale. 

Les genoux du Canada sur le cou des personnes racialisées et démunies prennent plusieurs formes. Outre leurs propres mèches de racisme manifeste, Freeland et Trudeau alimentent les fantasmes de dominance des banques, des gestionnaires de fonds d’investissement vautours, des entreprises et des sociétés minières et pétrolières. La politique étrangère canadienne, raciste et instrumentalisée au seul profit des actionnaires des entreprises, soutient l’exploitation financière et économique maximale des populations pauvres et racialisées du monde, à l’unisson avec les minorités oligarchiques majoritairement blanches de ces pays. Les sociétés minières canadiennes sont particulièrement malveillantes à cet égard, utilisant des paramilitaires et mercenaires pour affaiblir et déplacer de force les communautés locales qui osent résister à la pollution de leurs terres et de leur eau et à la destruction de leurs moyens de subsistance et de leur mode de vie. Pendant ce temps, les ambassades du Canada pavent la voie à ces abus de pouvoir et des droits de la personne. 

Que signifie le genou par terre du Premier ministre Trudeau du 5 juin dernier? Il se peut Trudeau ait simplement reconnu le problème sans réfléchir ou planifier en profondeur les politiques, les mesures, les programmes et la restructuration de la structure publique et économique du Canada qui s’imposent. Alternativement, son geste pourrait constituer une véritable reconnaissance qui annonce la mise en œuvre rapide, à l’allure des mesures COVID, d’un vaste train de changements structurels dans les domaines judiciaire, pénal, social, éducatif, du logement et de l’équité économique. Ces mesures devraient comprendre des réparations pour les crimes et omissions passés du gouvernement, et le partage du pouvoir décisionnel avec les communautés noires et les Premières nations. Ou bien, ce genou fléchi du Premier ministre pourrait s’avérer simplement une ruse de la teneur du partenaire abusif qui, entre les volées de coups administrés sa conjointe, lui offre des fleurs et des professions d’amour, un acte conçu pour la manipuler et la dominer davantage. 

Le temps nous dira où Trudeau se situera sur cette échelle glissante de la moralité, mais son bilan et la dissonance entre ses promesses et ses actes suscitent de sérieuses inquiétudes. Si les tenants et aboutissants qui meublent sa politique internationale priment, le travail onéreux et broyeur de vies que mènent les communautés noires et autochtones auquel se joignent de plus en plus de blancs a encore un long chemin à parcourir. Cela dit, le changement du discours public déjà amorcé et le nombre de décisions qui prennent déjà forme s’avèrent une source d’inspiration et d’espoir.

Pierre LeBlanc

Le 8 juin 2020

Ottawa, Canada

Photo en vedette : Capture d’écran. Source : 985fm.ca

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