Le gouvernement conservateur de Theresa May survit à un vote de défiance

Le gouvernement de Theresa May a survécu à une motion de défiance déposée mercredi soir par le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn. Les députés ont voté par 325 voix contre 306 pour la rejeter, et les 314 députés de son Parti conservateur divisé ont voté quand même pour assurer la survie du gouvernement en place. Ces derniers ont été rejoints par les 10 députés du Parti unioniste démocrate (DUP) et par une unioniste indépendant.

Tous les partis d’opposition – Parti travailliste, Parti national écossais, Démocrates libéraux et les Verts – ont voté contre le gouvernement. Mais l’aspect le plus frappant de la soirée a été la façon dont May, son secrétaire pro-Brexit à l’Environnement, Michael Gove, et d’autres conservateurs ont pu exploiter l’hostilité flagrante des blairistes de droite envers leur propre chef de parti et une opposition à peine dissimulée à une élection générale, ce qui a permis aux conservateurs de faire passer le vote de défiance comme s’il était dirigé contre Corbyn.

Corbyn a déposée la motion de censure mardi soir, immédiatement après que May ait subi la plus grande défaite parlementaire d’un Premier ministre de l’histoire, ayant vu son accord sur le Brexit avec l’Union européenne (UE) rejeté par les députés par une majorité de 230 voix.

Corbyn n’a proposé le vote qu’après des mois d’hésitations au cours desquels il a montré à l’élite dirigeante qu’il ne ferait rien pour déstabiliser l’impérialisme britannique au moment où il navigue des eaux inconnues, face au jour J du Brexit prévu en moins de 80 jours.

Corbyn a déclaré qu’il ne déposerait une motion de censure qu’à un moment où cela aurait plus de chances de réussir. Mais tandis que l’aile droite extrême des conservateurs (en faveur du Brexit sans accord) et les partenaires à la majorité parlementaire de May – le Parti unioniste démocrate – étaient prêts à se joindre à l’opposition pour torpiller l’accord de May, il était inconcevable qu’ils allaient déclencher des élections générales susceptibles de hisser Corbyn au pouvoir.

La motion de Corbyn était pour la forme, à tel point que lorsque son ministre des Finances fantôme John McDonnell était interrogé mercredi matin par l’émission Today de la BBC pour savoir si les travaillistes tenaient encore à «tracasser» le gouvernement au cas où le vote de censure aurait échoué, il a répondu: «Non, on ne fera pas cela.»

Les blairistes (aile droite du Parti travailliste) ont été seulement favorables à un vote de défiance contre Theresa May sachant que son échec permettrait d’accentuer la pression sur Corbyn pour qu’il soutienne leur revendication d’un deuxième référendum «pour laisser parler le peuple» visant à renverser le Brexit.

La volonté manifestée par les blairistes de maintenir May au pouvoir a été éventée avant le vote par Nigel Dodds, dirigeant du DUP, qui a annoncé devant le Parlement: «J’ai été frappé par le nombre de députés qui, depuis hier soir, ont été assez assidus pour que mes collègues et moi-même soient présents pour le débat et votent ensuite le soutien au gouvernement pour empêcher des élections générales… Et en fait, certaines de ces requêtes émanaient même du côté du gouvernement!».

Le matin du vote, 71 députés travaillistes, citant le soutien de 26 autres, ont publié un communiqué commun exigeant que le Parti travailliste soutienne le «vote du peuple». Des dizaines d’entre eux ont organisé une séance photo devant le Parlement derrière une banderole sur laquelle était écrit: «Le peuple devrait avoir le dernier mot».

May a centré son son discours devant le Parlement sur une dénonciation de Corbyn comme étant une menace pour la sécurité nationale, un dupe du président russe Vladimir Poutine, un opposant à l’armée et à la guerre en Syrie, etc.

Corbyn a répondu en se plaignant que, malgré ses paroles sur un consensus au Parlement, «il n’y a pas eu d’offre de pourparlers multipartites, ni de communication sur les pourparlers multipartites – la Première ministre ayant simplement dit qu’elle pourrait parler à certains membres de la Chambre des communes […] Ceci n’est pas tendre la main, ceci n’est pas une prise de conscience de l’ampleur de la défaite qu’ils ont subie hier soir».

Ce qui aurait dû être le jour du jugement dernier de May s’est donc avéré être un verdict humiliant sur toutes les capitulations faites par Corbyn devant la droite de son parti depuis qu’il est devenu chef du parti en septembre 2015.

