Le gouvernement australien a l’obligation de protéger Julian Assange

Le commentaire ci-dessous est une analyse des problèmes juridiques et constitutionnels auxquels est confronté Julian Assange et qui découlent de sa détention pendant six ans à l’ambassade d’Équateur à Londres.

Des manifestations et des veillées sont sur le point d’avoir lieu à travers le monde en soutien à Julian Assange, exigeant sa liberté et son retour en toute sécurité en Australie.

Assange est persécuté et ses droits humains sont restreints par quatre gouvernements, ceux des Etats-Unis, de l’Australie, de la Grande-Bretagne et de l’Équateur.

Les lois internationales et celles de l’Australie constituent un fondement solide qui rend nécessaire que le gouvernement australien protège Assange en tant que citoyen australien. Au lieu de cela, ses droits humains sont niés et il est confronté à des conditions et à des difficultés inacceptables, alors qu’il n’a commis aucun crime.

Le droit légal de la protection diplomatique

C’est un principe bien établi du droit international — et une partie de la loi australienne reconnue par ses propres tribunaux — que si les citoyens d’un pays sont victimes de traitements inappropriés, de persécutions et de violations des droits humains, ils puissent faire l’objet d’une action diplomatique, à la discrétion du pouvoir souverain, pour protéger ses citoyens à l’étranger. Le gouvernement australien doit exercer ce pouvoir discrétionnaire et demander à la Grande-Bretagne le passage en toute sécurité d’Assange en Australie, afin de le protéger, lui et la réputation de l’Australie en tant qu’État de droit.

Dans l’affaire Mavrommatis Palestine Concession (Grèce vs Royaume-Uni) de 1924, la Cour permanente de Justice internationale a donné la formulation suivante du droit de protection diplomatique ; « En reprenant l’affaire de l’un de ses sujets et en recourant à une action diplomatique ou judiciaire internationale en son nom, un État revendique en réalité son propre droit — son droit à assurer, dans la personne de ses sujets, le respect des règles du droit international ».

Ce qui est en jeu pour le gouvernement australien, c’est son engagement à protéger les droits humains de ses citoyens, y compris les normes juridiques et démocratiques internationalement reconnues telles que la liberté d’expression, le droit à une procédure régulière, la protection contre les traitements cruels et dégradants et le droit de ne pas être puni en l’absence d’acte criminel.

L’Australie est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur en 1973. Sur le plan international, elle est traditionnellement considérée comme une nation soucieuse des droits de l’homme et de l’État de droit.

Le gouvernement australien a le droit légal de demander la protection diplomatique de Julian Assange. Une telle action peut impliquer des requêtes diplomatiques et des représentations auprès du gouvernement britannique, et, dans certaines conditions, l’introduction d’une procédure contre la Grande-Bretagne, devant les tribunaux britanniques. Les bases factuelles pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Australie de protéger Assange sont à la fois extrêmes et capitales. Les circonstances dans lesquelles une nation souveraine peut agir pour protéger ses sujets sont très étendues.

Bien que discrétionnaires, la Commission du droit international (CDI) et les tribunaux australiens ont récemment renforcé à la fois les considérations relatives aux droits de l’homme et la nécessité d’exercer ce pouvoir de manière légale et prudente. En vertu de l’article 19 des Articles de la CDI sur la protection diplomatique, un État devrait « prendre dûment en considération la possibilité d’exercer la protection diplomatique, en particulier lorsqu’un préjudice important s’est produit ».

Dans l’affaire de David Hicks à la Cour fédérale australienne en 2007 – il avait été détenu sans inculpation à Guantanamo Bay pendant cinq ans – le tribunal a rejeté une demande de renvoi sommaire, jugeant qu’il était nécessaire de déterminer la nature et l’étendue de l’injustice que le demandeur affirmait avoir subie. Le tribunal a estimé que la privation de liberté pendant plus de cinq ans, sans inculpation, était si exceptionnelle qu’elle était obligée d’examiner la question.

Les circonstances d’Assange justifiant la protection diplomatique

L’exercice de la protection diplomatique d’Assange n’enfreindra pas la doctrine de l’Acte d’État, qui empêche un État souverain de contester l’illégalité de l’action d’un autre gouvernement. Ce que le gouvernement australien doit bien plutôt garantir par son action, par le processus diplomatique, c’est qu’Assange soit autorisé par les autorités britanniques à quitter librement la Grande-Bretagne pour l’Australie. En conséquence, il n’y a pas d’obstacle juridique à ce que l’Australie cherche à protéger Assange.

Il y a plusieurs facteurs importants et impératifs justifiant des mesures pour la protection diplomatique d’Assange. Il existe indubitablement d’autres circonstances particulières, mais les questions majeure suivantes méritent d’être prises en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire :

1. Assange est effectivement détenu depuis six ans. Il n’est pas, en substance, correct de dire que son « emprisonnement » est imposé par lui-même en raison du contexte dans lequel il cherchait une protection de la part du gouvernement équatorien contre sa persécution. À l’ambassade, il a effectivement été dans un mode de « détention protectrice ».