Résumant les propos du gouvernement, Gove a félicité les orateurs des bancs de l’opposition, notamment le blairiste John Woodcock, qui a démissionné du Parti travailliste l’année dernière pour siéger en tant qu’indépendant, et qui n’a pas soutenu le vote de défiance contre May, et félicité Hilary Benn pour son soutien à la guerre contre la Syrie. Woodcock a déclaré dans son discours que Corbyn et McDonnell n’étaient «tout simplement pas aptes à occuper de hautes fonction» et que «de nombreux» députés travaillistes l’avaient encouragé en privé à attaquer Corbyn. Gove a souligné que le chef adjoint du Parti travailliste, Tom Watson, avait omis de mentionner Corbyn dans son discours parce que «nous reconnaissons tous les deux que […] Corbyn est la pire personne possible pour diriger le Parti travailliste, et il le sait bien plus que moi ».

May a mis fin au débat en appelant tous les chefs de partis d’opposition à discuter avec elle du type d’accord sur le Brexit qui réunirait une majorité à la Chambre. Corbyn n’a pas eu le courage de l’envoyer balader. Il a simplement répondu qu’elle devrait écarter un Brexit sans accord. Il a depuis déclaré qu’il ne rencontrerait pas May avant que cette assurance ne soit retenue. Les demandes de Corbyn, du moins à court terme, semblent impuissantes, sachant que May est plus redevable que jamais au DUP et à son aile dure du Brexit. Dans une allocution télévisée au pays après le vote, May a souligné que son objectif était de réussir le Brexit, après des négociations avec les autres partis, avant tout «nos partenaires de la majorité» du DUP.

Corbyn et McDonnell ont passé des mois à convaincre la grande entreprise que le Labour offrait un moyen de sortir de «l’impasse du Brexit» – soit en négociant un accord sur le Brexit garantissant un accès libre de droits de douane au marché unique de l’UE, soit en soutenant un deuxième référendum. McDonnell avait anticipé tout le débat sur le Brexit en publiant un projet de politique économique du Labour promettant «aucune surprise» pour les contribuables ou les entreprises, une «discipline stricte» sur les budgets et une ouverture «sans précédent» pour gagner la confiance de la City de Londres.

Cependant, Corbyn n’inspire pas la loyauté de ses députés, dont beaucoup sont déjà en discussion avec May, d’autres sections des conservateurs, ou du Parti national écossais et des démocrates libéraux, ce qui pourrait aboutir à un réalignement politique incluant une scission du Labour.

Il n’a pas non plus l’appui des syndicats, qui n’ont pas soutenu sa demande d’élections générales et se sont montrés disposés à négocier directement avec le gouvernement sur le Brexit.

La semaine dernière, May a rencontré directement le secrétaire général du syndicat Unite, Len McCluskey et Tim Roache, secrétaire général du GMB, à l’invitation d’un groupe de députés travaillistes, notamment John Mann et Caroline Flint, qui avaient alors déclaré qu’ils envisageaient de soutenir Theresa May pour empêcher un Brexit sans accord. Bien que ni l’un ni l’autre des dirigeants syndicaux n’ait soutenu l’accord existant de May, Roache s’est dit «ravi que la Première ministre ait enfin décroché le téléphone», tandis que les alliés de McCluskey ont déclaré que «celui-ci souhaiterait garder les canaux ouverts avec la Première ministre», a rapporté The Independent.

Toutes les implications des reculs constants de Corbyn devant les blairistes de son parti, alors que ceux-ci déterminent la vraie politique et le vrai programme du Parti travailliste en conformité avec les préceptes de la classe dirigeante, deviennent de plus en plus claires.

Les apologistes pseudo-gauches de Corbyn le décrivent tous comme un guerrier solitaire, qui doit maintenant mobiliser le Parti travailliste et les syndicats pour se débarrasser des conservateurs. Les Partis socialiste et Parti ouvrier socialiste parlent de mettre sur «un pied de guerre» ces bureaucraties sclérosées. Mais les travailleurs et les jeunes qui ont soutenu Corbyn en raison de sa promesse d’un gouvernement anti-austérité, et anti-guerre sont confronté à la réalité: à savoir que c’est sa suppression de la lutte de classe qui est la clé permettant aux conservateurs de rester au pouvoir.

Sir Malcolm Rifkind, le vieillissant thatchérien, a reconnu ce fait et a salué le vote de mardi sur l’accord du Brexit de May comme un exemple de «prise de contrôle par le Parlement. Pas d’émeutes, pas de gilets jaunes, pas de canons à eau, pas d’appels à l’armée […] Comparez cela à Paris ces deux dernières semaines».

Robert Stevens et Chris Marsden

 

Article paru en anglais, WSWS, le 17 janvier 2019



Articles Par : Robert Stevens et Chris Marsden

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