2. Aucune accusation d’inconduite sexuelle n’a été portée contre Julian Assange en Suède ou dans tout autre pays. En conséquence, les circonstances pour lesquelles il a été initialement détenu par les autorités britanniques ont disparu.

3. Assange a demandé et obtenu l’asile après un examen attentif par l’État souverain d’Équateur, sur la base d’une crainte fondée de persécution. Cette demande a été accordée en vertu de traités de droit international et de doctrines d’asile politique reconnus.

4. Des représentants de haut rang des États-Unis ont fait part publiquement de leur intention de poursuivre Assange et de lui porter préjudice en raison des révélations de WikiLeaks sur la conduite des États-Unis. Certains ont demandé la peine de mort. En 2010, Donald Trump, maintenant président des États-Unis, a demandé la peine de mort pour Assange. Plus récemment, Mike Pompeo, secrétaire d’État américain (l’équivalent du ministre des Affaires étrangères) a appelé à ce qu’Assange soit « sévèrement puni » pour les révélations.

5. En ce qui concerne la publication des informations divulguées, Assange n’a commis aucun crime connu du droit anglo-américain. Les sources des fuites peuvent être dans ce cas, mais lui, ne l’est pas. En effet, Assange n’a fait que publier des informations — comme le font les journalistes quand ils agissent professionnellement — pour dire la vérité au public et tenir les citoyens informés de l’action du gouvernement. Une telle pratique journalistique est essentielle au maintien d’un gouvernement démocratique et de la légalité des actions de l’État.

6. Le manquement à la liberté provisoire par rapport à une procédure d’extradition suédoise à présent caduque, qui s’est produit lorsqu’Assange s’est réfugié à l’ambassade d’Équateur, et pour laquelle les autorités britanniques prétendent toujours chercher à le détenir, est d’importance très marginale, et même à présent triviale, dans le contexte général et les conditions de la situation d’Assange. En outre, la caution a été confisquée, ce qui constitue la sanction principale et essentielle pour une violation de la liberté sous caution en vertu de la loi pénale. Une violation de la liberté sous caution n’entraînerait pas une peine d’incarcération. Il est donc très difficile de ne pas conclure que le désir des Britanniques de détenir Assange est pour faciliter son transfert aux autorités américaines, la chose même qui a abouti à la reconnaissance par le droit international de la demande d’asile d’Assange accordée par Équateur.

Le gouvernement australien doit faire cesser que la Grande-Bretagne facilite la suppression de la liberté d’expression

La défense des droits démocratiques, respectée et défendue par un gouvernement civilisé, et la prise de mesures énergiques pour arrêter la suppression de la liberté d’expression sont fondamentales pour assurer la protection d’Assange. Le gouvernement britannique, en imposant de manière effective la « détention protectrice » d’Assange dans l’ambassade d’Équateur, en insistant sur son arrestation et sa détention pour aider les actions américaines, agit en instrument puissant pour la suppression de la liberté d’expression. C’est a un outrage à la démocratie, à la primauté du droit et à un citoyen australien. Le gouvernement Turnbull ne doit pas tolérer cette conduite.

Le premier ministre australien parle souvent de la nécessité de faire respecter l’État de droit et le système international « basé sur des règles ». C’est là un cas où il doit montrer s’il est réellement attaché à ces principes. En effet, en tant que jeune avocat dans l’affaire « Spycatcher » (piégeur d’espions) en 1987, Turnbull avait combattu les tentatives du gouvernement britannique pour réprimer la liberté d’expression. Il n’y a pas de différence de principe avec le cas d’Assange. Les autorités britanniques facilitent la persécution d’Assange pour favoriser la suppression de la liberté d’expression.

Dans son livre sur l’affaire, « Le procès Spycatcher », M. Turnbull a écrit qu’il était dans l’intérêt public que ce livre fût publié, car il révélait les preuves de crimes et d’autres actes illicites commis par le gouvernement britannique. Le cas de Julian Assange et la protection dont il a maintenant besoin de la part du gouvernement australien donne au Premier ministre Turnbull l’occasion d’exercer les pouvoirs du gouvernement en défense du droit à la liberté d’expression d’un citoyen australien en péril à l’étranger.

Les travailleurs doivent se battre pour la défense des droits démocratiques et l’État de droit dans lequel ils sont inscrits. Il est encore plus impératif qu’il le fasse dans le contexte de la montée de l’autoritarisme dans le monde. Il doit soutenir sans réserve Julian Assange et demander du gouvernement australien qu’il prennent toutes les mesures nécessaires pour le protéger et garantir son retour en toute sécurité en Australie.

Richard Hoffman

 

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 11 juin 2018



Articles Par : Richard Hoffman

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